En plongeant dans l’intimité familiale dans Madame, Stéphane Riethauser explore le poids de la domination du masculin.
Et si les meilleures histoires étaient les nôtres? Et si la plus grande aventure c’était déjà d’essayer d’être soi ? Home movie politique et déchirant, Madame étale devant nous la fabrique d’une identité à travers le prisme d’une famille, ses petits recoins cachés, ses règles tacites et ses moments de liesse ordonnés. Des images en apparence banales, des moments de vie simples, de petites vidéos faites au caméscope ou en Super 8, des photos de vacances, des repas de fête, des jeux d’enfants qui, revus aujourd’hui, prennent une signification troublante. La sensation d’une vérité masquée, d’un jeu de dupe auquel on participe malgré soi.
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Diktat du masculin dominant
Avec son film, Stéphane Riethauser ne déterre pas des secrets de famille. Il expose son tombeau, celui d’un ado homo condamné pendant longtemps à se taire. Il raconte, images à l’appui, comment il a “joué le jeu”, s’est plié au rôle du “bon fils”, implicitement, inconsciemment. Une façon de rouvrir le passé pour se défaire d’une prison mentale et de comprendre pourquoi et comment on en arrive à essayer d’être un autre.
Devant ce cinéma-confession, on craint l’impudeur et la haine revancharde. Mais dans la lignée du Tarnation de Jonathan Caouette (magnifique home movie queer), le portrait se fait étonnamment tendre et complexe. Comme Caouette interrogeant son identité queer à travers la maladie mentale de sa mère, Stéphane Riethauser pense le diktat du masculin dominant en regard d’un portrait saisissant d’une femme, sa grand-mère, elle aussi éprise de liberté. Madame confronte ainsi les générations, observe les parcours de vie et dégage de l’intime un propos politique puissant sur la domination du masculin. Car à travers le portrait de ce coming out, du sentiment d’un enfant, d’un ado, d’un adulte qui se sent différent, le réalisateur raconte le poids d’une société qui assigne des rôles.
Thérapie par l'image
Ainsi, derrière les photos et les vidéos, il traque et pointe de sa voix grave les signes et les détails d’un petit théâtre genré bien huilé que l’on reproduit ad nauseam. D’abord très intime, cette histoire de famille devient évidemment universelle. On assiste impuissant à la mécanique qui broie, aux doutes, à la peur, comme si ce héros involontaire, à la double vie invisible, subissait la double peine de l’isolement et du “faire semblant”. Intelligemment, le film négocie cette souffrance par l’analyse, la distance, comme une thérapie par les mots et par l’image.
Qu’il interroge son père sur le moment du coming out (des mots durs, dévitalisés par le temps) ou qu’il questionne le parcours de sa grand-mère, victime dès son adolescence de la misogynie violente de la société, le réalisateur ne juge personne. Il déplie simplement les faits, les causes et les conséquences, et nous enseigne, par la mélancolie de son montage, que seul le temps permet de comprendre. Jamais aigre, le film étonne par son calme, par sa compassion lumineuse. Récit d’une émancipation, récit d’une déconstruction/reconstruction, Madame est peut-être aussi avant tout le récit d’une prise de parole : le besoin de se raconter pour dire, malgré tous les masques, qui on a toujours été.