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cinémaLe "gay best friend", histoire d'un stéréotype en pleine évolution

Par Florian Ques le 26/02/2021
gay best friend

Un temps perçu comme une réjouissance en matière de visibilité LGBTQ+,  le "meilleur ami gay" du cinéma et des séries a pourtant longtemps été cliché. Mais c'est en train de changer ! Retour sur sa métamorphose au fil des années.

Au cinéma et à la télévision, certains stéréotypes ont la dent dure. Le GBF – abréviation de "gay best friend" – en est le parfait exemple. Dans les années 80, la fiction audiovisuelle voit naître ce personnage alors inédit : le meilleur ami homosexuel. Comme son nom l'indique, il ne s'agit pas là simplement d'un personnage gay. Le gay best friend est non seulement défini par sa sexualité, il est aussi caractérisé par son lien amical avec le héros ou l'héroïne de l'histoire. D'après le média The Advocate, l'un des premiers cas de figure remonte à 1984 avec Buddy dans La Fille en rouge. Vendu comme le meilleur ami du héros joué par Gene Wilder, il lui vient fréquemment en aide au gré de ses nombreux imbroglios amoureux.

Les origines d'un stéréotype

Bien qu'il n'ait droit à aucun réel développement scénaristique, Buddy ouvre cependant la voie à d'autres représentations du même acabit. Avec une altération notable : là où ce dernier faisait partie intégrante d'une bande de potes hétéros – un détail progressiste pour l'époque –, le gay best friend change pour être désormais dépendant d'un personnage féminin. Aussi bien dans Génération 90Le Mariage de mon meilleur ami ou encore Sex and the City, il est souvent flamboyant, drôle, bienveillant… Et complètement cliché au regard des attentes de 2021. Cela dit, pour l'époque, ce stéréotype en devenir promeut une image positive de l'homosexualité qui aura sans doute contribué à son acceptation dans la société.

Le "gay best friend", histoire d'un stéréotype en pleine évolution

Car comme Julia Roberts ou Sarah Jessica Parker, toutes les filles ont voulu un gay best friend. Un meilleur ami comme un accessoire. Relégué au second plan, il n'existe que pour épauler l'héroïne. Il lui donne des conseils avisés, qu'ils soient d'ordre sentimental ou vestimentaire – à l'image de Nigel, le directeur artistique sarcastique du Diable s'habille en Prada. Il la réconforte quand le moral n'est pas au beau fixe – comme Damian dans Lolita malgré moi. Ou, encore, il feint l'hétérosexualité pour aider son amie à rendre jaloux un autre homme – une technique aperçue entre autres dans Clueless.

Un autre détail notable : le "meilleur ami gay" peut parler d'amour comme de sexe sans aucun complexe. Un constat presque miraculeux quand on prend conscience qu'il n'est pas du tout sexualisé : en effet, il n'a aucun rapport sexuel à l'écran. Et s'il a un petit ami, celui-ci est soit mentionné, soit croisé le temps d'une apparition éclair où tout geste d'affection est malvenu. En soi, le gay best friend est un stéréotype des plus paradoxaux : il n'est défini que par sa sexualité, sans pour autant que sa sexualité soit développée ou montrée. Une contradiction qui amène à penser que le fameux GBF est une conception hétéronormée [comprendre : qui s'adapte aux valeurs hétéros dominantes dans la société].

Le poids du regard hétérosexuel

En définitive donc, le gay best friend n'existe qu'à travers un prisme hétérosexuel. Il s'apparente à une vision aseptisée de l'homosexualité, considérée comme anecdotique quand elle ne tombe pas simplement dans le dérisoire. C'est une représentation conçue par les hétéros, pour les hétéros, et surtout, aux dépens des homos. À ses débuts, il faudrait aussi souligner certains enjeux économiques. Pour les annonceurs ou producteurs, il pouvait s'avérer périlleux de soutenir des projets gay-friendly dans une société où être gay n'était pas aussi accepté qu'aujourd'hui – même si, rappelons-le, beaucoup de travail reste évidemment à accomplir.

Le "gay best friend", histoire d'un stéréotype en pleine évolution
Clara Sheller (crédit photo : France 2)

En parallèle, et à notre grand dam, un épiphénomène commence à voir le jour : l'héroïne qui s'éprend de son "meilleur ami gay". Une piste narrative qui est au cœur de L'Objet de mon affection, un film de 1998 où Jennifer Aniston commence à en pincer pour Paul Rudd, à tel point qu'elle tente de le "convertir" lors d'une nuit d'ivresse. Un message plutôt maladroit qui tend à renforcer l'aspect anecdotique de l'homosexualité, comme si elle pouvait être corrigée. En France, Clara Sheller est tombée plus ou moins dans ce même piège en faisant coucher sa protagoniste avec son GBF joué par Frédéric Diefenthal.

Évolutions et prises de conscience

Heureusement, certaines incarnations du "meilleur ami gay" parviennent à réinventer la roue. Mais pas nécessairement celles qu'on croit. Prenez la série Will & Grace, avant-gardiste pour son époque. Lancée en 1998, ce fut la première sitcom états-unienne à avoir un homme ouvertement gay en tête d'affiche. Pourtant, le véritable gay best friend du show, ce n'est pas Will mais Jack. Incarné par Sean Hayes, celui-ci coche toutes les cases du fameux stéréotype : artistique, flamboyant, avec du répondant. Et s'il a hérité d'une relation stable dans le revival de la série en 2017, sa vie amoureuse était tout de même moins mise en avant et dépeinte durant les premières saisons. Jack était, en tout cas, un pas vers la bonne direction.

Bravant la fiction, le GBF est presque devenu un must-have vers la fin des années 2000. Bon nombre de filles désiraient avoir un confident homosexuel capable de les accompagner en virée shopping. Une tendance telle qu'elle a inspiré le synopsis de G.B.F., un long-métrage de 2013 réalisé par Darren Stein. Avec plus ou moins de subtilité, le film décortique l'existence même de ce stéréotype étouffant alors qu'un lycéen se fait outer et devient ainsi le dernier accessoire que se disputent les trois meneuses de clique de l'école. S'il ne relève pas du chef-d'œuvre, G.B.F. a le mérite de parler de ce cliché en le contournant, faisant du "meilleur ami gay" le héros de sa propre histoire. Un exploit suffisamment rare pour être loué.

Le renouveau du "meilleur ami gay" ?

"Être le meilleur ami gay, ça se fait encore ?", assène la peste Cheryl Blossom dans le pilote de Riverdale en 2017. La réponse est oui, même s'il ne prend plus toujours la même forme. Jusqu'ici, le gay best friend était majoritairement blanc. Il continue d'ailleurs de l'être dans de nombreuses fictions comme Girls ou, justement, Riverdale avec le personnage navrant de Kevin. Mais depuis les années 2010, Hollywood semble avoir découvert l'intersectionnalité : on pense ainsi à Oliver dans Crazy Rich Asians, à Lucas dans À tous les garçons que j'ai aimés ou encore l'hilarant Titus Andromedon dans Unbreakable Kimmy Schimidt – qui parvient, lui, à surpasser le cliché qu'il incarne pour montrer que des nuances peuvent être apportées. Une mention spéciale doit être décernée à Angela, 15 ans qui, en 1994, confiait le rôle du GBF à un acteur afro-portoricain homosexuel (Wilson Cruz) tout en s'éloignant d'une représentation trop superficielle.

Le "gay best friend", histoire d'un stéréotype en pleine évolution
Love, Victor (crédit photo : Disney+)

Également signe d'innovation, le "meilleur ami gay" n'est plus systématiquement flanqué d'une femme hétéro. Des séries comme Faking It ou encore plus récemment Sex Education changent la donne en misant sur une amitié entre un homme gay et un homme hétéro. Même si, bien entendu, le personnage hétéro reste davantage mis en avant que son acolyte. L'an passé, une autre dynamique a aussi fait irruption grâce à la comédie romantique Happiest Season. Dans ce film de Clea DuVall, le personnage lesbien de Kristen Stewart demande souvent conseil à celui de Dan Levy, son fidèle gay best friend. On assiste à des changements plutôt formels, puisque le fond reste toujours sujet à de nettes améliorations futures.

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Et puis, il y a Love, Victor. Lancé en juin dernier, le spin-off de Love, Simon bouleverse totalement les codes en mettant un jeune lycéen homosexuel dans le rôle titre. C'est de cette façon que l'on retrouve à ses côtés le "meilleur ami hétéro". Pour l'heure, la série n'a pas encore fait des émules : pas sûr que le straight best friend devienne un ressort narratif récurrent. Cela dit, l'espace d'un instant, ça fait quand même du bien de voir que le stéréotype du GBF peut être adapté pour les gays. Une petite victoire, en espérant que l'industrie audiovisuelle comprenne enfin que le vécu homosexuel ne se résume pas qu'à un accessoire.

Crédit photo : Vertical Entertainment