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artPourquoi il est temps de (re)découvrir Peter Berlin

Par Romain Burrel le 26/11/2019
Peter Berlin

Un livre passionnant remet un coup de projecteur sur Peter Berlin, légende de l’homoérotisme des années 70. Carte postale d’un temps où la sexualité gay était révolutionnaire et absolue.

Une blondeur iconique. Une coupe de cheveux façon Mireille Darc. Un corps de super-héros, comme dessiné par Tom Of Finland. Un bulge indécent, arboré comme un parechoc de chevrolet. Peter Berlin aura incarné mieux que personne la parenthèse enchantée des années 70, juste après la révolution sexuelle et avant la crise du sida.

Acteur porno, photographe, modèle et metteur en scène de sa propre sexualité, Berlin est une légende de l'homoérotisme. Et c’est cette légende que revisite un livre, sobrement intitulé « Peter Berlin: Icon, Artist, Photosexual », qui vient de paraitre chez l’éditeur italien Damiani.

Pourquoi il est temps de (re)découvrir Peter Berlin

Poutre apparente

Même avant qu'il ne devienne l’un des plus grands sex-symbols gays de l’histoire moderne, la vie de Berlin tenait déjà du romanesque. Né en 1942, à Łódź, en Pologne, le garçon, de son vrai nom Armin Hagen Freiherr von Hoyningen-Huene est l’héritier d’une noble famille de diplomates et d’artistes comme le photographe de mode George Hoyningen-HueneIl commence sa carrière en tant que photographe pour un magazine télé allemand.

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Homo assumé à l’appétit sexuel vorace, le jeune Armin commence à draguer dès ses 16 ans dans la forêt de Grunewald. A cette époque, des centaines de garçons courent la nuit ce bois de l’ouest berlinois à la recherche de plaisirs furtifs et discrets. Ce goût prononcé pour le cruising et l'aventure conduira Peter à errer dans les gares et les parcs de Rome, de Paris ou de New-York. Toujours dans les mêmes tenues abusivement provocantes qu’il dessine et fabrique lui-même. Cousant à même ses formes avantageuses les pantalons les plus moulants possibles. Cul enserré. Poutre apparente.

Attiré, comme des milliers d’autres homosexuels à travers le monde, par le vent de liberté et les effluves de sperme, il s’installe à San Francisco dans les années 70. Là-bas, sa beauté germanique et sa dégaine outrageusement sexy ne passent pas inaperçues. San Francisco bande dur pour le jeune aristocrate allemand qui arpente les trottoirs et les lieux de baise avec une démarche aguicheuse.

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Un hit du porno

Sans mal, le réalisateur Richard Abel le convainc de jouer le rôle principal de son prochain un film porno. Tourné en 16mm,  Nights in Black Leather sort en 1973 devient instantanément un hit du hardcore undergound. Mais Berlin n'a pas besoin de pygmalion. En 1974, il se dirige lui-même dans son propre film That Boy (1974) pour un succès tout aussi retentissant. En tout et pour tout, Berlin aura seulement tourné dans deux films véritablement pornographiques. Ceux-ci suffiront à installer durablement sa légende.

A l’heure où les tubes dégueulent de porno, où le X gay est à portée de clics, difficile de se souvenir ou d’imaginer une période où la pornographie se méritait. Où il fallait allait la débusquer dans des vidéostores peu avenants. Une époque où les photos de corps dénudés ne s'espéraient que par la poste et sous pli discret. Une époque dont Peter Berlin fut le héros.

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Pourquoi il est temps de (re)découvrir Peter Berlin

Muse de Tom Of Finland et Robert Mapplethorpe

40 ans avant Instagram et Onlyfans, Berlin s'adonne déjà au selfie chaud. Il se prend lui-même en photo. Des autoportraits au narcissisme assumé et à la gloire de sa jeunesse sublime. Agacé par le vide laissé parfois dans le cadre, Berlin apprend à maitriser la technique de la double exposition pour apparaitre deux fois sur la même image. Deux fois plus de Berlin. Deux fois plus de plaisir. Ses tirages argentiques, qu'il peint ou crayonne parfois, font les belles heures d'une presse érotique gay balbutiante et s'échangent à prix d'or chez les collectionneurs.

Pourquoi il est temps de (re)découvrir Peter Berlin

Berlin est aussi une muse. Il inspire le dessinateur Tom Of Finland qui accentue encore ses formes viriles, son corps racé, son énorme paquet. Il pose également pour Robert Mapplethorpe. La collaboration sera courte mais efficace. De toute façon, "le SM n'est pas son truc", avouera plus tard Berlin. Et contrairement à Mapplethorpe, le modèle-photographe ne rêve ni de gloire, ni d'argent :

"Je ne me suis jamais perçu comme un artiste. Je voulais juste prendre des photos de moi où j'avais l'air joli. Je vois mes photos comme un journal visuel. 'Je me disais: aujourd'hui, je me sens bien, je me sens excité — Je prenais une photo.' Je n'avais aucune intention qui dépassait le lendemain. Je n'avais jamais eu ce que Robert Mapplethorpe avait : il voulait être riche, célèbre. Quand tu sais ce que tu veux, les lignes directrices sont là, il n'y a qu'à les suivre. Moi, je n'ai jamais su ce que je voulais dans la vie" confiait récemment le photographe-modèle dans une interview.

Pas de plan sur la comète. Pas de prétention artistique. Aucune intention de laisser derrière lui une oeuvre cohérente. Juste, l'envie d'incarner totalement et sans complexe sa sexualité et son désir. L'air de rien, le pornocrate laissera derrière lui une oeuvre colossale et fascinante.

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"Un monde très frustré"

Au-delà de leur composition toujours parfaitement équilibrée, ce qui sidère dans ces images se sont leur  puissance érotique. L'hypersensualité de Berlin n’est jamais feinte. Jamais surjouée. Berlin l'assumait sans complexe ses désirs. Avec une certaine candeur, même. Dans l’excellent documentaire "That Man- Peter Berlin", sorti en 2005, le réalisateur John Waters décrira le modèle en ces termes : "Il n’y avait pas d’ironie dans sa démarche. Il n’était pas campy. Ou kitsch. Je ne le croisais jamais à des événements artistiques. Ou dans les bars branchés. Je le voyais toujours dans une mise en scène sexuelle. Même si c’était au milieu de la journée et en plein centre ville déambulant sur Market Street."

Ce qu'on lui reproche, c'est de redéfinir les normes de la virilité. Et, crime plus grave encore, de s'approprier des codes depuis toujours réservés aux seules femmes. Dans une interview accordée en 2015 au site du très branché magazine Paper, le modèle se souvenait "A l'époque, c'était si inhabituel qu'un homme fasse ce que les femmes faisaient depuis des siècles. Vous savez, avec les robes serrées et la poitrine en avant. Mais qu'un homme ose fait la même chose, tout le monde criait "Oh mon Dieu !" C'est ainsi que j'ai réalisé: "Je vis dans un monde vraiment stupide. Un monde très frustré, un monde tordu."

"Je sais que le plus gros problème sur cette planète, c'est la sexualité masculine."

En 2020, on manque cruellement de nouveaux Peter Berlin. Dans le porno gay ? Il a longtemps que cette industrie a renoncé à être une forme d'art. Sur les réseaux sociaux ? Ce n'est pas les politiques de modération d'instagram qui permettraient l'émergence de tels héritiers...

Malgré les avancés majeures que sont la dépénalisation de l'homosexualité, le PACS le mariage pour tous, la société a toujours du mal avec la représentation de la sexualité homosexuelle. Les timides bisous gays échangés dans les séries Netflix ne remettent pas en question l’hétérosexualité hégémonique. Au contraire, ils la ménagent. En revendiquant aussi ouvertement sa libido, Berlin a envoyé valser le bastingage des normes.

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"Le Greta Garbo du porno gay"

Mais son plus grand tour de force, c'est encore d'avoir survécu. Contrairement à des tas d'autres héros de cette époque, la légende de Berlin ne s'abîme pas dans la mort ou la maladie. Il a miraculeusement survécu à l’épidémie. Aujourd'hui âgé de 76 ans, "le Greta Garbo du porno gay" vit toujours à San Francisco "tel une vieille dame nourrissant les pigeons", plaisante-t-il dans une récente interview à Document journalOn l'a récemment aperçu à New York lors d'une signature de ce nouveau livre. Il arbore toujours la même coupe de cheveux mais pose un regard amer sur son héritage : 

"Je ressens surtout de la tristesse. Ma théorie est que toute la misère sur cette planète est due au fait que les hommes soient incapables d'exprimer leur sexualité à la manière de Peter Berlin. Voilà où j'ai l'impression d'avoir échoué. Dans mes fantasmes, j'ai toujours ressenti que je pouvais rendre le monde meilleur, et maintenant, je réalise que nous retournons tous au Moyen-Age. L'humanité a besoin d'éducation. Je me vois comme un professeur avec certaines idées et un peu d'expérience. Je sais que le plus gros problème sur cette planète, c'est la sexualité masculine."

Crédits images : Damiani editore