pornoDavid Fortems, l’écrivain queer et cinéphile qui va secouer la littérature

Par Guillaume Perilhou le 10/11/2020
David Fortems

David Fortems, 24 ans a publié cette année son premier roman. Dans Louis veut partir aux éditions Robert Laffont, il se met dans la peau d'un père qui découvre l'homosexualité de son fils après sa mort. Rencontre avec un écrivain pas comme les autres.

Louis est un adolescent discret. Mû par la passion les livres, il y trouve le calme et la finesse manquant au monde qui a eu raison de lui. D’emblée, Louis se noie. Suicide. On retrouve son corps à la confluence de la Meuse et de la Semoy, dans les Ardennes. C’est de là que vient David Fortems, sa famille, ses forets qu’il vomissait mais aime désormais retrouver chez son père, l’absence de légèreté, l’ennui qui règne et repose. C’est pas toujours drôle, les Ardennes. Pascal, le père de Louis, s’y débat à l’usine. Après la mort de son fils, il réalise être passé à côté de plein de choses. Qu’il ne le connaissait pas vraiment, ce fils de dix-huit ans.

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Alors, Pascal s’en va à la rencontre de ses proches, découvre des amis, des amants, jusqu’à un producteur de films pornos. À aucun moment on ne lit chez ce père de jugement face à ceux qu’il rencontre. Aucun jugement face à ce(ux) qu’aimait Louis. Il est ouvert d’esprit, Pascal, il a envie de comprendre, besoin surtout, obligé d’un amour qu’il n’a su exprimer et voudrait rattraper. À la maison, avant, les deux hommes parlaient de politique, de foot de boulot de problèmes, mais ne disaient pas je t’aime. « Les livres disent ce que les vivants n’osent pas dire », glisse Fortems en paraphrasant Godard.

Humour et cinéphilie

C’est que le jeune écrivain aime le cinéma. Au point même d’en avoir fait l’objet de ses études à l’École normale supérieure de Lyon, aujourd’hui à la Fémis. « J’ai eu la chance d’avoir une formation en écriture de scénario, qui créé je crois dans ce livre quelque chose de sériel », avance l’auteur qui se dit « féministe intersectionnel de gauche ».

Il a soutenu son mémoire sur la masculinité dans l’oeuvre d’Almodovar, une masculinité « toujours menaçante ». Ses meilleurs amis aujourd’hui sont drag queens. « Moi-même j’y ai échappé de peu, sourit-il. Tout pédé de l’ENS Lyon finit drag queen. » On aura compris que chez Fortems on aime le 7e art et, même si on a l’écriture triste, la comédie. Certainement ce qu’il y a de plus dur à faire. Il cite Le discours de Fabrice Caro, qui l’a fait « hurler de rire ». Il aime amuser les autres, ça se voit, il voit le verre à moitié plein.

"Saboteur intérieur"

Bonne nouvelle ! Les écrivains ne seraient donc pas tous dépressifs… Minute : « Je me sers pour écrire de mes obsessions. Ce que RuPaul appellerait mon ‘saboteur intérieur’… Il y a des jours où je jette plus que d’autres des coups d’oeil à l’intérieur. L’écriture sert à expier. » On ne peut pas dire, en effet, que Louis veut partir soit un livre gai — mais si la littérature se construisait sur la gaieté, ça se saurait. Un livre écrit en deux mois à l’âge de 21 ans duquel émerge une voix qu’on l’on verrait bien porté à l’écran par Dolan, à l’ombre des chênes ardennais ou des sapins canadiens.

Le texte a loupé la collection blanche de Gallimard (le Graal) de peu, dit-il. « Trop Despentes », lui a-t-on expliqué. Un reproche en compliment. Virginie Despentes, comme Edouard Louis ou Didier Eribon, des auteurs qu’il admire et chez qui il reconnait le transfuge de classe. Des arrières grands-parents pauvres, lui Belge elle Française, Marcel et Marcelle, qui ont permis la rencontre d’un jardinier de mairie et d’une mère ATSEM en école maternelle. David Fortems est né de ces géniteurs intelligents et ouverts dans une cité « qui faisait peur aux amis du lycée. J’ai écrit Louis pour explorer ce que j’aurais pu devenir. Si on m’avait proposé de gagner de l’argent en dealant dans un coin, je pense que je n’aurais pas dit non. »

Écrire le sentiment homo

« Le déterminisme social, la solitude, et des personnages queers. » Voilà les thèmes qu’il voulait écrire dans un premier roman qui résument autant sa courte vie. Il sait en parler, de ce roman, il y a pensé. Alors, quand on lui demande comment il écrit, d’où ça vient, David Fortems a même un peu le melon. Un pêché d’écrivain répandu qu’on mettra sur le compte de la jeunesse. Ses dialogues, qui ne sont pas marqués par la ponctuation et qui font le sel de ce livre, sont « venus naturellement, assure-t-il. J’écris parce que j’ai l’impression que dans ma tête fleurit de la littérature. » Une façon peut-être de tordre le cou à ce syndrome de l’imposteur qu’il évoque à plusieurs reprises, si fréquent chez les homosexuels comme chez les femmes.

Ce sont elles, d’ailleurs, qu’il lit surtout. « La littérature féminine, queer, ou les deux, est celle qui me plait le plus. Les femmes et les hommes n’écrivent pas de la même façon. » Il dit Despentes encore, Constance Debré, Karine Tuil aussi pour les contemporaines. « Dans un roman, on peut aller à fond dans l’écriture du sentiment, c’est open bar. Et moi j’ai envie d’écrire des sentiments homos. Dans le prochain, ce sera une grand-mère lesbienne. J’ai hâte de raconter une scène de cul entre deux vieilles ridées. » On rit de bon coeur, comme on avait la gorge serrée en accompagnant Pascal. Comédie dramatique, dont on attend désormais les prochains épisodes.

 

 

Extrait :

« Brandon dit tu sais, Pascal, le pognon est plus important que ta vie. Si tu as le pognon, dans la vie, tu as réussi quelque chose. Ils disent tous que l’argent ne fait pas le bonheur — c’est des conneries. C’est fait pour que les pauvres gens se rassurent, pour se convaincre que si on n’a pas une thune et qu’on n’est pas très heureux, ceux qui en ont plein ne sont pas forcément heureux non plus, donc que ça revient au même. Mensonges. Louis l’avait bien compris, Pascal. Quand il est venu me voir il y a quelques mois, je lui ai dit t’es mignon mais t’es pas fait pour ça, ça se voit direct avec ta petite chemise, casse-toi de là et retourne d’où t’es venu. J’ai pensé qu’il allait déguerpir, il avait l’air un peu farouche, mais je me trompais, il m’a dit blouille direct. Il avait ce sourire un peu je sais tout j’ai pensé à tout, tu vois, si, tu dois bien voir, c’était ton fils quand même. Bref il m’a dit justement, Brandon, personne ne m’imagine faire ça, donc je suis le mec qu’il te faut ! Impossible que je me fasse prendre. Il n’avait pas tort. »

Louis veut partir, David Fortems, éditions Robert Laffont, 186 pages, 18 euros.

 

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