Il reste quelques jours pour aller voir "Un jardin de silence", pièce musicale dans laquelleThomas Jolly met à nu Barbara et donne à voir la chanteuse entièrement sans se contenter de la tristesse et de la mélancolie de ses mélodies.
Créateur de spectacles furieux, Thomas Jolly aime les monstres. Après les rois cinglés de Shakespeare et les familles cannibales de Sénèque, c’est à un monstre sacré qu’il s’attaque avec "Un jardin de silence" : Barbara, la grande dame en noir de la chanson française, qui reprend vie, ou presque, le temps d’un spectacle à trois voix. Sur le plateau nu, le compositeur Babx au piano et lui, l’acteur délicat, entourent la chanteuse L, de son vrai nom Raphaëlle Lannadère, pour recréer, le temps d’un spectacle en forme d’enquête, les beautés et les mystères de l’interprète de “Göttigen”.
Comme les drag-queens
“Il y a des rencontres qui font des œuvres. Raphaëlle avait cette envie de raconter, de questionner sa relation profonde, intime, compliquée, envahissante, intimidante avec les chansons de Barbara, avec ce qu’elles représentent, et elle m’a proposé de créer ce spectacle avec elle", explique Thomas Jolly, 37 ans, trop jeune lui aussi pour avoir connu la chanteuse sur scène.
"Si Barbara m’intéresse, ce n’est pas tant personnellement – je ne suis pas un fan – mais bien en tant que monstre, en tant que figure théâtrale. Je suis très touché par la façon qu’elle avait de s’habiller, de se mettre en scène, de se maquiller avec ce visage blanc, ses lunettes noires... Elle enfile un costume pour dire sa vérité. Un peu comme les drag-queens, elle s’est mise en scène, s’est inventé une image pour pouvoir dire qui elle était.”
Un spectacle théâtral
Ce spectacle théâtral déconstruit, en somme, le petit théâtre de Barbara, cherche la femme derrière les chansons, les mélodies, les attitudes et les bons mots d’une figure bien moins saturnienne qu’on ne le pense. “Elle était drôle, Barbara, ludique, insolente. Elle joue tout le temps, elle est elle-même tout en étant une autre. Les gens les plus tristes sont souvent les plus drôles. Barbara en avait fait une élégance. On l’a figée en noir et blanc, mais c’est bien plus que cela”, continue le metteur en scène.
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Joueur et mélodique, le spectacle refuse d’être un mausolée pour chanteuse iconique. Pour Thomas Jolly, Barbara est avant tout le fantôme vivace d’une artiste totalement engagée dans son art, refusant le “fonctionnariat du métier, cherchant encore et toujours à se réinventer et à être dans le désir”. Elle devient un modèle pour cet acteur/metteur en scène ultra sollicité, toujours en quête lui aussi d’une exigence artistique, qui voit à travers l’œuvre et la femme le portrait total d’une vie d’artiste.
La dame en noir à nu
“Barbara est apparue à une époque où on aimait encore les « interprètes », ces artistes comme Brel, Ferré, Piaf, qui poussaient les choses un peu plus loin que la vie sur la scène, soutient-il. Elle a quelque chose de profondément exceptionnel. Sur scène ou en interview, il se passe toujours quelque chose. Malgré les costumes, les maquillages, elle s’offre complètement nue sur scène.” Cette nudité, quelque part entre le cru et la pudeur, a guidé la mise en scène et la construction de ce spectacle. C’est l’esprit d’une artiste, son aura, les rémanences éternelles de sa présence que traque Jolly avec ce trio. Plusieurs voix, plusieurs arts pour saisir un fantôme fuyant caché derrière l’astre noir de la mélancolie.
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Mais pour Thomas Jolly, la tristesse légendaire des chansons de Barbara fonctionne à la manière des tragédies grecques où l’on pleure et s’effraie exprès, comme pour se regarder en face. “Barbara la femme, Barbara la chanteuse révèle nos humanités. Par ses excès, par son intelligence, par ses engagements, par ses mots, elle nous questionne sur ce que c’est qu’être au monde, défend le metteur en scène avec son lyrisme habituel. Quand on écoute ses chansons, on est au plus près d’elle-même et de nous.” Ni théâtre documentaire édifiant, ni spectacle hagiographique façon biopic best of, Un jardin de silence donne à redécouvrir Barbara par la poésie d’un dialogue entre vivants et morts, théâtre et musique, spectacle et pudeur.
"Un jardin de silence", mis en scène par Thomas Jolly, jusqu'au 3 novembre à La Scala à Paris. A partir de 13 euros.