Plusieurs dizaines d'artistes se sont produit·e·s bénévolement au Palace pour récolter des fonds destinés à aider les homosexuels tchétchènes cherchant refuge en France. C'était le deuxième concert d'Urgence Tchétchénie et TÊTU était présent.
[Mise à jour, 8 janvier 2018 : Retrouvez la lecture par Muriel Robin, en ouverture du concert, d'un texte de Philippe Besson.
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Ça grouille dans les sous-sols du Palace, nichés sous les pavés du faubourg Montmartre. On a rarement vu autant de têtes connues dans un si petit dédale. Vincent Dedienne termine sa chronique à l'autre bout de la capitale, Guillaume Mélanie, président de l'association Urgence Tchétchénie, multiplie les allers-retours. Le spectacle est censé démarrer dans dix petites minutes, mais peu de stress en coulisses. Les deux artistes derrière le duo Brigitte viennent d'arriver au maquillage, charriant avec elle leur garde-robe bohème. "On est très flattées d'avoir été conviées, nous glisse Sylvie Hoarau, même si ça nous parait dérisoire par rapport à ce qu'on sait de la situation." Avec Aurélie Saada, elles ont rencontré la petite troupe grâce à Patxi et vont interpréter "Palladium", single de leur dernier album. "C'est une chanson de consolation qui nous dit “Je suis là pour toi”."
Des sous pour vivre
Quasi silence dans les loges, lorsqu'arrive 20h30. Avant de donner de la voix, la dizaine de tête d'affiche a donné à l'association un objet qui lui est cher afin de nourrir la vente aux enchères qui précède le concert. Avec la vente des billets et les dons privés, c'est la seule source de financement de ce jeune collectif. Car si Urgence Tchéchénie n'a que quelques mois, elle ne balbutie plus : grâce à elle, plusieurs gays tchétchènes (donner de chiffres plus précis impacterait leur sécurité) ont pu trouver refuge en France ces six derniers mois puis être reçus en familles d'accueil trouvées par l'association. "Cet argent va permettre de financer la logistique et les transports, ainsi que de faire vivre ceux qui sont déjà-là, spécifie Benjamin Gauthier, à l'origine du mouvement. On leur verse tous les mois une somme pour qu'ils puissent manger, s'habiller, se déplacer ou pour compléter les aides de l'État lorsqu'ils ont le statut de réfugié", qu'ils obtiennent sans trop de difficulté, nous dit-il, étant donné leur petit nombre et leur insécurité. "On ne parle même pas de morts là-bas, rappelle sombrement Benjamin Gauthier. Un jour tu ne vois plus ton boulanger, ton chanteur... Les gens disparaissent."
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Sur scène, ça vend donc au public le bracelet de Christophe Willem, un morceau de Grand Canyon volé par Muriel Robin, le stylo-bille de l'écrivain Philippe Besson, une capote de Vincent Dedienne... Mais soit que le non-usage dudit préservatif déçoit, soit que la salle est timide : les deux chauffeurs de salle doivent renchérir avec un petit mot de l'humoriste pour conclure la vente. Viennent également plusieurs bracelets d'artistes et même un médiator d'Élodie Frégé. La rockeuse nous a confié que ce soir elle jouera "La ceinture" que lui avait écrite Benjamin Biolay en 2005, car elle a remarqué que parmi ses fans, les couples d'hommes l'appréciaient beaucoup. Dans les couloirs, on croise aussi Hugo Clément, ancien de Quotidien et petit nouveau de Konbini. Il a été le tout premier journaliste à interviewer Azamat, réfugié tchétchène arrivé sur le sol français grâce au concours du Réseau LGBT russe et d'Urgence Tchétchénie, car l'association avait fait confiance à sa bienveillance. "J'avais l'impression de rencontrer un prisonnier, dira sur scène le journaliste, un peu plus tard dans la soirée. Il avait le sentiment qu'il n'avait pas le droit de parler. Dans son pays, il faisait mieux de se faire passer pour terroriste qu'homosexuel."
Pour bien des artistes présents ce soir-là, c'est le surréalisme de la situation mêlé à la ferveur de Guillaume Mélanie et de Benjamin Gauthier qui les a poussés à s'engager sans hésiter pour l'association. "Je n'en croyais pas mes yeux", revient sur toutes les lèvres. La comédienne Camille Chamoux, en particulier, a été frappée par l'effet miroir lorsqu'à l'issue du premier concert donné par Urgence Tchétchénie, elle a pu rencontrer deux réfugiés tchétchènes : "C'est presque mythologique d'être poursuivi à mort parce qu'homosexuel. Et puis là, c'est toi. C'est un jeune prof de 29 ans, hyper branché et qui écoute la même électro que toi. Il n'y a pas le moindre exotisme." La chanteuse Rose avait déjà œuvré, en ouvrant son appartement à des familles roumaines pour leur permette de se laver, en militant pour la Fondation Abbé Pierre ou en devenant la marraine de plusieurs associations d'aide à l'enfance. Mais mettre le pied dans Urgence Tchétchénie l'encourage à aller plus loin. "J'ai envie de faire plus que de chanter ou de donner de l'argent. J'ai envie de donner de ma personne", insiste-t-elle en évoquant par exemple les maraudes.
"Ils ont horreur de ça, alors chantons"
Sous les projecteurs du Palace, le spectacle démarre en paraphrasant le leader Kadyrov :"Il n'y a pas d'homosexuels en Tchétchénie." Muriel Robin, la nouvelle marraine du Refuge, lequel héberge les jeunes LGBT sans domicile, ouvre la danse par un poème de Philippe Besson. "Ça arrive partout dans le monde, sauf là." L'humoriste a enfourché ses lunettes, et elle récit la gorge serrée. "Sauf si nous nous battons, si nous braquons le regard sur cette dictature", rythme son discours. "Ils ont horreur de ça, les bourreaux, qu'on chante. Alors chantons, et dansons." Le ton est donné, et c'est encore une gueule de la culture française qui lui succède : Benjamin Biolay. Puis Amir, Agnès Jaoui, Amanda Lear venue exprès de Rome, Jane Birkin, Joyce Jonathan, Vincent Delerm, Tim Dup, Les Innocents et plein d'autres. Les chansons s'enchaînent et c'est aussi l'émotion qui monte, comme lorsque Julie Zenatti reprend et sublime "Chandelier" de Sia, quand soudain le public vient spontanément à accompagner les paroles de "Si, maman si" ou qu'il souffle pour mimer le bruit de la mer et introduire les vocalises de Juliette Armanet chantant "L'amour en solitaire".
On rit aussi. Beaucoup. Sous les piques de Muriel Robin, d'Amanda Lear ou celles de Camille Cottin qui partage la scène avec Vincent Dedienne. Étincelle entre deux artistes dont on se dit qu'on aimerait bien les voir plus souvent en duo...
"On s'est rencontrés il y a longtemps, nous raconte en même temps qu'à Paris Match Camille Cottin, j'étais très enceinte, c'était dans un défilé de mode où on était côte à côte. On se disait qu'on trouvait les mecs bien canon. Et puis il s'est levé mais comme on était sur un banc et que je faisais 80 kilos j'ai failli chuter !" "Et là dans le péril, le danger... la menace, continue Vincent Dedienne, elle a crié mon nom : “Oh Vincent !”" Grande amie de Guillaume Mélanie, la présence de Camille Cottin en tant que marraine de l'association a du sens, tant on l'a vue à l'écran dans des productions gay-friendly, comme dans Toute première fois en compagnie de Pio Marmaï et de Franck Gastambide, mais surtout dans le rôle d'Andrea, agent de star lesbienne au sein de la série Dix pour cent. "Ce qui m'a plu dans ce rôle, c'est que c'était pas passéiste. L'homosexualité d'Andrea n'est pas le sujet, c'est ses déboires, ses difficultés à concilier sa carrière, ses problèmes d'infidélité. Et le fait que ce soit à la télé, sur France 2, à 20h30, que des enfants regardent, ça me touchait beaucoup."
Le Grand concert d'Urgence Tchétchénie sera diffusé à la télévision par le groupe Canal. Date à définir.
Pour aider Urgence Tchétchénie, une plateforme de financement participatif a été lancée, accessible ici.
Il est également possible de faire un don par chèque à l’attention d’Urgence Tchétchénie au 30 avenue Mathurin-Moreau, 75019, Paris (ordre Urgence Tchétchénie).
Pour être famille d’accueil, envoyez un mail à [email protected] en précisant votre ville, la durée et la situation d’hébergement (lit, chambre, dépendance…) possible.
Couverture : ©Julien Benhamou