Ce que nous disent les nouvelles de Marcel Proust de son homosexualité

Par Guillaume Perilhou le 16/10/2019
Marcel Proust

Marcel Proust revient en cette rentrée avec de courtes nouvelles inédites, écrites dans sa jeunesse. Marcel a vingt ans et, « sous le voile d’une fiction transparente », y parle de son homosexualité. Décryptage. 

Bien sûr tout le monde savait. Du moins tous ceux qui aiment Marcel Proust. Mais jamais l’écrivain national, qui obtenait le prix Goncourt il y'a maintenant cent ans, n’avait peut-être si clairement écrit l’amour du même sexe. C’est qu’au départ Proust voulait s’atteler à un essai sur la « pédérastie ». Pas facile à publier, vous me direz, à l’orée du XXe. Mieux valait la fiction. Alors entre ces neuf nouvelles, l’homosexualité tire un trait d’union.

Le Mystérieux correspondant, qui donne son titre au recueil, est l’une d’entre elles. Un mystérieux correspondant qui est en fait une correspondante, Christiane, qui déclame son amour à Françoise. « Madame, Il y a longtemps que je vous aime mais je ne puis ni vous le dire ni ne pas vous le dire. Pardonnez-moi. Vaguement, tout ce qu’on m’a dit de votre vie intellectuelle, de l’unique distinction de votre âme m’a persuadé qu’en vous seule je rencontrerais après une vie amère la douceur (…) Mais cela ne me suffit plus. C’est votre corps que je veux ».

Selon Luc Fraisse, professeur de littérature qui a commenté l’ouvrage, il y a chez Proust, à cause de l’homosexualité vécue douloureusement, « le malheur de ne pas être aimé et la certitude que ce malheur initial occupera toute la vie ». Les personnages aiment à sens unique, l’amour est impossible. Reflet évident de son temps.

Fantasme militaire

Dans la nouvelle Souvenir d’un capitaine, Proust écrit à la première personne du singulier : l’histoire pourrait être tirée de son propre service militaire, qu’il fit en 1889 et 1890 à Orléans. Un capitaine parle amoureusement d’un brigadier. « Il exerça sur moi une séduction tout à fait mystérieuse et je me mis à faire attention à mes paroles et à mes gestes, essayant de lui plaire et de dire des choses un peu admirables (…) Je sentis que le brigadier m’écoutait, et il avait levé sur nous d’exquis yeux calmes, qu’il baissa vers son journal quand je le regardai. »

Un thème abordé donc très tôt, qu’il explorera plus tard, dans Sodome et Gomorrhe : « C’est si beau, le moment où Carlos Herrera demande le nom du château devant lequel passe sa calèche : c’est Rastignac, la demeure du jeune homme qu’il a aimé autrefois. »

Son désir comme une malédiction

Il y en eut plusieurs des jeunes hommes dans la vie de Proust : le compositeur Reynaldo Hahn, le premier amour ; le poète et critique littéraire Robert de Montesquiou, le snob aussi agaçant qu’inspirant… Montesquiou muse de son premier ouvrage, Les Plaisirs et les jours, recueil de poèmes en proses et de nouvelles aussi. Celles du Mystérieux correspondant auraient pu y figurer, mais Proust, nous dit Luc Fraisse, « n’a pas voulu insérer aux Plaisirs et les jours un sujet dominant » - celui de l’homosexualité. Elles tombèrent dans l’oubli, acquises par l’éditeur Bernard de Fallois dès les années cinquante qui avait fait paraître Jean Santeuil et Contre Sainte-Beuve, également antérieurs à la Recherche.

C’est pourtant émouvant de lire un siècle après celui qui n’a vécu ses désirs que comme une malédiction, et qui a, tout au long de sa vie, inventé à ses compagnons de papiers des amours « inverties ». Aurait-il été heureux aujourd’hui ? La dernière nouvelle est titrée C’est ainsi qu’il avait aimé… « Le temps comme la mer emporte tout, abolit tout, et nos passions, non pas dans ses vagues, mais sous la calme, l’insensible et sûre montée de son flot comme des jeux d’enfant. »

 

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