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Nos viesHomos loin des grandes villes, entre solitude et rêves d'ailleurs

Par Adélaïde Tenaglia le 13/11/2020
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Pas facile de faire des rencontres gays dans les petites villes et les milieux ruraux. Entre les villages où tout le monde se connaît et les applications qui proposent des profils à 15 kilomètres, Victor, Antoine et Claude nous racontent leurs tentatives pour trouver l’âme soeur, ou même simplement des amis.

"J’ai bien compris que ce n’est pas au milieu des vaches et des chasseurs que je trouverais un mec avec qui faire ma vie." Le constat de Victor* est amer et sans appel. Cet étudiant de 24 ans vit dans une petite commune de l’Ain, à 35 kilomètres de Bourg-en-Bresse. Dans son village, les jeunes de son âge sont encore dépendants de leurs parents et souvent "dans le placard".

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"Ici tout le monde se connaît donc les LGBT refusent de s’afficher en public", explique Victor. Pour faire des rencontres, une seule solution : les applis. Plus discrètes elles peuvent permettre de garder l’anonymat, du moins jusqu’au premier rendez-vous. "Les rares rencards qu’on dégotte deviennent des moments anxiogènes, décrit Victor. On guette l’heure à laquelle les parents rentrent du travail et on vire parano à l’idée que les voisins nous aient vus rentrer ensemble."

Difficiles rencontres

L’invisibilité des personnes LGBT est le principal problème dans les zones rurales. Dans sa petite commune de 1.700 habitants, Victor n’a pas accès à des lieux ou des associations LGBT. Pour faire des rencontres, il arrivait au jeune homme de se rendre Lyon en train, à 55 kilomètres de chez lui. Là, il pouvait prendre un café avec un flirt sans complexe, et sans peur d’être reconnu. "Mais c’était trop de temps et d’argent investi pour finalement se prendre un râteau parce que l’autre préfère sortir avec quelqu’un qui habite dans la même ville", déplore-t-il.

Pour lui, faire des rencontres dans sa "cambrousse", c’est mission impossible.  "De ce que j’ai compris, beaucoup de jeunes gays utilisent les plans culs pour commencer à nouer des liens, explicite-t-il, mais en écartant cette option je suis directement zappé." Asexuel, Victor précise pourtant à chaque fois qu’il n’est pas possessif et que s’il a un petit ami, il serait d’accord pour qu’il aille voir ailleurs quand il en a envie. Pour toutes ces raisons, Victor n’envisage pas de rester dans son Ain natal. Depuis trois ans il enchaîne les petits boulots pour mettre de l’argent de côté et un jour partir s’installer en ville. 

Retraite en solitaire

La ville, Claude en vient. Ce retraité de la SNCF de 72 ans vient de s’installer à Saint-Brieuc, dans les Côtes-d’Armor, après trois ans passés à Marseille. Marié, ce sont des liens amicaux qu’il cherche à nouer dans sa nouvelle ville. Mais il n’y parvient pas. À Marseille, le retraité faisait partie de l’antenne locale de Grey Pride, une association pour les séniors LGBT.

"En arrivant ici je me suis dit que j’allais créer un groupe Facebook Grey Pride - Cotes d’Armor - Saint-Brieuc", raconte-t-il. Mais la sauce ne prend pas. Cela fait maintenant quatre mois que le groupe existe et Claude peine toujours à mobiliser les gens pour les rencontres qu’il propose. "J’en ai organisé une récemment, nous n’étions que trois : mon compagnon et moi et une autre personne. Je ne sais pas comment faire."

Même si Claude se plait beaucoup à Saint-Brieuc, la solitude est parfois lourde à porter. Son compagnon, de 20 ans son cadet, est toujours en activité. Claude, qui a toute sa vie cherché le lien social et s’est beaucoup engagé dans le milieu associatif, passe donc ses journées seul chez lui. Pour faire connaître l’antenne locale de Grey Pride qu’il a créée, il songe à contacter les médias locaux. 

À Saint-Brieuc, il existe une autre association LGBT. Même si la plupart des membres sont plus jeunes, il les rejoint de temps en temps lors de leurs réunions. Mais il ne peut pas se joindre à eux pour toutes leurs activités : "Il s’agit avant tout de faire du sport ou se retrouver le soir dans un bar", explique Claude. Mais à la suite d'un AVC il y a quelques années, le retraité a perdu une partie de sa vision et ne peut plus se déplacer aussi facilement qu’avant. Il préfèrerait boire tranquillement un café l’après-midi avec des personnes de son âge. 

S’autoriser à être exigeant

Antoine aussi aimerait rencontrer plus de gens de son âge. Il a 28 ans, et vient de s’installer à Châlons-en-Champagne. La ville compte 45.000 habitants. Pourtant, il décrit les mêmes difficultés que Victor et Claude. "Il y a très peu de personnes sur les applications de rencontres. Sans abonnement, sur Grindr, j’arrive vite à des profils à 20 ou 30 kilomètres", décrit-il. Le jeune homme a déménagé pour poursuivre sa reconversion dans la cuisine et il n’a pas son permis. "Même si je rencontre quelqu’un sur une appli, s’il n’a pas envie de se déplacer, ça freine les choses tout de suite."

En élargissant les critères, notamment d’âge, il trouve davantage de monde. Mais il ne veut pas sortir avec quelqu’un de beaucoup plus vieux que lui. L’apprenti cuisinier n’est pas non plus très friand des aires de dragues, seuls lieux LGBT qu’il connaisse dans sa région. "On rencontre les gens furtivement, rapidement mais ce n’est pas là qu’on crée de vraies relations. C’est plus pour s’amuser."  

Antoine ne peut pas s’empêcher de comparer sa vie actuelle à la vie parisienne, qu’il a connue pendant un an et demi. À ce moment-là, il travaillait encore dans la communication, un milieu où il s’assumait beaucoup plus facilement que dans la cuisine. Comme Victor, le chef en herbe envisage, à terme, de déménager pour avoir plus de choix dans ses rencontres. "Je suis exigeant. Je ne vais pas non plus aller vers le premier venu parce que c’est le seul gay autour de moi."

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Crédit photo : Unsplash