Marche des fiertésD'où vient cette sale manie d'attribuer les catastrophes naturelles aux homos ?

Par Julie Baret le 31/08/2017
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Lorsque surviennent séismes et tempêtes, certains bonimenteurs s'improvisent lecteurs de théophanies (du grec theo et phan, soit les apparitions divines) et trouvent chez les gays les boucs émissaires idéals...

Dans la nuit du 25 au 26 août, des pluies torrentielles ont soufflé le sud du Texas. L'ouragan Harvey, depuis rétrogradé en tempête tropicale et se dirigeant sur la Louisiane, est le plus puissant à frapper les États-Unis depuis 2005. Les autorités dénombrent plus d'une trentaine de décès causés directement ou indirectement par la catastrophe naturelle et les experts redoutent que la décrue ne révèle encore plus de morts. Avant ce lourd bilan, Ann Coulter, polémiste d'extrême droite gourmande en controverse, livrait une interprétation toute singulière de la catastrophe contre l'avis de Politico Magazine selon qui "Harvey nous donne à voir ce qu'est le changement climatique" :

Je ne crois pas que l'ouragan Harvey soit une punition divine contre l'élection d'une maire lesbienne à Houston. Mais c'est tout de même plus crédible que le "changement climatique."

L'exploit est à saluer : la commentatrice politique parvient à se fondre dans le négationnisme climatique, l'homophobie, et l'intégrisme religieux en moins de 140 caractères. Et draine avec elle une dizaine de milliers d'acquiescement virtuels.
La référence n'est pourtant pas d'actualité, mais puisque le Texas n'est pas célèbre pour ses couleurs arc-en-ciel - sa Cour suprême tentait d’ailleurs au début de l’été d’amocher les droits maritaux des couples homos - il fallait bien trouver prétexte. Annise Parker, mère de trois enfants avec sa femme Katy Hubbard, a dirigé Houston, la quatrième plus grande ville des États-Unis également capitale de l'industrie pétrolière américaine, jusqu'en 2016.


En 2015, lorsque le Texas était frappé par de terribles inondations enlevant la vie d'une vingtaine de personnes et en déplaçant des milliers d'autres hors de chez elles, Bryan Fischer, membre de l'American Family Association - dont le nom cache un important groupe de haine étasunien - incriminait à nouveau la catastrophe à cette "maire sodomite" qui pratiquerait "l'occulte et la sorcellerie" (sic.). Preuve que la climatosceptique Ann Coulter n'a finalement rien contre le recyclage.
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Une habitude coriace

Avant eux, "Buster Wilson a insisté sur le fait que Dieu a envoyé l'ouragan Isaac pour stopper un festival LGBT annuel; le révérend Franklin Graham incriminait l'ouragan Katrina aux 'orgies' de la Nouvelle Orléans; et le prêtre catholique Gerhard Wagner parlait d'une 'punition divine' contre la tolérance de la ville envers le homosexuels" énumère The Salt Lake Tribune. À la rédaction du journal, on est étonné de voir si peu de commentateurs rejoindre l'analyse d'Ann Coulter, à l'exception de l'infatigable Westboro Baptist Church, et on évoque une hypothèse : les fervents croyants ne peuvent imaginer qu'un État comme le Texas, où la religion est si solidement implantée et qui s'est tant battu contre les droits LGBT, puisse avoir attiré les foudres divines. Malheureusement, la performance est courante et n'a pas le monopole américain.
Suite au séisme qui frappa l'Ombrie italienne en novembre 2016, un voisin transalpin flirtait déjà avec le vocabulaire apocalyptique. Giovanni Cavalcoli, prêtre et théologien, analysait les secousses comme une "punition divine" contre l'adoption de la loi sur l'union civile qui apportait, quelques mois auparavant, la première reconnaissance légale aux couples homos de la péninsule. Le Vatican s'était immédiatement désolidarisé de son ministre, flinguant sa vision "païenne" et "non-chrétienne" du dieu unique.
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Unions de même sexe à nouveau frappées par le Déluge dans la bouche Tony Perkins. Pasteur et président du groupe chrétien et pro-vie (donc anti-avortement) Family Research Council, ce père de famille a régulièrement imputé les ouragans ciblant les États-Unis à l’ouverture du mariage pour tous à l'échelle fédérale lors de l’affaire Obergefell v. Hodges. Manque de bol, une inondation en Louisiane a dévasté sa maison l'été dernier, bringuebalant Perkins, femme et enfants dans un mobil-home. Il avait cette fois-ci changé d'interprétation : ce n'était plus une punition de ses mœurs, mais un "exercice spirituel" vers la foi.
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L'angoisse du non-sens

S'exprimant hier dans la Matinale d'Europe 1, le philosophe Raphaël Enthoven y trouve une analogie fort anachronique mais pas peu intéressante avec le chapitre 6 de Candide où "Voltaire raconte qu'après le tremblement de terre de Lisbonne en 1755, qui avait détruit les trois quart de la ville, les sages de l'Université de Coimbra - les Tony Perkins de l'époque - affirmèrent que ces événements étaient la conséquence de notre impiété et décidèrent d'organiser en conséquence un bel autodafé. Car c'est bien connu, le spectacle de quelques personnes brûlées à petit feu en grande cérémonie, dit Voltaire, est un secret infaillible pour empêcher la terre de trembler. [...] Or le même jour, la terre trembla de nouveau avec un fracas épouvantable."

La lecture des catastrophes naturelles à travers une "colère de dieu" relève d'une tradition très ancienne que Marie-Hélène Congourdeau dans la Revue des études byzantines relie au moins jusqu'à L'Iliade (lorsque les Troyens menés par Hector affronte "l'Ébranleur de la terre", Poséidon). Cette tendance à attribuer aux homosexuels les périls d'une société - comme ce fut le cas par certaines interprétations de la destruction de Sodome, épisode présent dans les livres sacrés des trois religions monothéistes - a même repris du service à l'époque contemporaine. Selon The Salt Lake Tribune, ces accusations répétitives contre les LGBT aux États-Unis évoquées plus haut, qui s'époumonent sitôt dépassés les cercles conservateurs, tireraient ainsi leurs racines dans l'idée d'un Dieu vengeur apportée par les Puritains du XVIIIe siècle.
Lorsqu'en France l'épidémie du sida a surpris les années 80, plusieurs groupes religieux radicaux, à l'instar des Témoins de Jéhovah, y virent à nouveau l'expression d'un châtiment divin. Un dérapage dans lequel glissa également l'icône gay américaine Donna Summer, et dont elle excusera formellement par la suite dans une lettre à Act Up. Trente années plus tard, le virus Ebola fût analysé avec les mêmes lunettes antédiluviennes. Le Conseil des Églises du Libéria affirme à l'été 2014 que l'épidémie est une "punition divine face aux comportements immoraux, comme l'homosexualité, qui pénètrent le pays."
Mais Enthoven prête un autre point de fuite à ces discours eschatologiques : "Pour surmonter l'épreuve, les hommes se doivent d'interpréter la catastrophe comme un message qui leur serait destiné." Derrière l'interprétation du signe, c'est donc surtout la névrose de l'individu qui hurle à nos oreilles.
N'est-ce pas Madamhaaaan ?


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Couverture : Extrait du Déluge, par Michel-Ange. Photographie de la Chapelle Sixtine prise par Andrew Graham-Dixon en 2009.