[PREMIUM] Depuis plusieurs mois, un compte Twitter privé publie des photos intimes obtenues via l'application de rencontres gay Grindr. Après avoir découvert le pot-aux-roses, plusieurs victimes présumées ont décidé de porter plainte.
"J'essaye de ne pas trop y penser, mais cette histoire m'a pourri. Je n’ai plus confiance en personne." A l'autre bout du fil, Damien*, un Bordelais de 20 ans, semble un peu désemparé. En juillet dernier, le jeune homme reçoit un coup de fil d'un ami : des photos de lui, dont certaines très intimes, ont été publiées sur un compte Twitter anonyme créé an avril 2019 et dont la description indique "Les lopettes de Bordeaux". "J'ai été voir et j'ai en effet trouvé des photos de moi et d'autres mecs aussi." Il sont alors plusieurs à signaler le compte - suivi aujourd'hui par une centaine de personnes, et passé en privé - auprès de la plateforme.
Mais comment ces photos ont-elles pu finir sur Twitter ? A en croire les victimes présumées interrogées par TÊTU, le modus operandi de cet individu est bien rodé : il va parler à des hommes sur l'application de rencontres gay Grindr avec un ou plusieurs faux comptes, discute avec eux, leur demande des photos avant de cesser brutalement toute communication.
"C'est ultra-violent"
Sur son compte Twitter, que TÊTU a pu consulter, il publie ensuite une ou deux photos du visage des hommes concernés et des photos intimes - de pénis ou de fesses -, divulguant parfois leurs comptes Instagram. Il ira même jusqu'à donner les noms et prénoms des parents et des frères et soeurs pour l'une des victimes présumées. En tout, une cinquantaine de personnes sont concernées. "On est tous tombés dans le panneau", souffle Damien.
Pascal* aussi "s'est fait avoir". "Je venais de me réinscrire sur Grindr après quelques mois de pause, détaille-t-il. J'ai envoyé quelques photos de moi et le mec m'a bloqué tout de suite." Quelques jours plus tard, un ami l'alerte que des photos de lui figurent sur le fameux compte Twitter. C'est le choc pour Pascal. "Je suis conscient que je n'aurais pas dû envoyer des photos de moi aussi facilement, mais c’est ultra-violent."
Au moins trois plaintes déposées
Même histoire pour Dylan et Adrien qui ont découvert les photos d'eux cet été. "Je lui ai demandé de les supprimer, nous explique Dylan. Il m'a répondu que, comme je les lui avais envoyées, il faisait ce qu'il voulait et que je pouvais m'estimer heureux qu'il m'ait donné une bonne leçon."
Trois d'entre eux ont déjà porté plainte au commissariat de Bordeaux pour "diffusion sans l'accord de la personne d'un enregistrement ou document portant sur des paroles ou images à caractère sexuel et obtenu avec son consentement ou par elle-même" et le quatrième devrait le faire dans les prochains jours. Damien nous a même confié avoir pris un rendez-vous avec un avocat.
Contacté par TÊTU au sujet d'une de ces plaintes, le parquet de Bordeaux nous a assuré ne pas en avoir eu connaissance, peut-être parce qu'elle ne leur serait "pas encore parvenue" tout en précisant que "si il y a plainte, il y aura une enquête sur ces faits."
"Revenge porn"
Toutes les victimes présumées contactées par TÊTU s'inquiètent que le détenteur de ce compte Twitter ne soit jamais retrouvé. Et du coup, jamais condamné. Me Nicolas Cellupica, spécialiste de la protection des libertés publiques et droits fondamentaux, martèle auprès de TÊTU que "Twitter ne répond quasiment jamais aux demandes des magistrats qui - malheureusement - se contentent du refus de l’entreprise américaine pour classer les procédures sans suite."
"En revanche, l’entreprise américaine accepte beaucoup plus fréquemment de communiquer les données des comptes à travers la procédure d’ordonnance sur requête faite par l’avocat, ajoute l'avocat. C’est assez rapide (entre 2 et 3 mois) mais cela représente des coûts non négligeables pour la victime : frais d’avocat, coût de traduction en anglais et coût de signification par huissier à Twitter qui a son siège européen à Dublin."
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Pour ces faits, pouvant être qualifiés de "revenge porn", l'auteur des faits risque "jusqu’à 2 ans de prison et 60 000 euros amende". Selon Me Cellupica, le fait que les photos aient été obtenues avec l'accord de la personne ou que le visage ne soit pas visible sur les photos de nu ne change rien. "Si le fraudeur ou délinquant a diffusé les photos du visage, il est ainsi aisé de faire un rapprochement entre le corps et le visage, à partir duquel la victime est identifiable.
Des conséquences bien réelles
Aujourd'hui, les victimes présumées sont partagées entre colère et tristesse : "Au début, dès que je sortais dans la rue, j’avais l’impression que tout le monde avait vu ces photos", raconte Adrien qui se souvient également d'une mauvaise expérience au commissariat. "Le gardien de la paix chargé de prendre ma plainte m’a tout de suite reçu avec un air fatigué, las. Il m'a demandé plusieurs fois ce que je cherchais sur cette plateforme en me demandant, d'un ton exacerbé, quel 'genre d'application c'était'.
"Dès que je me réveille, je regarde Twitter, confie aussi Damien. Je vis dans la peur constante que les photos sortent, sans pouvoir en parler à mes amis car j'ai trop honte (il réfléchit) je sais pas du tout comment je réagirais si ma mère tombait là-dessus ou qu’on lui envoyait."