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livrePhilippe Besson sur son premier amour : "On a l'obligation de devenir soi-même"

Par Adrien Naselli le 05/01/2018
Philippe Besson "Arrête avec tes mensonges"

Arrête avec tes mensonges, le roman à succès sur sa première histoire d'amour avec un certain Thomas Andrieu, sort en poche. L'occasion de revenir avec Philippe Besson sur les parcours de vie et ses engagements.

Philippe Besson a commencé à écrire tard, à 33 ans. À 50 ans, il a publié 18 romans. Ses chroniques dans les médias (notamment TÊTU avant la pause de 2015), ses amitiés politiques (avec Emmanuel Macron, à qui il a consacré le livre Un Personnage de roman sur les coulisses de la campagne présidentielle en 2017), et ses récents engagements contre l'homophobie (le documentaire Homos, la haine sur France 2, c’était lui, avec Eric Guéret) font de Philippe Besson un écrivain à part dans le paysage français.

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Sort aujourd'hui en version poche son émouvant Arrête avec tes mensonges, premier livre autobiographique paru chez Julliard il y a pile un an, consacré à l'histoire rocambolesque qui le conduisit à retrouver la trace de son premier amour. C'était au lycée de Barbezieux, une petite ville au nord de Bordeaux. Thomas Andrieu et Philippe Besson entretiennent une histoire sensuelle, passionnelle, mais totalement secrète. Interdit de parler d'homosexualité. Trente ans plus tard, Philippe croise le fils de Thomas... Sans en dire plus, la dédicace vous mettra l'eau à la bouche : "À la mémoire de Thomas Andrieu (1966-2016)". Au cours du récit, on apprend que la couverture du livre représente le fameux Thomas, photographié lors d'une escapade à deux, le dernier jour du lycée... Plongée dans les souvenirs.

Dans ce livre, vous dressez des parallèles avec tous vos romans, et même avec ceux que vous n’avez pas encore écrits… (« Un jour, j’écrirai sur les bateaux qui s’en vont… ») Que représente-t-il dans votre carrière ?

Philippe Besson : Ce livre marque une césure, une rupture. Il est différent de tout ce que j’ai pu faire avant. Et rien ne sera plus pareil après lui. Mais je n’ai pas théorisé cette rupture. Je n’ai pas, un matin, voulu cesser d’écrire des fictions, des mensonges. Cette histoire s’est imposée à moi. La rencontre avec le fils de mon premier amour amène l’écriture du livre. Tout à coup, il devient impérieux et nécessaire de raconter enfin cette histoire. Je n’ai pas eu le sentiment d’avoir le choix. Cela étant, quand j’écris de pures fictions, ça ne m’empêche pas de me raconter. Nul romancier ne peut écrire en faisant abstraction de sa vérité intime… Par exemple, cette obsession des disparus dans mes livres, je vois d’où elle vient ! Évidemment de l’histoire avec Thomas, mais aussi du fait que je suis un type des années 80 qui a vu beaucoup de ses amis mourir du sida, donc je vis avec mes morts, avec mes disparus, depuis toujours.

Avez-vous eu peur de parler de vous intimement pour la première fois, même si dans votre cas l’homosexualité n’est pas une révélation ?

J’aurais eu peur si j’avais eu le choix, mais, je le répète, cette histoire m’est vraiment tombée dessus. Une fois que le livre a été terminé, je me suis demandé : quel est le statut de ce texte ? Quels risques est-ce que je prends en écrivant cela ? Je me suis posé la question de ma propre impudeur, je me suis demandé si je mettais des gens en danger…

Vous avez beaucoup parlé des autres : Marcel Proust, Arthur Rimbaud, James Dean, Emmanuel Macron…

Oui, des gens dont le parcours est un défi à l’entendement, aux probabilités. Des gens à qui il est arrivé quelque chose de plus inventif, de plus incroyable que ce que proposerait n’importe quelle fiction. Ces gens-là sont la défaite du romancier, car il n’aurait même pas osé inventer leurs existences !

Vous renouez aussi avec l’histoire d’amour et les sentiments d’un adolescent, comme dans votre premier roman, En l’Absence des hommes. C’était d’ailleurs une rupture qui vous avait donné envie d’écrire ?

Ma vie était remplie par le jeune homme avec qui je vivais et tout à coup elle est devenue vide. Ce vide m’a fourni la possibilité d’écrire, le temps de le faire. Pour autant, je n’ai pas écrit sur cette rupture. La tradition, quand on s’attelle à un premier texte, est qu’il soit d’essence autobiographique. Moi, pas du tout. Au fond, j’ai fait le chemin inverse. J’aurai mis quinze ans à passer de la fiction au récit intime.

Thomas Andrieu était-il un peu voyant ? Vous vous attardez sur une de ses déclarations : « Parce que tu partiras et que nous resterons »

C’est une phrase terrible et parfaite. Thomas et moi sommes les produits d’un déterminisme social. Thomas est le seul garçon de la famille, fils d’agriculteurs, il doit reprendre la ferme, et il la reprendra. Moi je suis fils d’instituteur, on me dit que j’accomplirai de grandes études et que j’aurai un bon métier, je l’ai fait : j’ai fait une grande école, je suis devenu un juriste courant le monde. On a été des enfants disciplinés. Au fond, c’est ça qui est terrible : nous n’avons pas fait autre chose qu’obéir, à cet âge-là. Quand je me mets à écrire des livres, je quitte la voie tracée. Quand Thomas quitte femme et enfants, il bifurque aussi… Cela nous aura demandé des années avant d’y parvenir. On a l’obligation de devenir soi-même. Faire mon coming out quand j’avais 18 ans ne m’a posé aucun problème, mais dire à mon père à 33 ans que j’allais devenir écrivain, ça a été l’horreur !

"Tout m’est revenu car rien ne m’avait quitté."

Avez-vous pu facilement faire remonter les souvenirs ? On vous croirait hypermnésique ! Vous vous souvenez même de la marque des voitures.

J’ai une excellente mémoire, et il faut dire que cette histoire est tellement fondamentale, matricielle pour moi qu’elle me hante depuis le lycée. Tout m’est revenu car rien ne m’avait quitté. Pour autant, je me suis parfois demandé : cette mémoire est-elle exacte ou fantasmée, recomposée ?

Il y a une chose qu’on espère non fantasmée : c’est cette merveilleuse découverte de la sexualité entre Thomas et vous.

C’est tout à fait vrai ! Dieu sait s’il m’est arrivé d’avoir des expériences ratées mais pour le coup, l’histoire avec Thomas était une sorte de… truc parfait. C’est le moment où tout à coup, tout est bien. À ceci près que vous en êtes tenu à la clandestinité. J’étais fou amoureux de lui ! C’était le premier qui me choisissait, alors que moi je ne me serais pas choisi : le binoclard avec son pull jacquard, non merci ! Il y a une part de gratitude énorme dans cet amour.

"Je vois l’homosexualité comme un truc qui n’appartient qu’à moi."

Au début, vous écrivez que la découverte de votre homosexualité vous a réjoui : « Je ne suis pas du tout catastrophé par cette révélation. Au contraire, elle m’enchante […] Je ne vois pas de mal à se faire du bien »

C’était à l’âge de onze ans. Je comprends tout. J’ai l’intelligence de ça à ce moment-là. Je comprends que ça va me mettre à part, que ça ne va pas être facile, et en même temps ça me plaît infiniment car pour moi qui suis tellement normé et obéissant, je vois l’homosexualité comme un truc qui n’appartient qu’à moi.

Pensez-vous qu’il y a une forme de snobisme à se découvrir différent ?

Cela pourrait se concevoir. Je crois que toute personne qui subit une forme de discrimination soit s’écroule soit en tire un surcroit de détermination et le désir de prendre le dessus. Dans mon livre sur Macron, Emmanuel me dit : « On m’a craché au visage parce que je sortais avec une femme plus âgée. On a été des parias ». Quand on vous crache au visage, vous avez envie de dire aux autres : je vous emmerde.

Vous dites : « Il n’y avait rien qui fasse vendre dans ma vie ». Pensiez-vous par exemple à Edouard Louis en écrivant cela ?

C’est l’idée que les gens ont plutôt envie de lire ou de voir au cinéma une histoire accidentée, de violence, de revanche sur le sort… Moi, mon enfance, mon adolescence ont été cotonneuses et j’ai eu des parents aimants.

C’est fascinant de mettre en rapport ce que vous pensez adolescent, sur Patrice Chéreau par exemple, et ce qui s’est passé dans votre vie ensuite…

J’avais été bouleversé par L’Homme blessé en 1982. Et vingt ans plus tard, j’ai travaillé avec Chéreau sur l’adaptation de Son frère, mon deuxième roman. Ça m’a troublé. Au fond, l’écriture de ce livre, c’est comme poser tout le puzzle et voir l’image devenir très nette. Oui, cela m’a permis de rassembler des épisodes épars pour les dominer.

"Je suis devenu militant avec les années."

Dès 2011, vous avez soutenu l’ouverture du mariage avec l'association Isota (une initiative de Pascal Houzelot et Caroline Mécary). Un combat contre l'homophobie que vous avez embrassé jusqu’à Urgence Tchétchénie aujourd’hui. Êtes-vous un militant ?

J’ai une forme de paradoxe là-dessus. Je n’ai pas l’âme militante. Ce serait formidable de pouvoir affirmer un militantisme, mais non. Pendant longtemps, j’ai considéré qu’on exagérait, en France, la situation des homosexuels victimes d’homophobie, car j’ai horreur du discours victimaire. Et la réalité m’a rattrapé pendant le mariage pour tous, ça m’a rendu hystérique. C’est la violence des gens qui nous ont offensés, injuriés qui m’a rendu furieux. En 2014, en rencontrant des gens victimes d’homophobie, j’ai ressenti la nécessité de leur donner la parole de manière brute et c’est devenu le documentaire Homos, la haine avec ces neuf témoignages qui se succèdent. De même, les purges effectuées par le Président Kadyrov en Tchétchénie m’ont conduit à écrire un texte, lu par Muriel Robin. Je suis devenu militant avec les années.

Vous avez fait une excursion du côté de la politique avec Un Personnage de roman… Qu’avez-vous pensé des rumeurs sur l’homosexualité de Macron ?

J’en parle dans le livre. L’intéressé s’est demandé s’il fallait démentir ou pas. Je pensais que c’était une erreur de le faire ! Car dans la seconde qui suit, il y a une dépêche AFP et la rumeur quitte la fange des réseaux sociaux et acquiert une notabilité. Finalement, Macron a eu raison car son intervention a désamorcé le truc. Mais au-delà, que signifie cette rumeur ? Qu’un homme qui serait homosexuel serait disqualifié pour être président. Et qu’un homme amoureux d’une femme de vingt-quatre ans son aînée ne peut pas être "normal". C’est donc la rencontre de l’homophobie et de la misogynie. Et ce sont les clichés les plus éculés. Je pense qu’en démentant, Emmanuel Macron a fait une magnifique déclaration d’amour à sa femme.
 
>> Arrête avec tes mensonges, de Philippe Besson, éd.10/18 (format poche), 6,90€

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Photo de couverture : ©Maxime Reychman