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BrésilAu Brésil, ce cabaret queer résiste encore et toujours à Bolsonaro

Par Guy Pichard le 23/12/2019
Brésil

Sous Bolsonaro, les personnes LGBT brésiliennes vivent des heures difficiles. Mais certains lieux, comme ce cabaret de Sao Paulo, font de la résistance...

Il est à peine 20 heures dans le centre-ville de São Paulo, au Brésil. La nuit est tombée mais comme tous les soirs à la même heure, le Cabaret da Cecilia ouvre ses portes. En journée, aucun indice n’indique l’établissement, une maison jaune, comme tant d'autres, dans cette rue du quartier de Santa Cecilia. Ce n’est qu’à la nuit tombée que les choses opèrent… La foule se presse à l'entrée. Il faut d’abord donner son nom et son numéro de téléphone au personnel d’accueil. Pour des raisons de sécurité, surtout.

« Le Brésil est le pays où l’on assassine le plus de travestis et de transgenres au monde. Ici au cabaret, on veut surtout être un endroit d’accueil, d’amour et de tendresse » annonce tout de suite Tiago, le co-fondateur du lieu. A 34 ans, le jeune homme a déjà un riche parcours dans le milieu des arts, du journalisme mais aussi du monde de la nuit à São Paulo. Avec son associée Priscila, cela fera bientôt deux ans (en février prochain) qu’ils ont ouvert ce lieu unique. Ce soir, 4 artistes vont se succéder sur la petite scène située dans la cave plongée dans la pénombre. Et toutes les chaises sont occupées...

3 shows quotidiens

Le cabaret doit son nom au quartier qui l’abrite, Santa Cecilia. Plutôt populaire, ce coin de la ville est éclectique et accueille de plus en plus d’artistes. Quand cette maison abandonnée a été choisie, 17 mois de travaux de rénovation ont été nécessaires. « La cave était par exemple une zone inondable. Il y a une rivière en dessous cette rue, nous l’ignorions ! A la veille de l’ouverture, de fortes intempéries ont eu lieu et la cave a été inondée sous un mètre d’eau… » détaille Tiago. Des péripéties climatiques qui ont permis aux deux associés de mûrir l’idée d’un cabaret, pour proposer quelque chose d’unique et de nouveau dans cette partie du Brésil.

« Nous sommes bientôt dans les années 20 après tout ! Il y a maintenant 100 ans, les cabarets démocratisaient la culture qui sortait des normes. Cela colle finalement très bien avec notre époque actuelle ici au Brésil » continue Tiago. La décoration et l’ambiance, surtout du rez-de-chaussée composé du bar et d’un salon,  épousent en effet parfaitement avec cette idée de nostalgie innovante.

Au Brésil, ce cabaret queer résiste encore et toujours à Bolsonaro

Les antiquaires de la ville ont servi de base pour l’aménagement du lieu, imaginée par le mari du patron, dj et artiste plasticien. Pouvant accueillir une centaine de personnes les soirs de grandes affluences (le jeudi particulièrement), le cabaret propose au minimum 3 shows quotidiennement.

Un espace de résistance

Ce soir, la première en piste est Heloisa Lucas, qui chante Nina Simone et Amy Winehouse. Tiago est le maître de cérémonie et présente chaleureusement chaque artiste. « Ouvrir cet espace était un acte politique » répète Tiago. Toute la programmation du cabaret se veut dans cette idée de résistance : théâtre, jazz, blues, strip-tease,  burlesque, performance de drags mais le tout avec des militants des droits humains, de la cause noire, des féministes, LGBT…

« Après les élections, on a par exemple ressenti une pression nouvelle de la police, notamment au sujet du bruit. Aujourd’hui, nous nous devons d’être encore plus vigilants quant au respect des lois » explique le patron du cabaret. S’il n’est pas rare qu’une voiture de police protège le lieu, aucun incident n’a jamais été à déplorer jusqu’à maintenant. Ce soir, c’est un vigile tiré à quatre épingles qui supervise l’entrée…

En bientôt deux ans d’existence, l’endroit a vu passer 35.000 personnes selon la direction. Les conséquences de l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite sont ailleurs, plus insidieuses. Sur les réseaux sociaux du cabaret, la parole s’est libérée, avec des commentaires homophobes et les menaces qui se sont multipliées. 

Une élection qui unit les minorités

C’est bien là tout le paradoxe de l’avènement au pouvoir de l’ancien capitaine de l’armée et nostalgique de la dictature… les militants des droits humains ont convergé. Un constat que partage Alexandre, quadragénaire, habitué et drag-queen : « Bolsonaro et son gouvernement s’en prennent aux arts de manière générale au Brésil. Je me sens doublement attaqué actuellement, en tant qu’artiste et en tant que gay. Depuis son élection, il a unifié la communauté LGBT du pays et pour cela, je l’en remercie ! ».

Au Brésil, ce cabaret queer résiste encore et toujours à Bolsonaro
Un discours fort face à un pouvoir en place qui a supprimé le Ministère de la Culture, coupé arbitrairement bon nombre de subventions publiques dans les arts et multiplie les attaques à l’encontre des défenseurs des droits humains. « C’est comme si nous étions tous mariés aujourd’hui. Quand mes amis se rendent dans un club ou un spectacle, on communique systématiquement pour savoir si tout va bien. Au cabaret je me sens en sécurité, nous pouvons parler librement » continue Alexandre.

Un cri poétique et artistique 

Sur scène, Chica Didi, drag-queen, a déjà démarré son spectacle plein de vigueur pour le plus grand plaisir des spectateurs. A l’étage, accoudée au bar, Cintia, la trentaine, humoriste sur Netflix Brasil et homosexuelle, confirme les propos d’Alexandre : « la peur est toujours très présente dans ma vie d’artiste. En tant qu’humoriste c’est ma liberté de parole qui est menacée. Comme lesbienne, j’ai peur pour ma vie elle-même ! Dans mon cas, je suis considérée comme blanche, de classe moyenne haute, qui vit bien au centre de São Paulo c’est beaucoup plus facile, les lgbtq+ qui sont dans les favelas souffrent par exemple beaucoup plus ! ».

Retour en bas, où l’énergie de Chica Didi a cédé la place la folie d’Indiany, une amérindienne de plus de soixante ans simulant un accouchement sur scène d’une poupée au pénis déjà bien formé… Le public, entre stupeur et hilarité, verra la soirée se terminer avec la grâce de Maura Ferreira. Cette transsexuelle,  la cinquantaine, opérée depuis 3 ans et présentée ainsi par le maître les lieux, conclut cette soirée, âpres en avoir assuré le début à l’accueil. Son répertoire du soir, sublimé par la douceur de son interprète, est constitué  de fado, ce genre musical mélancolique si cher à la culture lusophone…

Avant de fermer le cabaret, Tiago eut le mot de la fin : « Notre meilleur moyen de lutter et de résister actuellement est d’exister. Notre cri se veut poétique et artistique ».