police"J'ai le sida, tu vas crever" : ce que dit cette affaire de violence policière sur le rapport de la société au VIH

Par Antoine Patinet le 20/01/2020
VIH

Pour justifier un coup sur un manifestant immobilisé, le syndicat Alliance a expliqué que l'individu aurait craché du sang au visage du policier, en disant "J'ai le sida, tu vas crever". Une phrase qui en dit long sur les clichés qui persistent sur le VIH et les personnes séropositives...

C'est une vidéo qui fait la Une de l'actualité. On y voit un policier frapper de son poing un manifestant, déjà en sang et maintenu au sol. Cette interpellation sanglante à eu lieu samedi, lors d'une manifestation des gilets jaunes, aux abords de la Gare de l'Est. Et ce "coup de grâce" alors que l'interpellé semblait déjà immobilisé a particulièrement choqué les internautes.

"J'ai le sida, tu vas crever"

Face à l'ampleur de la polémique, le porte-parole du principal syndicat policier Alliance, Stanislas Gaudon a réagi dimanche sur plusieurs chaînes d'info en continu comme franceinfo, en expliquant que la vidéo avait été "sortie de son contexte". Il en a profité pour donner sa version du récit des évènements. "Il s’agit d’un individu qui n’était pas là pour manifester puisqu’il participait à ce qu’on appelle un attroupement armé à visage dissimulé" explique-t-il, avant de raconter que "l'individu avait une blessure à la tête, et lorsque mon collègue a voulu lui porter secours, cet individu a craché du sang au visage, à deux reprises, du collègue. Et vous savez ce qu'il a dit ? Quels ont été ses propos ? 'J'ai le sida, tu vas crever'. Voilà le contexte de l'interpellation". 

Le jeune manifestant a nié cet après-midi cette version donnée par les policiers, par la voix de son avocat. Ce dernier a dit que son client était "en état de choc et abasourdi" et a également réfuté être atteint du sida et avoir menacé les policiers de contamination en leur crachant dessus. Le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, a confirmé que l'IGPN, la police des police, avait été saisie, et assuré que "s'il y a une faute, elle sera sanctionnée." Il ne s'est toutefois pas exprimé sur la "circonstance atténuante" avancée par le syndicat policier...

Réactions sérophobes

Pourtant, cet "argument" sérophobe - qui ne devrait pas être utilisé par un syndicat policier - a provoqué la colère de plusieurs militants de la lutte contre le VIH/sida, notamment le président d'Act Up-Paris, Marc-Antoine Bartoli, ou encore du bloggeur Fred Colby, qui ont pointé du doigt l'irresponsabilité des médias de partager cette information sans faire le moindre rappel préalable sur plusieurs faits connus sur la séropositivité, entraînant les réactions les plus virulentes et sérophobes. "L'agression au sida serait-elle une arme nouvelle des militants d'extrême gauche" tweete par exemple un internaute.

"C'est extrêmement grave d'avoir affaire à ce genre de propos, s'indigne le président d'Act Up-Paris, contacté par TÊTU, et de voir qu'ils sont repris dans les médias, même dans un média de service public comme franceinfo sans aucune information éclairée sur le sujet." Un avis partagé par le président de l'association Aides, Aurélien Beaucamp pour qui "utiliser cet argument, de la part de l'une ou l'autre des parties, c'est quand même effarant. Ca met en lumière les croyances fausses qui persistent sur le VIH, le sida, la séropositivité, et les modes de contamination. Ca montre que la représentation sociale est tellement forte qu'elle prime sur tous les messages de prévention que l'on assène depuis des années."

"Cela rappelle les pires heures de la lutte contre le sida, s'indigne Marc-Antoine Bartoli. Quand la police ne voulait pas manipuler les séropositifs sans gants. C'est stigmatiser toute une population en les considérant comme des bêtes intouchables. C'est clairement la même rhétorique que quand Le Pen voulait créer des sidatoriums pour que les personnes atteintes du sida crèvent dans l'indifférence générale." 

Des définitions basiques qui ne sont pas intégrées

Leur journée, les assos de lutte contre le VIH l'ont donc passée à matraquer leur message sur les réseaux sociaux, pour tenter d'enrayer les fausses informations que propage cette prise de parole du syndicat Alliance. "Non, on ne devient pas séropositif en crachant au visage de quelqu'un. Même s'il y a du sang dans notre salive. Le virus, s'il passe cinq à dix secondes à l'air libre, ne survit pas" martèle Aurélien Beaucamp. Ils ont également rappelé ce principe simple : une personne séropositive sous traitement, qui a donc une charge virale indétectable, ne transmet pas le VIH (indétectable = intransmissible). Mais aussi que vivre avec le VIH, être séropositif, ne voulait pas dire avoir le sida. Et qu'une personne séropositive qui dispose d'un traitement a la même espérance de vie qu'une personne séronégative. Des "définitions basiques" que tout citoyen devrait connaître. Sauf que...

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"Il y a encore d'énormes lacunes dans la société sur les termes à employer, notamment sur l'indétectabilité de la charge virale des personnes séropositives sous traitement, et sur les avancées thérapeutiques et médicales, se désole le président d'Act Up-Paris. Les assos essaient de faire le job d'information, avec des séminaires, des interventions dans les écoles... Mais il faudrait que le ministère de la Santé fasse de vraies campagnes de sensibilisation, des messages clairs qui passent chez les jeunes. Quand on entend 'on guérit du sida' je tombe des nues... Comment peut-on laisser passer ça ? C'est pas un rhume, c'est une pathologie longue durée."

"Le VIH est encore un sujet"

Du côté de chez Aides, Aurélien Beaucamp abonde : "A force de dire que le sida se soigne, on ne fait plus de campagne de prévention. Mais l'Etat doit prendre sa responsabilité. Cet évènement prouve que les mentalités n'évoluent toujours pas. Il faut refaire tout ce qu'on a fait par le passé, et peut être y aller beaucoup plus fort. C'est une preuve que le VIH est encore un sujet." 

Faut-il y voir un échec de la prévention ? "Je n'irais pas jusque là, pondère Aurélien Beaucamp. Mais on s'est satisfait d'un contrôle de la pathologie. Les assos n'ont pas les moyens de faire des campagnes nationales ambitieuses. Et les campagnes nationales, quand il y en a, ne sont pas actualisées. On propage toujours le même message, on parle de confiance, de responsabilité... Mais jamais on ne voit le mot VIH, IST, hépatites, TASP, préservatif, PrEP. Si le message n'est pas clair, ça ne sert à rien."  Le président d'Act Up-Paris va même plus loin : "Il devrait y avoir des cours d'éducation sexuelle dans tous les établissements. Mais ça ne doit pas être par petites touches. Ca devrait être systématiquement, tout le temps, partout, pour tout le monde."

Pour l'instant, le ministère de la Santé n'a pas réagi.