Contre les réformes du droit du travail, à la manifestation du 21 septembre comme à celle du 10 octobre défendant la Fonction publique, les LGBTQ+ aussi ont le poing levé.
Le 10 octobre, les neuf organisations syndicales de la fonction publique appelaient à la grève des fonctionnaires contre les dernières mesures de l'État : le gel du point d'indice synonyme de gel des salaires, le retour du jour de carence sucrant le versement des indemnités de la sécurité sociale en cas d'arrêt maladie, la suppression de 120 000 postes… À Paris, plusieurs associations LGBT se sont joints aux dizaines de milliers de manifestants, dans une grogne commune contre le gouvernement Philippe sous l'ombre de Jupiter.
Cette fois-ci le Pink bloc, ce rassemblement rainbow et féministe qui a défilé dans la fureur et les paillettes le 21 septembre contre la “loi travail XXL”, s’est fait plus discret, indiqué par un drapeau noir flanqué d’un triangle rose. Serait-il difficile de mobiliser en masse ? Le sujet concerne pourtant directement les LGBTQ+ d'après le président d'Act Up-Paris, présent aux deux manifestations, et qui dénonce une “relégation sociale” :
Les ordonnances touchent tout le monde et encore plus les minoritaires. Maintenant que le sujet du droit du travail se règle au niveau des entreprises et des accords de branches, les pédés, les gouines, les meufs et les séropos, et toutes les personnes en moins bonne santé, peuvent moins s'organiser pour faire valoir leurs droits. Ça signifie plus d'isolement !
Faire lutte commune
Constat similaire au Collectif Féministes Révolutionnaires (CFR), également à l’initiative des précédents Pink blocs. La formation est d’ailleurs née des contestations de la loi Travail I, il y a un an et demi. D’assemblées générales en meetings dans les facs, pour analyser les effets de la réforme pour les femmes et les minorités de genre, le collectif s’est officiellement constitué en septembre 2016 et compte aujourd’hui quatre-vingt personnes dans ses réunions officielles, LGBTI en majorité, blanches et non-blanches, de lycéenn·e·s à retraité·e·s, avec un même point d’accord politique : “On essaie de forcer le mouvement ouvrier à prendre en charge les questions féministes et LGBTI, d’encourager les travailleuses à se sentir fortes pour porter ces revendications, et en même temps on pousse les mouvements féministes et LGBTI à se réapproprier ces revendications de justice sociale”, renseigne Louise, 31 ans qui évolue dans le milieu de l’image.“On devrait d’autant plus s’approprier ces questions-là, renchérit Aurore, 28 ans, doctorante en sociologie et également militante au CFR. Le recul des acquis sociaux concerne directement les plus précaires que sont les femmes, les minorités de genre et les LGBTI.”
“La loi Travail c’est la porte ouverte aux discriminations anti-LGBT”
“Les ordonnances et la loi Travail ce sont des choses très pointues mais qui ont un impact énorme sur nos vies, notamment par des attaques très fortes contre les instances de défenses des travailleurs et travailleuses, poursuit Louise. Aujourd’hui, tu peux te faire discriminer pour gayphobie ou lesbophobie mais comme les indemnités prud'homales sont plafonnées par la loi Travail, le patron risque d’autant moins : c’est la porte grande ouverte à la discrimination !” Aurore dénonce quant à elle la disparition du CHSCT (comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail), garant du bien-être et de la santé des salarié·e·s, au sein d’une instance unique. Une mesure extrêmement inquiétante dans la mesure où ce comité, imposé dans les entreprises de plus de 50 employés, était l’un des rares contre-pouvoir face au patronat.
Pour Louise, ces attaques capitalistes contre le Code du travail sont même intrinsèquement homophobes, lesbophobes, biphobes et transphobes : “Comme on est les plus fragilisés, on est les premiers à sauter. Dans la Fonction publique, on sait par exemple que les premiers services hospitaliers qui vont fermer ce sont ceux qui concernent l’avortement. C’est déjà le cas ailleurs.” C’est pour cette même raison qu’Act Up-Paris, en la personne de son président, défend elle aussi les fonctionnaires “qui sont nos premiers aidants : quand on veut se soigner, lorsqu'on étudie, on est les premiers à devoir faire des démarches supplémentaires; on a besoin que les agents du service public prennent en compte nos particularités. D'autant que beaucoup de gens précarisés n'osent même pas demander les minima sociaux.”
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Contre la réputation friendly d’Emmanuel Macron
Fondamentalement anti-raciste, le CFR a déjà soutenu des grèves d’aides soignantes et d’infirmières d’une maison de retraite à Saint Denis, défilé avec la famille d’Adama Traoré ou avec celle de Théo, manifesté avec l’association femmes en lutte 93, et prend le problème par une fenêtre large : “Ce que veut faire le gouvernement, fragiliser nos conditions de travail, c'est ce que vivent déjà les femmes et les LGBTI. On est en majorité dans des emplois à temps partiels, à multiplier les petits boulots... Bref en dehors du salariat classique. On devrait d’autant plus nous écouter ! On vit déjà ce qui va toucher le monde du travail dans son ensemble.” D’après Louise, il est urgent de lutter contre l’image gay-friendly d’Emmanuel Macron, car “ce n’est pas pour rien s’il n’y a pas de toilettes neutres ou de changement d’état civil [libre et gratuit, ndlr], ces lois ne passent pas pour des raisons politiques.” Selon elle, “il faut insérer un rapport de force très intense”, surtout en cette période de crise financière qui s’accompagne d’un resserrement réactionnaire, comme en témoigne la présence de Sens commun “à des postes clés du gouvernement”.
Arracher nos droits
À la tête de l'association historique de lutte contre le sida depuis un mois, le jeune président d'Act Up-Paris demande le retrait des ordonnances à la lumière des difficultés des personnes séropositives, dont une 1 sur 5 rapporte des privations alimentaires faute de moyens : “Les personnes vivant avec le VIH sont fragilisées, tributaires des acquis sociaux et vieillissantes”, s’inquiète Rémy Hamai. À contre-courant des ordonnances d'Emmanuel Macron, il réclame ainsi un droit à l'aménagement du temps de travail pour les personnes vivant avec le VIH, ainsi qu'une prise en charge renforcée en cas d'impossibilité de travailler.
Du côté des Féministes Révolutionnaires, on souhaite davantage orienter la lutte vers deux revendications phares “sur lesquelles on pense qu’on peut gagner”. Louise en est convaincue : la PMA pour toutes et le changement d’état civil, gratuit sur simple demande, “qui pèse très lourdement sur les personnes en milieu professionnel”. Le sujet sera officiellement discuté le 14 octobre par le collectif, mais les deux militantes annoncent d’ores et déjà qu’elles n’attendent rien du gouvernement : “Dans ce monde capitaliste, patriarcal et raciste on ne peut pas déléguer aux institutions le pouvoir de décider de nos vies. Pour changer les individus, il faut changer ces structures sociales”. Surtout, elles tirent la leçon du mariage pour tous, “arraché par des siècles de lutte LGBT”, et misent sur la construction d’un mouvement social d’ampleur, la mobilisation de la communauté et la résurgence des organisations nées en réponses à la Manif pour tous, car “quand c’est massif, on arrive à incliner l’opinion des gens”. Leurs armes ? Tout le répertoire d’actions qu’est celui de la rue.
“Dans les fureurs et dans la lutte, dans les paillettes et dans la fête”
- slogan brandi lors du Pink bloc du 21 septembre 2017 -
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Couverture et corps d'article : Pink bloc du 21 septembre 2017 - photo Maxime Parizel (sauf si précisé)