La pratique du mermaiding devient de plus en plus populaire en France. On a rencontré ces "tritons" afin de mieux appréhender cette discipline aquatique. Et spoiler : c'est beaucoup plus difficile qu'on ne croit...
Ils ont une nageoire, souvent parsemée d'écailles scintillantes plus vraies que nature. Immergés de la tête à la queue, ils se déplacent sous la surface de l'eau avec aisance, dans un étrange ballet aquatique. Eux, ce sont les tritons - oui, comme le musculeux papa d'Ariel dans La petite sirène - les adeptes masculins du mermaiding.
D'un point de vue linguistique, la notion de mermaiding équivaut à "faire la sirène". Mais pour les principaux concernés, ce n'est pas qu'une question d'émulation. "C'est l'art de se costumer avec une nageoire de sirène en essayant d'être le plus réaliste possible, nous explique Ludo, 32 ans, triton depuis maintenant cinq ans. C'est aussi une discipline qui rassemble plusieurs autres disciplines comme l'apnée, la plongée et la natation synchronisée".
Au carrefour du sport et de l'art
Pour la faire courte, deux dimensions s'entrelacent avec le mermaiding. D'un côté, l'aspect sportif : il faut apprendre à nager avec une mono-palme et énormément travailler sur sa respiration et son endurance. De l'autre, le côté artistique, car les tritons mobilisent beaucoup d'efforts pour rendre leur panoplie la plus crédible possible, et l'exhibent ensuite dans des salons, des compétitions ou au cours de séances photo.
Mais avant de s'adonner à cette pratique peu commune, il faut se munir d'une chose : la fameuse nageoire à la Ariel. Bien que le marché soit encore pauvre en France, nos amis américains se montrent plus avant-gardistes. Certains costumes sont en lycra, "préférables pour les débutants ou les enfants" selon Kewin, 31 ans, élu Mister Triton France 2019. D'autres sont en néoprène.
Mais ce qui compte par-dessus tout, c'est la mono-palme, soit l'accessoire essentiel qui permettra de mimer au mieux les mouvements d'une sirène. Sur ce point, tout dépend du contexte. "Une mono-palme large et rigide en fibre de verre sera très bien pour un triton ou une sirène dans les courants forts de l'océan, leur donnant force et rapidité sous l'eau, explique Alex, 31 ans, originaire de la capitale et adepte du mermaiding depuis 2013. À l'inverse, ceux et celles qui pratiquent dans des aquariums choisiront une mono-palme plus petite, plus flexible, souvent en plastique, qui leur donnera de l'agilité et de la grâce plutôt qu'une énorme propulsion".
Une activité fédératrice
À chaque pratique, sa communauté – et le mermaiding ne déroge pas à la règle. "Il y a des gens qui ont réussi à se rencontrer sur des événements ou lors de salons, détaille Kewin, résident de Nantes. En France, c'est plutôt par région que ça fonctionne. Ils s'échangent leurs astuces, leurs spots". Pour Ludo, c'est également sur les réseaux sociaux que des liens se forgent. "Il y a une grosse communauté sur Instagram, surtout à l'étranger, avance-t-il. C'est une communauté qui se développe de jour en jour, que ce soit aux États-Unis, en Australie, en Europe ou en Asie". Il existe d'ailleurs MerNetwork, un forum anglophone permettant aux sirènes et tritons du monde entier d'entrer en contact. À l'heure actuelle, le réseau compte plus de 8.000 membres.
S'il est aussi fédérateur, c'est parce que le mermaiding n'est pas qu'une discipline individuelle. "Tout l'aspect entraînement, ça se fait plutôt tout seul, reconnaît Kewin. Après, lorsqu'on planche sur des projets un peu artistiques lors d'événements, ça peut se faire à plusieurs". Même son de cloche du côté d'Alex, qui a tendance à vanter les mérites de cette dimension communautaire. "On peut nager aussi bien seul qu'en groupe, surtout dans le cas d'une performance aquatique, parfois synchronisée ou chorégraphiée, défend-il. C'est plus fun d'être à plusieurs car ça permet de rencontrer de tisser des liens et de partager ses expériences".
Préjugés et stéréotypes
Malgré ça, les clichés ont la dent dure. Lorsque Monsieur ou Madame Michu découvrent le mermaiding, ils trouvent souvent ça "ridicule". Mais pour Alex, c'est un peu hypocrite. "L'apnée est une discipline qui a des records du monde, tient-il à rappeler. Et nous avons une équipe olympique française qui pratique la nage avec des mono-palmes. [...] L'unique différence qui nous sépare est que nous utilisons le même accessoire, mais qu'il est intégré dans un costume réalisé pour donner une illusion fantastique sous l'eau".
Pour lui, le combat est ailleurs. À tort, le mermaiding est trop fréquemment associé à un imaginaire féminin, lequel peut repousser certains hommes. Comprendre : les hommes hétéros. "La discipline n'a vraiment aucun rapport avec le genre, assure-t-il. C'est réducteur et ignorant d'associer les deux. Les hommes hétéros peuvent le faire aussi tant qu'ils arrivent à mettre leur ego de côté et se préoccupent davantage de s'amuser que de tenir compte du jugement des autres". Non-genrée à l'origine, la figure de l'être mi-humain mi-poisson s'est féminisée au fil du temps. Les quelques représentations masculines, comme celle de Poséidon, le dieu des mers et des océans à la virilité pourtant exacerbée, se sont progressivement estompées.
Les hommes gays, eux, ont plus de facilité à se retrouver dans cette discipline protéiforme. "Je pense que les homos ont plus tendance à assumer leur côté un peu fantasque, un peu féminin, là où les hétéros ont plus de crainte à ce niveau-là, devine Ludo. Une crainte d'avoir l'air ridicule. Nous, les homos, ça nous passe au-dessus de la tête". Il évoque la création d'une entreprise sur laquelle il travaille, qui pourrait donner lieu à des pool parties thématiques ou à des initiations au mermaiding. Avec un mot d'ordre bien défini : l'inclusivité. "Mon but, c'est vraiment faire en sorte que cette discipline se démocratise auprès des civils, notamment des hommes", souligne-t-il.
Une question de bien-être
"J'essaie de ne pas forcément identifier le mermaiding comme quelque chose de gay, reconnaît Kewin. Ça doit pouvoir s'adresser à tout le monde, il faut que chacun y trouve son compte. Certains peuvent se retrouver dans le côté sportif, d'autres dans le côté artistique. Le but, c'est de se sentir à l'aise". Et c'est d'ailleurs ce qui motive Ludo. Lorsqu'il enfile son costume de triton et s'immerge dans l'eau, c'est comme un exutoire. "Je me sens libre comme l'air. Je me sens plus en phase avec moi-même, peut-être même plus heureux".
Pour Alex, la perspective est similaire, au détail près que son vécu est encore plus singulier. "Je ne suis pas seulement gay, je suis malentendant aussi, précise-t-il. Très souvent, je me retrouve submergé par les sons et en fin de semaine, je deviens mentalement épuisé. C'est alors extrêmement reposant pour moi de trouver le silence et la paix sous l'eau. Plus qu'un hobby et un sport, c'est rapidement devenu pour moi une libération et une échappatoire".
Crédit photo : Monsieur Roni