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interviewOn a discuté avec Flavie Delangle et Ayumi Roux, les héroïnes queers de Skam France

Par Florian Ques le 11/06/2020
Skam France

À l'affiche de la sixième saison acclamée de Skam France, les deux comédiennes ont bien voulu revenir sur leurs rôles et l'importance de la représentation.

Si le nom de Skam France ne vous évoque rien, il n'est pas trop tard pour corriger ça. Depuis son lancement en 2018, ce remake de la série scandinave Skam explore les affres de l'adolescence, à travers les tribulations d'une bande d'ados tout ce qu'il y a de plus ordinaire. Au fil de ses premières saisons, elle s'est frottée à diverses thématiques sociétales que d'autres fictions françaises préfèrent éviter, à l'instar de la bipolarité, la religion musulmane ou encore la surdité.

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Dans sa grande tradition, chaque saison met en lumière une histoire d'amour différente, toujours moderne et captivante. Pour sa sixième salve d'épisodes, Skam France s'attarde donc sur la romance tourmentée entre Lola, une lycéenne endeuillée qui souffre de problèmes d'addiction, et Maya, une activiste écolo ouvertement lesbienne. Leurs interprètes respectives, Flavie Delangle et Ayumi Roux, ont accepté d'échanger avec TÊTU afin de parler représentation LGBT+ et de revenir sur la scène très intime qui a illuminé cette saison stellaire.

Avant toute chose, comment êtes-vous arrivées à bord de l'aventure Skam France ?

Flavie Delangle (Lola) : Alors, j'ai passé un casting sans savoir que c'était pour Skam. Au début, je crois que je n'ai pas été retenue, et puis David [Hourrègue, le showrunner de la série, ndlr] a regardé les vidéos de toutes les filles qui ont auditionnées, et il m'a finalement retenue. Il m'a rappelée, on s'est vus trois fois. Ensuite, il est venu à Reims expliquer le process à mes parents et je me suis fait valider par France Télévisions. Et là, c'était bon !

Ayumi Roux (Maya) : J'ai aussi passé un casting sans savoir pour quoi c'était et j'ai appris que c'était pour Skam lors des callbacks.

Quand vous avez appris que c'était pour Skam France, étiez-vous déjà au courant de l'existence de la série ? Est-ce que vous la regardiez ?

FD : Je connaissais mais je n'avais pas tout regardé en entier. J'ai regardé ensuite toutes les saisons et j'ai surkiffé.

AR : Pareil, je connaissais de nom et j'avais eu des échos mais j'ai vraiment découvert une fois que j'ai appris que j'allais jouer dedans.

Qu'est-ce qui vous a intéressé dans vos personnages respectifs ?

FD :  Je suis plus à l'aise en terme de jeu avec tout ce qui est dramatique plutôt que comique. J'ai adoré le rôle, du coup.

AR : Le premier truc que David m'a dit sur le personnage, c'est qu'elle était lesbienne et hyper engagée écologiquement. J'ai matché direct parce que je me suis dit que ça allait être fort de représentation, que ça allait être vraiment cool.

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C'est une saison qui parle notamment d'addiction, à travers le personnage de Lola. Flavie, comment tu as appréhendé ce rôle ?

FD : David m'a envoyé plusieurs documents, des documentaires, des films... Je n'ai pas regardé les films, parce que je ne voulais pas copier, même sans m'en rendre compte, le jeu des comédiens. Mais je me suis beaucoup renseignée sur les effets de la cocaïne. Je ne me drogue pas donc forcément, il fallait que j'apprenne ça [rires].

Vous jouez toutes les deux des personnages qui ne sont pas hétéros. Comment vous êtes-vous approprié ces personnages ? Vous êtes-vous dit qu'avec un tel rôle et une telle communauté derrière, vous alliez être attendues au tournant ?

FD : La saison 3 [centrée sur un couple gay, ndlr] avait déjà vraiment été exemplaire en matière de représentation LGBT+. Je me suis dit qu'il allait falloir faire un job de malade pour faire aussi bien et je crois qu'on a plutôt réussi !

AR : Pour moi, c'était tout à fait normal de représenter les personnes LGBT+. Je ne sais pas si ça a du sens, mais je n'ai pas cherché à être quelqu'un d'autre que moi.

Dans le cas de Flavie, le personnage de Lola ne se colle aucune étiquette. On la voit aussi bien intéressée par des garçons que des filles. Est-ce un aspect qui t'a intéressé dans ce rôle ?

FD : Déjà, la première chose qu'on m'a demandée au casting, c'était de savoir si ça me dérangeait d'embrasser une fille. J'ai dit que non, pas du tout. Je trouve ça bête qu'on me pose cette question-là. Moi, je tombe amoureuse de l'humain, pas du genre. Tu captes ? [rires].

AR : Merci Gandhi [rires].

Vos deux personnages, Lola et Maya, font partie d'une même bande. Pensez-vous qu'elle représente bien les ados d'aujourd'hui ?

FD : Oui, même si on n'en sait pas forcément plus sur les autres personnages pendant cette saison. Mais oui, je trouve que ça représente bien les jeunes d'aujourd'hui.

AR : J'ai quand même l'impression que les jeunes dans la vraie vie sont moins sûrs d'eux-mêmes que dans la série. Et c'est cool parce que je trouve que cette bande d'amis montre vraiment des jeunes qui ont répondu un peu à leurs questions et qui sont sûrs de qui ils sont, de qui ils aiment. C'est encourageant.

Cette bande de jeunes gens est composée de nombreuses minorités. C'est un monde idéal ou c'est le reflet d'une réalité  ? 

AR : Si c'est un idéal, c'est clairement un idéal de représentation. Parce que dans la vraie vie, ça existe déjà, tout le monde cohabite, et plutôt bien. Mais ça n'est pas assez représenté à la télévision ou dans les médias pour qu'on s'en rende compte. Je suis peut-être optimiste, mais je pense sincèrement que Skam représente une réalité vécue par de nombreux jeunes.

Vous avez respectivement 17 et 19 ans. Est-ce que vous vous retrouviez dans des séries ado avant Skam France ? Lesquelles vous ont marquées ?

FD : Moi, pas du tout.  Je regardais beaucoup Disney Channel, dont les séries se passent plutôt dans des lycées aux Etats-Unis. J'en parlais récemment avec une réalisatrice et on se disait qu'il n'y avait aucune série, en France, qui représente vraiment bien les ados. Mais quand j'ai regardé Skam France pour la première fois, je me suis dit "c'est ça". Et je ne lèche pas les bottes de la série parce que je joue dedans [rires]. Mais il y a des œuvres qui sont totalement à côté de la plaque. Là, quand j'ai regardé les quatre premières saisons, je me suis retrouvée dans tout. J'aurais sans doute aimé avoir une série comme ça quand j'étais plus jeune.

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Tu viens de relever que certaines séries ado sont à côté de la plaque. Qu'est-ce qui cloche selon vous dans ces séries-là ?

FD : C'est dans le too much. Surtout dans les productions Netflix par exemple. Après c'est cool, je ne crache pas dans la soupe parce que je regarde. Mais Riverdale et compagnie, c'est un autre univers. C'est toujours des histoires de meurtre. A quel moment il se passe ça dans nos vies ? [rires] Vraiment, je ne trouve aucune série à laquelle je m'identifie. Sauf Skam France. C'est pour ça que ça marche autant.

AR : Je suis du même avis. Souvent, les séries pour ados sont écrites par des adultes qui ne cherchent pas à se rapprocher des adolescents. On sent déjà dans le langage que c'est très loin de nous et à partir de ce moment-là, on n'accroche pas. Mais il y a une série qui était cool et avec laquelle j'ai un peu grandi, c'était Skins. C'est la seule série où j'avais un peu l'impression d'être avec eux. Mais sinon oui, Skam France, ça a été une vraie révélation à ce niveau-là.

Tu penses qu'il y a un peu de Skins dans Skam France ?

AR : Alors je ne me suis pas posé la question. Mais peut-être dans la manière d'aborder les personnages, de s'intéresser à un groupe d'amis où chacun a sa place et a quelque chose à défendre. C'est un peu le même tableau, mais le traitement est complètement différent.

Vos deux personnages ont une scène plutôt intime au début de l'épisode 8. Comment avez-vous appréhendé cette scène-là en tant que jeunes actrices ?

FD : J'ai moins d'expérience qu'Ayumi, qui avait déjà fait des scènes comme ça, et k'étais vraiment hyper stressée ce jour-là, je me suis mise dans tous mes états. Je ne suis pas forcément très à l'aise avec mon corps et c'était surtout ça qui me crispait. Le jour J,  je me suis rendue malade alors qu'en fait, quand on a commencé à jouer avec Ayumi, c'était juste magique. Ce qui est bien avec David aussi, c'est que ses tournages ressemblent à des clips. Il met de la musique en fond et ça m'a vachement détendue. Et puis il avait fait attention à ce qu'il n'y ait pas plus de cinq personnes sur le plateau. Il faut le savoir, ça n'enchante personne de nous voir comme ça, et l'équipe est souvent plus mal à l'aise que nous ! [rires] Mais au final, la scène est juste splendide et je suis très fière d'avoir fait ça avec Ayumi.

AR : Oui, et puis je pense que ça n'aurait pas marché si on ne s'était pas aussi bien entendues. Il y a quand même quelque chose de chimique un peu, tu vois. Et il y a beaucoup de bienveillance. J'avais déjà fait des scènes comme ça mais pour le coup, chapeau à Flavie. Parce que la première scène d'amour que j'ai faite, j'étais crispée du début à la fin. Ça a duré deux heures, c'était horrible. Et c'est vrai que Flavie, au bout de 15 minutes, elle a pris les rênes. C'est une super bonne expérience à vivre, en vrai.

Est-ce qu'on vous a aiguillées avant la scène ? Les mouvements que vous faites dans cette scène sont-ils "chorégraphiés" ?

FD : En soi, non, vraiment pas. Jamais on nous a imposé quoi que ce soit.

AR : OOn l'a pris à la cool. Quand on essayait des trucs de ouf, David nous disait "non, non, non ! Le service public ne va pas accepter."

Avez-vous eu des retours de la part de la communauté LGBT+ notamment sur votre prestation dans la série et sur l'intrigue de vos personnages ?

FD : Oui, énormément. J'ai reçu beaucoup de messages, même si c'est en DM et que je ne reçois pas les notifs. Tous les soirs, je me pose et j'essaie d'en lire un maximum. Mais je ne peux pas répondre à tout le monde. Il y en a des milliers ! La plupart de remerciements. Ca fait vraiment plaisir, on se dit qu'on a pas trahi les personnes LGBT+ qui regardent la série.

AR : Et puis ça fait du bien d'avoir un peu de représentation LGBT+ à l'écran parce qu'on en parle beaucoup, mais il n'y a pas tant de représentation que ça en France. Et à chaque fois qu'il y en a un peu, on fait un fuss magistral comme si on avait révolutionné le monde.

Crédit photo : France Télévisions...