Une "Marche des diversités" a défilé samedi 14 octobre à Vierzon, une petite ville de 20 000 habitants dans le Cher qui découvrait ses premiers drapeaux arc-en-ciel.
C'est aujourd'hui la première marche des diversités du Berry. C'est ici que tout commence vraiment.
Emmanuel Ducarteron, 37 ans, était ému de prendre la parole devant la trentaine de participant·e·s à la Marche des fiertés du Berry dont il est le créateur. Pour lui, revenir muni de drapeaux et d'alliés dans la ville où il fut un collégien puis un lycéen harcelé est à la fois une sacrée revanche et une sincère invitation à la tolérance.
"La genèse de cette Marche remonte à votre article sur la Pride de Sablé-sur-Sarthe !, nous apprend Emmanuel au téléphone. J'ai eu envie d'organiser quelque chose car à moins d'aller jusqu'à Orléans ou jusqu'à Tours, il n'y a strictement rien pour les LGBT dans le Berry". Il écrit alors à Nicolas Sansu (PCF), le maire de Vierzon, pour lui demander s'il peut organiser sa Gay Pride. L'édile répond qu'il ne donne des fonds qu'aux associations. Qu'à cela ne tienne, Emmanuel Ducarteron (par ailleurs trésorier de l'association Shams-France à Paris) lance Berry LGBT au mois de juin avec l'aide d'Antonin Stassart, un étudiant qui comme lui vient du coin, et du Centre LGBT d'Orléans (GAGL 45) pour les aspects logistiques.
"Un lieu identifiable"
Berry LGBT voit officiellement le jour le 3 juin 2017. À la première permanence, personne ne vient. Mais depuis la deuxième, organisée à la mairie de Vierzon en juillet, des personnes qui ont entendu parler de l'asso via Facebook ou dans Le Berry Républicain se manifestent. Trois, puis trois autres, jusqu'à constituer un petit groupe d'une douzaine de personnes.
Emmanuel Ducarteron, qui a quitté Vierzon pour travailler en région parisienne dans un centre d'appel pour taxis, a rencontré des solitudes qui l'ont conforté dans le bien-fondé de son projet : "La motivation première, c’est d’aider. Les histoires de certaines personnes montrent la nécessité d'une association comme celle-ci. Je pense à un jeune non-binaire qui rencontre des difficultés à l'école. Je suis en contact avec sa maman, si besoin on pourra prendre rendez-vous avec le lycée".
L'association recueille d'autres histoires, moins médiatisées que la souffrance souvent rencontrée par les jeunes : celles de personnes qui se cachent, mènent une double-vie et sont totalement isolées. "Quand en plus elles ne maîtrisent pas les réseaux sociaux et qu'elles ont peu de moyens, c’est très difficile, développe Emmanuel. Nous avons aussi des parents qui ont finalement accepté leur enfant tel qu’il était et qui décident d'aider. L’idée est que tous ces gens aient un lieu identifiable."
Cœur avec les doigts sur le perron
Ce samedi 14 octobre donc, dans les rues résidentielles de Vierzon, escorté par une voiture de la gendarmerie et deux agents, le cortège croise des habitant·e·s, des automobilistes. Certains baissent volontiers leur vitre pour récupérer le tract de l'asso, d'autres adressent un non énergique de la tête. "Je pense que pas mal de personnes hallucinaient de voir ça à Vierzon, sourit Emmanuel. Mais plein de gens nous faisaient coucou. Un mec est même sorti de sa maison pour nous faire un cœur avec les doigts".
Dans le défilé on voit des drapeaux rainbow, bien sûr, mais surtout des drapeaux du Parti communiste et du syndicat étudiant UNEF qui ont tous deux répondu à l'appel : "Certains disent qu’on ne voyait que des drapeaux Jeunes communistes et de l’UNEF. Mais moi j’ai contacté tous les syndicats, toutes les assos LGBT, donc oui on a reçu ceux qui ont répondu !" se défend Emmanuel Ducarteron. Il faut dire qu'il est assez difficile de mobiliser dans des régions qui n'ont jamais connu de militantisme LGBT : "Il y a une forme d’exode obligatoire des LGBT vers la ville. Plus des personnes créeront des événements et des associations pour nous rendre visibles dans les campagnes, plus la parole sera libérée", prédit Emmanuel.
Son discours avant le départ de la Marche, sur l'esplanade de la Française de Vierzon, ne disait pas autre chose :
En Grande-Bretagne, un jeune chanteur Jimmy Somerville et son groupe Bronski Beat chantent une chanson sur un jeune homosexuel vivant dans une petite ville de province. Incompris par sa famille, harcelé par les gens du village, il n'a pas d'autres choix que celui de fuir vers une ville plus grande supposée plus tolérante [...] S'il peut paraître plus aisé de vivre son orientation sexuelle ou son identité de genre à la grande ville, cela n'est qu'une impression. Et toutes les personnes LGBT n'ont pas forcément la possibilité ni même la volonté de quitter leurs petites villes ou leurs villages. Elles doivent vivre à l'endroit où elles décident de vivre. Tout simplement. En toute sécurité. Ici, dans le Berry, chaque ville ou village doit pouvoir accueillir son petit bout d'arc-en-ciel.
Une Marche des Fiertés en bonne et due forme est d'ores et déjà prévue le 9 juin 2018. Le choix de la ville n'est pas encore arrêté. Ce sera peut-être Bourges, la plus grande ville du Berry.
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Photo de couverture : crédit Marie R-Md