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interviewIan McKellen : "Les homosexuels devraient prendre soin les uns les autres"

Par Romain Burrel le 25/05/2019
Ian McKellen

Il a été Richard III et Gandalf, passant avec une déconcertante facilité des planches de Londres ou de Broadway au fond vert d’un blockbuster hollywoodien. Sir Ian McKellen fête aujourd'hui ses 80 ans, et il est l’homme gay le plus cool de la galaxie. Le comédien nous avait accordé cette interview en 2014.

Dans Days Of The Future Past, énième épisode de la saga des X-men, Sir Ian McKellen enfilait une dernière fois le costume de Magneto. Ce n’est pas un hasard si l’acteur apparait au casting de cette saga qui se veut être une métaphore sur le sort des minorités. Car derrière son apparente frivolité et son élégance toute britannique se cache un activiste des droits des homosexuels qui a fait son coming-out dès les années 80. Et rien que pour ça, l’homme est à nos yeux un super-héros.

Vous vous apprêtez à monter sur scène, on ne vous dérange pas trop ?

Ian McKellen : N’oubliez pas que je suis un mutant, je peux faire des tas de choses ! (rires) Je joue actuellement deux pièces de théâtre ici à New York, En Attendant Godot, de Samuel Beckett et No Man's Land de Pinter. Je suis sur scène avec Patrick Stewart, qui joue le professeur X dans X-Men  !

Ça vous funambulesque de jouer Pinter ou Beckett au théâtre et Magnéto au cinéma? 

C’est précisément ça qui m’amuse ! Toute ma carrière, j’ai voulu me surprendre. Je n’ai jamais voulu me cantonner au cinéma, au théâtre ou la télévision. J’ai joué Shakespeare, Hitler et Gandalf ! J’ai eu des hauts et bas mais je me suis toujours débrouillé pour fuir l’ennui.

Qu’avez vous en commun avec ce personnage de super-vilain cruel et fasciste qu’est Magneto? 

Je ne trouve pas qu’il soit cruel. Qu’ai-je en commun avec lui? Pas grand chose, j’imagine. Il y a quinze ans quand Bryan Singer est venu me trouver avec le rôle de Magneto, il m’a dit « le comic sur lequel est basé le film est très populaire chez les jeunes Noirs, les jeunes Juifs et les jeunes gays car dans la vraie vie, la société ne les traitent pas si différemment que les mutants dans la bande dessiné. » C’est l’aspect politique dans ce récit fantastique qui m’a attiré. Alors si j’ai point commun avec Magneto, c’est peut-être cette envie de protéger ceux qui me ressemblent. Mais mon point de vue sur les mouvements des droits civiques est plus proche de celui du professeur X. Lui pense nous devons nous défendre les uns les autres mais aussi nous intégrer à la société.

Si vous étiez un mutant, quel genre de super-pouvoirs voudriez-vous posséder?

Probablement le genre de pouvoirs qui encourage les gens à se parler et à se comprendre. Ça existe chez Marvel ? Je ne suis pas intéressé par la destruction. C’est la création qui me passionne.

Vous qui êtes un activiste de la cause homosexuelle depuis tant d’années, vous n’avez jamais été tenté par des positions plus radicale ? Plus violente ?

Lorsqu’on vit en démocratie, on en accepte les règles. Quand j’ai fait mon coming out et que j’ai commencé à militer pour le mouvement gay en Angleterre, c’était pour changer une loi qui me semblait injuste. Certes, nous défilions dans la rue et faisions du vacarme mais nous n’étions jamais agressifs. Je pense que la violence est contreproductive. Et nous avons réussi à faire entendre notre voix et notre différence sans recourir à la violence.

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Dans ce nouvel épisode vous jouez aux cotés de l'actrice Ellen Page, qui vient de faire son coming out public lors un émouvant discours. En avez-vous parlé ensemble sur le tournage? Vous a-t-elle demandé conseil ?

Pas du tout ! Nous avons tourné le film il y a un an et à l’époque elle n’en parlait pas. Elle avait l’air d’être une personne très secrète. Nous n’avons pas vraiment eu le temps de devenir intime. Mais je suis très fier d’Ellen !

"Quand vous cachez votre homosexualité, vous n’êtes pas vous-même, vous n’êtes pas honnêtes vis-à-vis des autres. Cela brouille votre rapport au monde car vous tentez de dissimuler une partie de vous dont vous ne devriez pas avoir honte."

Chaque coming out est une victoire mais ceux des acteurs sont particulièrement important de part la visibilité qu’il procure…

C’est surtout important pour eux ! La plus belle chose avec le coming out c’est que votre vie change du tout au tout. Ce fut le cas pour moi. Peu après cette annonce, je jouais dans Oncle Vania, de Tchekov. Quand le texte le demandait, j’étais enfin capable de pleurer… Je n’avais plus aucun blocage émotionnel. Quand vous cachez votre homosexualité, vous n’êtes pas vous-même, vous n’êtes pas honnêtes vis-à-vis des autres. Cela brouille votre rapport au monde car vous tentez de dissimuler une partie de vous dont vous ne devriez pas avoir honte. Alors oui, le coming out est une chose merveilleuse.

Et bien sûr, quand vous le fait aux yeux du public, c’est très précieux car des tas de d’autres personnes vont se reconnaitre en vous et se sentir moins seul. Mais si vous êtes un prof ou un gamin à l’école et que vous assumez votre orientation sexuelle cela aura aussi un énorme impact sur les gens qui vous entourent. Je suis heureux de voir aujourd’hui de très jeunes gens qui assument leur sexualité. Ça rend les choses tellement plus simples. Lorsque j’ai fait mon coming out, j’avais déjà 49ans !

"C’est peut-être une de mes plus grandes fiertés. Je dis souvent en plaisantant que je veux qu’on grave sur ma tombe 'Ci-git Gandalf, il a fait son coming-out'."

C’était une autre époque. Et lorsqu’en 1988 vous révéliez publiquement votre homosexualité, c’est pour vous dresser contre une loi du gouvernement Thatcher qui voulait interdire « la promotion de l’homosexualité ». Aujourd’hui que vous inspire les lois anti-gays en Russie? 

Ce qui me frappe, c’est que les mots sont utilisés dans la loi anti-gay de Poutine sont les mêmes qu’on pouvait lire à l’époque dans le projet de loi gouvernement Thatcher et avant cela, dans les lois anti-gays des Etats Unis. Le mouvement anti-homosexuels a toujours existé, dans tous les pays. C’est pourquoi je crois vraiment que les homos devraient prendre soin les uns les autres. Ils faut se soutenir si on veut que de telles lois ne voient plus jamais le jour en France, en Angleterre mais aussi en Ouganda ou en Russie. Je ne connais mal la Russie mais je ne veux pas croire que cette politique soit le reflet de ce que pense les Russes. Cette loi est cruelle et dangereuse. Au moment de Sotchi, le Comité Olympique aurait dû condamner ces lois ! Tout comme les sponsors! Il faut faire savoir aux homosexuels russes qu’ils ne sont pas seuls.

Pour toute une génération de geeks, vous êtes l’incarnation du cool. Et le fait qu’ils admirent un homme gay qui s’assume pleinement n’est pas anodin...

C’est peut-être une de mes plus grandes fiertés. Je dis souvent en plaisantant que je veux qu’on grave sur ma tombe « ci-git Gandalf, il a fait son coming-out » (rires)

Dans X-Men vous jouez aux cotés de Patrick Stewart, l’un de vos meilleurs amis et dans la sitcom Vicious vous formez un vieux couple gay avec Derek Jacobi que vous connaissez celui l’université. on se demanderait presque si vous ne choisissez pas vos rôles pour avec vos amis…

Je ne vais pas vous mentir, c’est une partie importante même si ce qui m’intéresse en premier lieu reste la qualité du rôle qu’on me propose. Avant d’accepter un rôle je me pose une série de questions. La première : « Est-ce un film ou une pièce que j’aimerais voir moi-même? » Puis : « Est-ce un rôle que j’aimerais jouer ?»« Est-ce un rôle que j’ai déjà joué ? » Et enfin « Qui est le réalisateur et avec qui vais-je jouer? » Mais pour être tout à fait franc, on a énormément tourné avec En Attendant Godot, à Londres, New York, en Australie… je n’aurais peut-être joué la pièce aussi longtemps si ça n’avait pas été aux cotés de Patrick Stewart…

Puisqu’on parle de Vicious, ça vous amuse de jouer les vieilles folles ?

C’est jouissif ! J’ai vraiment hâte de tourner la deuxième saison. Elle est en cours d’écriture en ce moment on ne devrait pas tarder à commencer les lectures à Londres. Je n’avais jamais joué dans une sitcom auparavant, c’était une toute nouvelle entreprise pour moi.

Une dernière question, on vous a entendu sur un morceau des Scissor Sisters et vous jouez dans le clip de Heart des Pet Shop Boys, la musique ça ne vous a jamais titillé ? 

On dit que les meilleurs chanteurs sont souvent des acteurs mais je ne suis pas sûr que le contraire soit vrai. (rires) J’ai adoré faire ce morceau pour les Scissor Sisters, je l’ai même joué à la télévision avec eux ! Mais je vous rassure, vous ne verrez pas dans un musical sur Broadway. Je crains qu’il soit un peu trop tard pour ça…

Crédit photo : The Hafren