Christophe Kocher est pasteur à Strasbourg. Dans l'église de Saint-Guillaume, il accepte de marier religieusement les couples de même sexe. Pourra-t-il continuer ? En novembre, l'Union des églises protestantes d’Alsace et de Lorraine devra trancher...
Avec sa lourde porte en bois, sa façade d’un blanc immaculé et son clocher couvert d’ardoises, l’église Saint-Guillaume s’illustre à Strasbourg pour sa sobriété. Une simplicité typique des édifices protestants construits au XIIIe siècle. Pourtant, en y regardant de plus près, un petit autocollant multicolore vient égayer le tableau d’affichage extérieur, un drapeau arc-en-ciel qui côtoie les annonces de récitals de piano et le programme des animations. Identifiée comme espace safe, la paroisse protestante du quartier étudiant de la Krutenau dispose en effet d’une « antenne inclusive » et accueille de façon inconditionnelle les personnes LGBT. Et depuis février 2017, elle est reconnue par le conseil presbytéral de Saint-Guillaume.
Un manifeste pour une Eglise ouverte
A la tête de cette commission truculente, Christophe Kocher. Fringant pasteur de 45 ans, qui est sorti de l’anonymat l’année dernière, en projetant dans son temple le film L’Exorciste. Père de trois enfants, séparé de son épouse pour son compagnon actuel au moment des discussions enflammées sur la loi Taubira, l’Alsacien avoue avoir suivi « de loin », les débuts de la Manif pour tous. « C’était une situation un peu sensible au vu de mon engagement professionnel », confie l’homme d’église qui a été ordonné en 1999.
Mais avec le durcissement du mouvement et « toutes les horreurs entendues », Christophe Kocher décide de sortir de sa réserve et co-écrit en 2013, « avec un petit groupe de pasteurs », un manifeste pour une Eglise ouverte et accueillante. « En tant qu’Eglise, notre rôle est d’écouter et d’accompagner les gens dans des situations de vie, sans jugements », développe-t-il.
Une célébration religieuse le jour de la gay pride
L’année suivante, le noyau dur de l’antenne inclusive de Saint-Guillaume décide de marquer le coup et ouvre l’église le jour de la gay pride pour une célébration religieuse inclusive, avant de rejoindre le cortège. Paroissiens, pasteur et sympathisants prennent alors place à côté des associations LGBT strasbourgeoises et brandissent haut leurs pancartes aux messages universels de paix : « Jésus aussi avait deux papas », Nous lisons la Bible gaiement » ou encore « Par la grâce de Dieu, je suis ce que je suis ». « Evidemment j’ai reçu quelques lettres anonymes qui m’ont annoncé que j’irai en enfer, ironise le pasteur. D’autres, plus drôles, espéraient me voir danser en string léopard sur un char. Mais à part ça, l’accueil a été très positif. Ça nous a encouragés à persévérer. »
Après l’adoption par le Parlement français du mariage pour tous, la question de bénir les couples de même sexe civilement mariés s’est rapidement posée au sein de l’UEPAL (Union des églises protestantes d’Alsace et de Lorraine) ; chaque paroisse étant invitée à prendre position. « Etant donné qu’on organisait déjà des célébrations, des rencontres et des conférences pour contextualiser et interpréter les six textes qui condamnent l’homosexualité dans la Bible, ma position était très favorable dès le départ. C’est un engagement en faveur de la reconnaissance inconditionnelle de la communauté LGBTI dans la foi », plaide Christophe Kocher.
Pour Christian Albecker, il faut accepter qu’il y ait « une relecture ouverte des Ecritures ». Le président de l’UEPAL parle d’une « dimension fondamentale » constitutive de la Réforme protestante. « Nous considérons en tout cas que toutes les paroisses devraient être inclusives et que tout le monde est le bienvenu, quelle que soit son origine ou son orientation sexuelle. »
« L’église nous tenait à coeur »
Depuis le mois de mai, deux couples homosexuels ont déjà reçu une bénédiction dans le temple strasbourgeois, à la demande du conseil presbytéral de Saint-Guillaume. Tiphaine et Laurianne, architecte et opticienne dans la vie, seront les prochaines : leur mariage est prévu au printemps prochain. « C’est vrai que l’église nous tenait à coeur. C’est une façon de montrer aux gens qu’on est vraiment mariées ! », insiste Laurianne, qui a reçu une éducation chrétienne, comme sa future épouse.
En couple depuis dix ans, les deux trentenaires n’avaient « jamais imaginé » pouvoir se marier religieusement. C’est en lisant un article de journal, l'été dernier, que Tiphaine découvre la paroisse inclusive Saint-Guillaume. L'architecte reprend espoir et demande la main de Laurianne. « On savait que c’était plus ouvert chez les protestants. Chez les catholiques, on se sentait rejetées, regrette Tiphaine. C’est désagréable de se dire qu’on est dans le pêché à chaque fois qu’on va communier. »
Après deux couples gay, Christophe Kocher a bien entendu accepté de bénir les jeunes femmes, même si quelques détails sont encore en négociation. « Le pasteur souhaiterait qu’on rentre ensemble, au même moment dans l’église. Pour moi c’est tout vu, c’est mon père qui m’accompagnera jusqu’à l’autel », sourit Laurianne.
"Nous avons évolué"
Reste désormais à savoir si le pasteur Kocher dirigera l’office en toute légitimité. « La question des mariages religieux n’est pas encore tranchée. L’UEPAL doit se positionner en novembre lors de la prochaine Assemblée de l’union [l’organe législatif de l’institution] », grimace-t-il. « Il est évident que ce débat n’aurait pas été envisageable du temps de Luther [au XVIe siècle, NDLR], mais nous avons évolué. Dans les églises protestantes, par exemple, il y a des femmes pasteurs et même évêques ! », rappelle Christian Albecker.
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« Pour moi l’enjeu est de continuer à avancer dans une voie sereine. Je pense que nous pouvons rester en communion, même en cas de désaccord sur la bénédiction des couples homosexuels, avance-t-il. Il faut en tout cas que la décision qui sera rendue soit acceptée, quelle qu’elle soit.» Prochaine étape importante pour la paroisse Saint-Guillaume, le vote du 16 novembre prochain, mais pas d’inquiétude pour Tiphaine et Laurianne : « Je me suis engagé à les bénir, alors je le ferai », tient à rassurer Christophe Kocher.