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filmArnaud Valois : "L’énergie des disparus nous entourait pendant le tournage de 120 battements par minutes"

Révélé par 120 battements par minute, diffusé ce lundi soir sur France 3,  Arnaud Valois explose dans deux nouveaux films et une série. Le comédien est en passe de devenir le boyfriend idéal du cinéma français. Entretien. Trois ans après sa réapparition fulgurante sur les écrans dans 120 battements par minute (120 BPM) de Robin…

Pierre-Ange Carlotti pour TÊTU

Révélé par 120 battements par minute, diffusé ce lundi soir sur France 3,  Arnaud Valois explose dans deux nouveaux films et une série. Le comédien est en passe de devenir le boyfriend idéal du cinéma français. Entretien.

Trois ans après sa réapparition fulgurante sur les écrans dans 120 battements par minute (120 BPM) de Robin Campillo, Arnaud Valois est partout cet automne : une série sur Arte, un spectacle avec Étienne Daho et surtout deux premiers films. Garçon chiffon de Nicolas Maury et Seize printemps de Suzanne Lindon sont deux œuvres intimistes et singulières, dans lesquelles le comédien de 36 ans joue avec élégance les amoureux troublés. On avait justement envie de lui parler de trouble et d’amour, de son côté boyfriend idéal, du désir qu’il provoque à l’écran et des palpitations de nos cœurs pour lui... Et puis, il y a cet anneau à son annulaire qu’il caresse inconsciemment lorsqu’il réfléchit. On hésite, on aimerait en savoir plus, on n’ose pas... Et c’est lui qui décide, pudiquement, de se raconter.

Tu t’es fait rare après 120 BPM et là tu es partout. L’envie est revenue ?

En fait, tout ça, c’est deux ans de travail. Tout ne devait pas sortir en même temps, mais, avec ce qui se passe, les choses ont été un peu bousculées. Ce n’est pas plus mal, non ? Ça me plaît qu’on puisse voir plusieurs facettes de moi. Tu parlais d’envie, c’est exactement ça. J’aime avoir envie des gens. Ce n’est ni un scénario ni un rôle qui m’attirent, mais la rencontre que ça suppose et permet. C’est comme une histoire de chimie. Que ce soit Nicolas Maury, Suzanne Lindon ou Étienne Daho, j’ai eu tout de suite envie de passer du temps avec eux, de les regarder, qu’ils me regardent, et qu’il se passe un truc entre nous. C’est ça mon travail : créer et vivre des rencontres.

A M

Qu’ont-elles en commun ces envies de rencontres ?

La douceur. J’aime les gens doux. Rien ne me séduit plus que quelqu’un qui prend le temps. Nicolas, Suzanne ou Étienne sont des gens très dfférents, mais ils ont en commun cette manière très douce de communiquer. J’aime les gens discrets. Il y a une forme d’élégance absolue à ne pas s’imposer aux autres. J’ai toujours préféré les observateurs aux gens qui prennent toute la place. Je me reconnais en eux. Je préfère observer plutôt que prendre la parole. J’aime alors qu’on me prenne par la main. En travaillant avec Suzanne Lindon ou Nicolas Maury, par exemple, j’ai vraiment eu la sensation que j’étais chez eux. Ils me faisaient une place dans leur tête.

Sais-tu pourquoi on te choisit pour un rôle ?

Peut-être qu’il y a un truc chez moi qui tient du contraste. Un truc très viril, avec mon visage carré, ma barbe, et le fait qu’en même temps je sois quelqu’un de très doux, de très discret. Je joue souvent des personnages en couple et je crois que si ça marche à l’écran, comme dans 120 BPM, Garçons chiffon ou Seize printemps, c’est une affaire de contraste. Comme le personnage de Nicolas Maury a quelque de chose de très impulsif, de très démonstratif, moi je sentais qu’il fallait que j’aille vers quelque chose de plus solide, de plus serein, que je sois, à l’écran, le pilier d’un personnage qui vacille. Je crois que les plus beaux couples sont ceux qui, sur le papier, n’ont rien à faire ensemble. Et pourtant, ça marche. C’est beau. On est forcément attiré par ce qui ne nous ressemble pas. Je pense que si j’étais avec un garçon comme moi, ça n’irait pas.

Pourquoi ? Tu es si compliqué à vivre ?

Si tu savais ! (Rires.) Je suis un faux calme, déjà. J’ai l’air très zen, mais c’est un gros travail sur moi. Et puis, surtout, j’ai besoin de quelqu’un qui s’oppose à moi, qui me montre autre chose, qui me fasse voir le monde d’un autre œil. Pour moi, c’est ça l’amour. Voir les choses autrement, ensemble. C’est comme ça qu’on s’élève. Tu vois, c’est pour ça que le couple de 120 BPM est aussi fort. Parce qu’ils se répondent l’un l’autre. Ce sont deux individualités très fortes qui finissent par se mélanger. Sans perdre ce qu'elles sont.

Mais c’est la mort qui les lie...

Pour moi, 120 BPM est autant un film d’amour qu’un film de mort. Ça peut paraître étrange, mais j’ai un rapport à la mort assez positif. Les gens quittent leur corps, mais restent là, autour de nous. Même si je n’ai perdu aucun proche à cause du sida dans les années 1990, je sentais l’énergie de ces disparus nous entourer pendant le tournage. Il y avait beaucoup de joie de vivre, beaucoup d’amour entre nous. Tout se mélangeait : la vie, la mort, l’amour, le passé, le présent et le sentiment que ce film allait être important.

C'est ton instinct qui te permet de jouer ?

Je laisse toujours tout ouvert pour que chacun puisse se projeter... Les choses trop claires, trop évidentes, trop faciles, m’effraient un peu. Toute ma vie, j’ai eu peur qu’on me mette dans une case. Très consciemment, en tant qu’homme, je vis ma vie loin de ce qu’on attend de moi. J’ai été comédien, ça a commencé à marcher, puis plus. Alors j’ai arrêté. J’ai recommencé une autre vie de masseur thaï/sophrologue, et ça m’allait très bien. Puis le cinéma s’est imposé de nouveau. Le changement fait partie de la vie. Peut-être que, dans cinq ans, je serai ébéniste. J’essaie d’être connecté à mon instinct et de lutter contre tout ce qui peut m’emprisonner. Tout ça, je le vis comme un cadeau à l’enfant que j’étais. Je me vois en train de répondre à tes questions et je pense à lui. Je pense à ce môme qui rêvait d’être sur grand écran et qu’on parle de lui. Ça file toujours le vertige quand on réalise un rêve de gosse, non ? Être acteur, puis ne plus l’être, c’est un sentiment bizarre. Tout d’un coup, t’es tout seul face à ton ego démesuré et tu dois vite le faire dégonfler. Ça m’a obligé à calmer mon besoin d’être aimé. J’ai fait un gros travail sur moi et j’ai compris que je n’avais besoin que de l’amour des gens que j’aime. Le reste, c’est toxique.

Comment on arrive à se détacher du regard des autres ?

Si tu as des conseils, je prends. C’est pour un ami... Beaucoup de sophrologie, beaucoup de méditation, un peu d’hypnose et surtout une très, très longue thérapie... (Rires.) Je crois surtout qu'il faut accepter les moments où on tombe. Arrêter de se détester quand on fait n’importe quoi. Il faut apprendre à s’aimer un peu plus et non à attendre que les autres nous aiment. Faut accepter les coups de pied de la vie. Les vivre pleinement. En ce moment, ça va, je me sens très haut, très bien. Mais je sais qu’à un moment ça va redescendre. La vie est une répétition de cycles. Il faut savoir kiffer quand c’est bon et tenir debout quand ça craint. Je n’ai pas assez profité de ce début de carrière, je vivais trop dans la frustration, le besoin d’être aimé. Ce retour très fort avec 120 BPM m’a fait peur, mais j’ai dominé tout ça. Et j’essaie de ne pas reproduire les mêmes erreurs. Même si dans ma tête ça me hurle constamment que tout peut s’arrêter demain, j’ai retourné cette peur à mon avantage et je savoure chaque moment. Tu vois, je vis cette interview comme si c’était la dernière. Une carrière, c’est comme une histoire d’amour, il faut la vivre en sachant que tout peut s’arrêter en un claquement doigt...

Quand Nicolas Maury te propose Garçon chiffon, hésites-tu à accepter un nouveau rôle gay ?

Bien sûr que je me suis posé la question. Mais très vite j’ai refusé de penser comme ça. Le rôle est beau, le film me plaît, j’ai envie de travailler avec Nicolas. Point. Pourquoi me prendre la tête sur ce que ça pourrait dire de moi ? Si jamais demain on me propose à nouveau un super beau personnage gay, j’irai. Sans problème. J’adore que Suzanne Lindon, après avoir vu 120 BPM, soit venue me chercher pour jouer l’homme dont son personnage tombe amoureuse. Ça veut dire qu’elle n’a pas vu en moi un acteur gay, elle a vu un acteur. Je suis d’accord pour qu’on nous colle des étiquettes. Mais alors j’en veux des dizaines. Des centaines ! Je veux toutes les étiquettes possibles.

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J’ai l’impression que le cinéma est en train de t’inventer comme “le boyfriend idéal”...

(Rires.) Ce n’est pas désagréable. Tu veux savoir si c’est vrai, c’est ça ? Faudrait demander à l’intéressé... Franchement, je ne crois pas être le boyfriend idéal. Mais je fais vraiment de mon mieux. J’essaie d’être à l’écoute. D’être là. D’être stable. Je n’aime pas l’anodin, mais j’aime beaucoup l’intime. Je sais juste que les gens que j’aime sont ma colonne vertébrale. Ils me permettent de tenir debout. Dans mon cœur et dans ma tête, je suis un grand romantique. J’espère que dans mes actes aussi.

Pendant la promo française de 120 BPM, tu n’as quasiment jamais parlé de ton couple ni de ton homosexualité. Tu as attendu la tournée internationale. Pourquoi ?

Parce qu’en France on est pudique. On ne sait pas aborder ces questions-là. Les Anglo-Saxons, les Nordiques, eux, ils y vont cash. Et tu sens que ce n’est pas un problème, que ce n’est même pas un sujet. Je me souviens, à Cannes, je me suis fait cueillir par un journaliste étranger qui m’a dit : “Est-ce que vous êtes gay ?” J’étais pétrifié. J’ai bredouillé un “c’est ma vie privée, ça ne vous regarde pas” et je m’en suis voulu immédiatement. Avec ce film, on célébrait la vie de gens loud and proud qui se battaient pour leur vie. Et moi, tout petit acteur que je suis, je n’osais pas dire qui j’étais...

 

Par la suite, dès qu’on me posait la question, je répondais : “Oui, je suis gay.” Je ne sais pas si c’est politique de le dire. Tant mieux si ça l’est. Je sais qu’aujourd’hui c’est hyper important d’avoir des figures très expressives, très militantes. Mais ce n’est pas ma nature. Les autres font ça mieux que moi, et puis j’ai envie d’être le plus honnête possible. Mon honnêteté, c’est mon militantisme. Quand je parle de moi, de ma sexualité, au fond je pense plus à mon couple, à l’homme que j’aime et que je ne veux pas blesser, qu’à ma carrière d’acteur. Mon amoureux n’a pas envie d’être exposé et je respecte ça plus que tout. Ma carrière, je m’en fous. C’est lui que je protège.

Vous étiez ensemble avant 120 BPM ?

Oui. Donc il a vécu la tornade, comme moi. Mais je ne veux pas parler à sa place. Il est encore là, malgré tout ça. Ce n’est pas toujours simple d’être sur les écrans, d’être regardé alors que tu es en couple avec quelqu’un. Ça demande beaucoup de dialogue, de compréhension. Et l’alliance que j’ai au doigt, là, c’est la preuve que notre histoire d’amour est plus importante que tout ça. Dans la vie, faut décider où est ton ancrage. Moi, c’est lui. Même si j’aime mon travail, même si ce métier m’apporte beaucoup, c’est lui mon équilibre.

Dans le précédent numéro de TÊTU, François Ozon nous disait que la France avait un problème avec les acteurs très beaux. Tu confirmes ?

Ah oui ! Complètement ! Robin Campillo a beaucoup hésité à mon sujet parce qu’il trouvait que mon physique n’était pas “crédible”. Alors je pense qu’il y a des combats plus importants en ce moment que la valorisation des acteurs beaux dans le cinéma français, mais c’est vrai que c’est un truc assez étrange... Et puis je ne me trouve pas très beau... Non, mais c’est vrai... Je suis comme je suis, je ne vais pas me crever un œil pour avoir un rôle... Mais j’aimerais bien qu’on ne s’arrête pas à ma gueule. Sur ce sujet, les réalisatrices sont plus fines, moins superficielles que les mecs. Je suis pour une démocratisation queer de la beauté. Arrêtons de croire que c’est une hiérarchie. Appelle- moi “beau gosse” et je me barre.

Il paraît que pour savoir qui tu es il faut te voir sur une piste de danse...

(Rires.) C’est vrai, j’adore danser. Honnêtement, je crois que je rêverais de faire Danse avec les stars ! Les danses de salon, ça me fascine. La nuit a longtemps été un refuge dans ma jeunesse. Si l’on aime autant que moi le contrôle, on aime forcément le lâcher-prise. La fête, c’est vraiment le lieu où tout le monde s’abandonne, où personne n’existe vraiment. Tout y est éphémère, donc beaucoup plus fort et beaucoup plus vivant. J’ai vécu des nuits inoubliables, des fêtes qui semblaient ne jamais s’arrêter. Aujourd’hui, je sors plus rarement. Mon quotidien – et ça risque de ne pas trop faire bander tes lecteurs –, c’est d’être couché à 22 h avec une tisane. Désolé de casser le fantasme ! (Rires.)

 

Par Renan Cros le 30/11/2020