Abo

internetRencontre avec Ronan au théâtre, un youtubeur pas vraiment comme les autres

Depuis quatre ans, Ronan Ynard, alias Ronan au théâtre, propose une chaîne YouTube qui dévoile joyeusement sa passion pour un théâtre d’aujourd’hui, notamment ouvert aux questions LGBT encore trop peu abordées sur les scènes françaises. Voilà qui valait bien un portrait, surtout en cette période morose pour le spectacle vivant.  « C’est ce qu’on appelle être…

Depuis quatre ans, Ronan Ynard, alias Ronan au théâtre, propose une chaîne YouTube qui dévoile joyeusement sa passion pour un théâtre d’aujourd’hui, notamment ouvert aux questions LGBT encore trop peu abordées sur les scènes françaises. Voilà qui valait bien un portrait, surtout en cette période morose pour le spectacle vivant. 

« C’est ce qu’on appelle être putaclic ! Bizarrement, je l’assume complètement. D’ailleurs, ça me fait rire : on va toute l’année voir des spectacles avec des gens carrément à poil sur scène, et là certains s’émeuvent que je sois torse nu dans quelques-unes de mes vidéos – quelques-unes oui, j’ai calculé l’autre jour, c’est juste une sur quinze en moyenne ! »

Ronan dans la rue avant une représentation, Ronan qui croise des têtes connues en sortant de la salle, Ronan qui prend les transports en commun pour rentrer chez lui, mais aussi Ronan qui se filme au réveil à 4h53 avant une représentation très matinale ou Ronan qui sort d’une piscine entre deux spectacles du Festival d’Avignon… Depuis 2016, le Youtubeur Ronan Ynard, 28 ans, documente face caméra sa passion immodérée pour le théâtre et la partage à qui veut bien l’écouter (plus de 5300 abonnés). Torse nu, parfois, donc ! « Je ne sais pas pourquoi ça ressort autant dans les commentaires ou sur les réseaux sociaux. On va dire que c’est un peu devenu ma marque de fabrique. Limite, j’ai envie de davantage l’exploiter, mais il faudrait que je fasse plus de sport ! »

 

Un dévoilement qui pourrait paraître anecdotique, certes, mais c’est justement cette mise en scène de son expérience de spectateur et de ses propres coulisses (quand il fonce pour ne pas être en retard, quand il rentre mécontent d’une représentation, quand il a une illumination avant de se coucher…) qui révèle le fond son propos. « C’est le YouTube game en fait ! Un jeu compliqué comme à la fois je veux être pris au sérieux et à la fois être divertissant. Et on n’est pas divertissant en restant face caméra de manière très sérieuse, surtout pour parler de théâtre. Par exemple, dans une ambiance festival comme celle d’Avignon, je ne raconte pas mieux ce que les spectateurs vivent en montrant ma gueule de travers après avoir dormi seulement trois heures ! »

« Je viens d’un milieu social où l’on n’allait pas au théâtre »

A LIRE AUSSI : 25 ans après sa mort, l'oeuvre de Jean-Luc Lagarce est plus vivante que jamais 

Sur internet, Ronan Ynard parle donc de théâtre, beaucoup (quelque 350 vidéos au compteur), avec une approche décomplexée très loin d’un art par moments très (trop) pris au sérieux par une poignée de rigoristes irrités qu’un jeune homme puisse sortir son smartphone dès les applaudissements, donner son avis dans la foulée puis mettre le résultat sur YouTube ! « J’ai tout simplement fait la chaîne que j’aurais aimé trouver à l’époque. »

Cette époque, juste avant la création de sa chaîne, c’est celle de son arrivée en région parisienne – il a quitté son Auvergne natale en 2010, à l’âge de 18 ans. Après un début de parcours universitaire scientifique, il bifurque en licence d’études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle, comme le monde du spectacle vivant le passionnait depuis tout gamin – même si, paradoxalement, il vient « d’un milieu social où l’on n’allait pas au théâtre ».

En 2011, il a alors son premier véritable choc théâtral : Le Chagrin des ogres du metteur en scène Fabrice Murgia, sur deux enfants qui vont être jetés à corps perdu dans le monde des adultes (une captation est disponible ici). « Là, c’est la claque. Des micros sur scène, de la vidéo projetée, une narration qui n’est pas linéaire… C’est une explosion de tout ce que je connaissais du théâtre, moi qui avant n’avais vu que des pièces de Laurent Ruquier et des classiques comme Molière et Feydeau avec l’école. » Il en ressort avec l’envie de faire la même chose (il s’essaiera à la mise en scène) et, surtout, d’en parler, comme il l’a récemment expliqué dans une vidéo "foire aux questions" où il revient sur son parcours et les débuts de sa chaîne – et le peu d’argent qu’elle lui rapporte (d’où la nécessité de bosser à côté dans la communication culturelle).

 

 

« Spectateur lambda »

« J’aime parler du présent, du théâtre d’aujourd’hui, pour ne surtout pas en faire un art muséal figé. » Se voit-il alors comme un journaliste, voire un critique ? « Je refuse ces mots même si je fais pas mal de critique sur ma chaîne. S’il fallait en trouver un, je dirais plutôt influenceur, même si je ne l’aime pas trop non plus ! Pour moi, je suis juste un spectateur lambda qui sert d’intermédiaire entre un autre spectateur et un théâtre. »

Une approche qui plaît, tant du côté des institutions (« en un an, plein de gens se sont intéressés à moi, on m’a invité ici et là très rapidement comme ce que je faisais était vraiment nouveau pour le monde du théâtre ») que d’une partie du public qui, maintenant, le reconnaît dans les salles. « De plus en plus même ! Les premières fois ça fait bizarre, surtout que j’avais un peu peur, je prenais mes distances. Mais je me suis vite rendu compte que c’était très sympa, que ça faisait partie du jeu ! »

Un jeu qui n’a tout de même pas plu à tous, du moins au début… « Là où ça a été un peu difficile, c’est avec les journalistes. Il y a rapidement eu deux camps : les amis et les autres qui n’avaient même pas envie de me dire bonjour. Je pense que ça vient d’une peur de ces nouveaux médias, que certains dévalorisent en disant : il réagit à chaud, ce n’est pas travaillé, il n’est pas légitime… Mais, en quatre ans, je pense avoir prouvé ma légitimité. D’ailleurs, j’ai maintenant beaucoup moins de problèmes de ce côté-là ! »

 

« J’aimerais bien être plus militant »

Cette légitimité gagnée sur la durée lui offre une grande liberté, notamment dans le choix de ses sujets, parfois attendus (la grosse création dont tout le monde parle), parfois moins. Ronan, ouvertement homosexuel (« je fais souvent des petites blagues dans mes vidéos ou sur les réseaux sociaux au sujet d’acteurs avec lesquels j’aimerais bien sortir ! ») et dont le mémoire de fin d’études portait sur les drag-queens dans les comédies musicales anglophones, évoque ainsi souvent les thématiques LGBT sur sa chaîne. Au fil des ses vidéos, il peut aussi bien parler d’homoparentalité via un spectacle sur un texte de Christophe Honoré, de masculinité questionnée notamment par la pratique du théâtre avec l’auteur et comédien Édouard Louis que de la tension homoérotique du film La Baie des Anges de Jacques Demy – oui, il a bien dû se consacrer à d’autres choses que le théâtre pendant ce deuxième confinement !

« J’aimerais bien être plus militant mais je suis complètement terrorisé par le militantisme, les manifestations… Ma chaîne est le moyen de, parfois, affirmer des choses, de prendre position. Dans mes choix de spectacle, j’essaie par exemple de mettre en avant des artistes qui ont moins de visibilité car considérés comme trop de niche dans leur sujet ou leur esthétique. » Et quand il cause de cinéma ces dernières semaine du fait de la fermeture des théâtres, il va vers Garçon chiffon de Nicolas Maury et Miss de Ruben Alves (sur ce dernier film, il regrette d’avoir dit que « comme le personnage était non-binaire, la question trans ne le concernait pas », ce qui est faux comme il l’a appris ensuite en se renseignant).

Vlog (blog vidéo), interview, sélection de spectacles, speed dating avec de jeunes compagnies, Ronan awards… Rendez-vous donc sur la chaîne Ronan au théâtre pour suivre l’actualité théâtrale nationale (il voyage quelquefois loin de la capitale, et parle de toute façon souvent de spectacles qui tournent partout en France) analysée avec son regard qui fait un bien fou. Avant, pourquoi pas, de peut-être l’entendre à la radio ou le découvrir à la télé (il avait passé quelques essais fut un temps), même si c’est moins les médias que les coulisses des théâtres qui l’attirent – il aimerait bien bosser dans l’équipe de direction d’un lieu, voire carrément en être le directeur. Au vu de ce que qu’il nous raconte depuis quatre ans, on parie sur une programmation bien queer et tant mieux !

Par Aurélien Martinez le 07/01/2021