Alertée par l'absence de considération des personnes trans dans le paysage audiovisuel français, l'actrice Rose Harlean signe une tribune à charge pour éveiller les créateurs de l'Hexagone.
Depuis trop longtemps, films comme séries maltraitent la question de la transidentité. En confiant des rôles de personnages trans à des comédien·ne·s cis, l'industrie audiovisuelle dénigre le vécu des concerné·e·s, les invisibilise et nourrit les idées reçues. Des œuvres comme Dallas Buyers Club, Danish Girl ou plus récemment A Perfect Family n'en sont qu'une poignée d'exemples . En France, le constat est tout aussi alarmant, avec une absence quasi totale des personnes trans sur le grand comme le petit écran.
C'est pourquoi TÊTU donne la parole à Rose Harlean, une jeune actrice trans française, lassée de voir sa communauté invisibilisée dans les productions françaises.
Je m'appelle Rose, j'ai 27 ans. Actrice, scénariste et réalisatrice. Trans. J'ai tournée dans près de 15 courts métrages et fait de la figuration/silhouette dans des longs métrages. 5 ans de théâtre pro, je joue sur scène depuis l'enfance. Vous n'avez pas d'excuses. #ActoraTrans pic.twitter.com/ssWLoVmOBy
— Rose Harlean (@RoseHarlean) June 30, 2020
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Nous existons.
Lancé durant le Mois des Fiertés 2020, le hashtag #ActoraTrans fut créé en réaction à l'annonce de la sortie prochaine du film A Good Man réalisé par Marie-Castille Mention-Schaar. Dans une note d'intention, la réalisatrice justifie son choix de caster une actrice cisgenre dans le rôle d'un homme transgenre par le fait que les acteurs trans “se comptent sur les doigts d'une main” en France. Étant une actrice française d'expérience transgenre, j'ai évoqué mon existence en utilisant le hashtag comme l'ont fait une centaine d'autres personnes concernées.
"Si nous n'existons pas sur les écrans, alors nous n’existons pas dans la société."
Marie-Castille Mention-Schaar a expliqué à juste titre qu'un acteur trans doit pouvoir, tout comme un acteur cis, jouer n'importe quel rôle, qu'il soit cis ou trans. Bien que cela soit vrai, le problème ici est qu'il n'y a aujourd'hui aucun acteur ou actrice trans sur les écrans français malgré notre existence indéniable. Le privilège dont bénéficient les acteurs et actrices cis modifie la réalité de nos vies et les tronquent. Si les seules représentations de nos vies et expériences sont incorrectes, alors elles nient nos identités et inventent une fausse lecture de la réalité. Si nous n'existons pas sur les écrans, alors nous n’existons pas dans la société.
"Instaurer une juste représentation"
Les acteurs et actrices trans existent mais sont invisibles sur nos écrans. Certains arguent qu'il n'y a rien de problématique dans le fait qu'un personnage trans soit joué par une personne cis car c'est, après tout, l’essence même du métier d'acteur de pouvoir tout jouer, tout représenter. L'argument tombe facilement car l'histoire du cinéma est longue et elle se répète. Il y a un siècle, il était normal de voir une personne blanche jouer le rôle d'une personne noire : on appelle ça le blackface. Si ce procédé était au départ ouvertement raciste, il s'est maintenu en devenant plus insidieux et il est encore courant de voir des personnes blanches jouer des personnes d'une ethnicité différente. Les acteurs racisés ont longuement été et sont toujours invisibilisés par le cinéma car le privilège blanc, hétérosexuel et cisgenre prévaut dans tous les domaines de la société, empêchant ainsi toute représentation correcte des minorités.
L'argument financier qui consiste à dire qu'il faut sélectionner un acteur déjà connu et "bankable" pour le rôle principal afin d’obtenir des fonds ne passe également pas. Le fait qu'une actrice inconnue ait été choisie pour le rôle principal de Lola vers la mer n'a pas empêché le film d'être un succès et la performance de Mya Bollaers d'être applaudie. Compte tenu du manque d'informations, du climat de violence et de la désinformation permanente de nos vécus dans la société, il est légitime d'instaurer une juste représentation sur les écrans et cela passe par notre directe inclusion.
Fausse image des personnes trans
En tant qu'actrice, je me suis un jour rendue à une audition. J’étais la seule femme trans à candidater pour le rôle, justement, d'une femme trans. Tous les autres comédiens à passer ce casting étaient des hommes au physique androgyne et la directrice de casting m'a annoncée qu'elle pensait que les acteurs et actrices trans n'existaient pas.
"Chaque acteur ou actrice cis ayant eu l'opportunité d’interpréter un personnage trans a eu droit aux plus grandes distinctions"
Outre l'humiliation de devoir passer un casting face à des comédiens uniquement masculins, je me suis demandée si les personnes cis doutaient réellement de notre existence. La fameuse performance cis aux État-Unis a permis à chaque acteur ou actrice cis ayant eu l'opportunité d’interpréter un personnage trans les plus grandes distinctions du cinéma et de la télévision américains. À chaque fois. Une fois la récompense obtenue, l'acteur ou l'actrice en question troque sa fausse barbe pour une longue robe ou bien son maquillage, sa perruque et ses accessoires pour un smoking. Tout cela perpétue une fausse image de travestissement.
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Sensationnalisme
Le regard cisgenre sur la transidentité, souvent sensationnaliste, invente une réalité où nos vies sont des performances qui n'existent que dans un spectre comique, horrifique ou tragique. Ce regard peut parfois partir de bons sentiments mais il devient inévitablement malsain dans sa curiosité et se nourrit de clichés ridicules et dangereux. Il est clairement possible de constater que ces films parlant de la transidentité sont le produit d'une création d'un regard cisgenre, porté par une équipe cisgenre, ayant un public cisgenre en ligne de mire. La réalité qui émane de nos vécus est effacée.
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Un nouvel horizon est néanmoins visible sur les écrans américains. Les projets incluant la fameuse performance cis se font moindres, les acteurs et actrices trans et non-binaires apparaissent à la télévision et commencent à obtenir de la reconnaissance. Enfin. Aux États-Unis, il est désormais quasiment impossible pour un projet d'inclure un personnage transgenre sans le rendre de facto problématique si joué par une personne cisgenre. Nos voix se font enfin entendre et la transphobie à peine masquée ne passe plus. Cette lueur d'espoir annonce un mouvement où nos voix devront être ainsi relayées en France pour que chacun soit représenté dans le respect. Une conversation sur une légitime représentation cinématographique et télévisuelle doit démarrer en France. J'espère que nos voix vont être écoutées. Plus seulement entendues et mises de coté. Il faut que chacun s’engage sur ce sujet.
"Nous existons"
Insérer un acteur trans dans un petit rôle pour se donner bonne conscience. Faire semblant de correctement se renseigner sur le sujet avec les personnes concernées sans faire apparaître ce savoir de manière respectueuse dans le film. Mettre un acteur androgyne en rôle principal et ne pas spécifier son genre alors que le sujet du film aborde clairement les questions du genre. Tout cela ne passera plus.
Cher·e·s scénaristes, producteur·trice.s, directeur·trice.s de casting, réalisateur·trice·s, nous existons. Cher·e·s spectateur·trice·s de cinéma et de télévision qui souhaitent que nos représentations soient effectuées dans le respect, nous existons. Cher·e·s citoyen·ne·s qui ont à cœur l'égalité et désirent voir des opportunités fleurir pour nous, acteurs et actrices transgenres, nous existons.
Vous n'avez plus aucune excuse.
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