De longues années après le succès de Six Feet Under, l'imaginatif Alan Ball retrouve sa place derrière la caméra pour suvire la trajectoire d'un quadra homosexuel dans les années 70. Une œuvre sensible qui décortique les violences de l'enfance.
Être gay, pour beaucoup, c'est être différent. Et souvent, dans le contexte familial, cette différence doit être tue, comme un secret de Polichinelle. C'est le cas pour Frank Bledsoe, le fascinant protagoniste de Uncle Frank. Incarné par Paul Bettany (Avengers), ce dernier a toujours grandi en marge de sa propre famille. L'archétype du "tonton gay", c'est lui. Celui qui n'aspire pas aux mêmes choses que ses frère et sœur. Celui qui ne ramène pas de compagne lors des dîners chez papa-maman. Celui qui, de toute évidence, est contraint de camoufler son orientation amoureuse pour préserver l'équilibre familial.
Fraîchement débarqué sur Amazon Prime Video, Uncle Frank conte ainsi son histoire à travers le point de vue de Beth, sa nièce curieuse et perspicace jouée par Sophia Lillis (I Am Not Okay with This). Depuis toute petite, Beth est captivée par son oncle. En déboulant sans prévenir à son domicile new-yorkais, elle apprend alors que celui-ci est homosexuel, mais également en couple avec l'exubérant Walid. La pilule est à peine passée qu'un coup de fil vient tout secouer : Mac, le père de Frank, vient de décéder.
Rattrapé par les démons du passé
De manière assez astucieuse, le film semble être segmenté en deux actes. Dans le premier, Frank nous est présenté à travers un regard extérieur – celui de sa nièce Beth. Il apparaît alors comme discret, éloquent, jouissant d'une belle réputation en tant que professeur de littérature, respecté à New York. Vient alors la mort de son père, élément déclencheur d'un deuxième acte plus introspectif. Les fêlures de Frank deviennent petit à petit visibles, à mesure que les traumatismes de son enfance remontent à la surface.
À bien des égards, Uncle Frank se présente comme une œuvre complexe et complète. Elle parvient à encapsuler en peu de temps une expérience gay, à laquelle beaucoup sauront se rattacher. En seulement 1h30 environ, le film réussit à parler de ce sentiment de non-appartenance lorsqu'on est queer dans une famille hétéro. Mais il décortique aussi la notion d'homophobie intériorisée, à travers une intrigue parallèle déchirante, et les conséquences latentes de celle-ci qui nous suivent jusque l'âge adulte.
D'autre part, le film valorise aussi l'importance des relations homme gay/femme hétéro. Beth est fascinée par son oncle parce qu'elle voit un modèle en lui. Une inspiration dont elle a besoin pour s'extirper elle-même du modèle patriarcal dans lequel sa famille et la société aimerait tant l'enfermer. Avec une subtilité appréciable, Uncle Frank noue leurs expériences disparates en surface et pourtant si proches en réalité.
Alan Ball en grande forme
Mais si le film excelle dans ses scènes dramatiques, Uncle Frank n'oublie pas de véhiculer un message positif. En effet, ce long-métrage d'Alan Ball – le fameux monsieur à qui l'on doit Six Feet Under et True Blood – surligne le besoin de confronter ses traumatismes pour mieux les terrasser. Un travail réflexif qui passe par la nécessité de faire un deuil. Un deuil de la vie qu'on aurait aimée, de l'acceptation de l'autre (en l'occurrence, de son père) que l'on a pas eue. Autrement dit, le film évoque toutes ces réalisations douces-amères qu'une personne LGBTQ+ peut avoir, sans manquer d'y apposer une lueur d'espoir.
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D'une certaine façon, Uncle Frank fait écho à Falling, le premier long-métrage de Viggo Mortensen dont la sortie est planifiée pour le 30 décembre prochain sauf changement. Les deux récits auscultent la relation père-fils et les ramifications d'une masculinité toxique et hétéronormée. Mais Alan Ball, lui, opte pour une approche plus sensible, avec une résolution nettement plus positive. Bien qu'il se soit égaré avec sa dernière série Here and Now, le réalisateur et scénariste signe ici un film soigné et symbolique, dont on retiendra par ailleurs la performance en crescendo de Paul Bettany. À voir, dès que possible.
Crédit photos : Amazon Prime Video