Les personnes LGBT+ ont toujours fait des enfants. Demain, elles seront de plus en plus nombreuses à en avoir. Adoption, PMA, GPA, coparentalité, transparentalité... ce sont encore leurs enfants qui en parlent le mieux.
A la fin de l’année 2020, les lesbiennes n’ont toujours pas la procréation médicalement assistée (PMA). Certaines continuent de se rendre en Espagne ou en Belgique, ou s’arrangent à la maison avec un donneur pour avoir des enfants. Pourtant, la légalisation de cette technique leur est promise depuis la campagne de François Hollande en 2012. Voilà pourquoi on espère l’adoption prochaine de la “loi bioéthique”, qui arrive en deuxième lecture au Sénat début 2021 – si tout va bien.
Pendant ce temps, certains gays se rendent dans des pays de l’Est, aux États-Unis ou au Canada pour avoir re- cours à la gestation pour autrui (GPA). D’autres se lancent dans des parcours d’adoption, qui aboutissent peu. Des couples gays et lesbiens choisissent de s’associer avec un homme ou une femme célibataires, ou encore avec un autre couple, dans un projet de coparentalité. Ainsi, en France, des en- fants grandissent dans la joie, l’amour et l’adversité au sein de familles homo- parentales et transparentales.
Comme l’ont bien compris les enfants qui témoignent dans ce dossier, il suffit d’une “petite graine” pour faire un bébé. Mais, pour les parents, obtenir et faire pousser cette graine a un coût : “Une PMA coûte entre 3 000 et 15 000 euros ; une GPA, entre 90 000 et 150 000 euros”, détaille Nicolas Faget, le porte- parole de l’Association des parents gays et lesbiens. Alors, pour ceux qui sont au smic, “ce n’est même pas la peine d’y penser”, se désole-t-il. Pour fonder une famille, certains couples homosexuels ont donc recours à des emprunts, à des prêts familiaux ou encore à des ventes de biens immobiliers. En France, en 2020, l’homoparentalité est plus facile d’accès pour celles et ceux qui ont les moyens.
L’adoption, elle, est bien gratuite. Mais “l’accès à l’adoption pour les couples de même sexe n’a été que symbolique”, précise Alexandre Urwicz, le président de l’Association des familles homo- parentales. Pour ceux qui ont recours à la coparentalité, il faut faire le deuil d’un cadre légal stable, puisqu’il est impossible de faire reconnaître plus de deux parents. Impossible également pour certains pa- rents trans d’être reconnus comme “père” ou “mère” après leur transition de genre. Dans un arrêt du 16 sep- tembre 2020, la Cour de cassation a ainsi refusé à une femme transgenre, qui avait gardé ses capacités reproductives masculines, le statut de mère.
Malgré les difficultés, financières pour certaines familles, judiciaires pour la plupart, des couples LGBT+ ont des enfants tous les ans. Et Nicolas Faget l’assure : “On a de plus en plus d’adhé- rents qui réussissent à concrétiser leurs projets familiaux, quels qu’ils soient.” Avec toutes ces contraintes, être parent quand on est LGBT+, c’est beaucoup de pression. Et pour les enfants ? TÊTU leur a donné la parole.
"Papa et Daddy nous ont expliqué pour les petites graines"
Ensemble depuis vingt ans, Bruno et Christophe avaient dans un premier temps renoncé à avoir des enfants. Ils ont finalement eu des jumelles grâce à une GPA aux États-Unis.
Bruno et Christophe (46 ans tous les deux) : “Au départ, on n’envisageait pas la GPA, car on ne pensait pas cette méthode éthique... Mais, à partir de 2009, on s’est longuement renseignés. Et début 2013 on a fait appel à une agence située à Portland. On a motivé notre demande, expliqué pourquoi on voulait être parents, comment on voyait la relation avec notre mère porteuse. On a fait chacun une fécondation in vitro afin d’avoir des jumeaux. Donc on est chacun le père biologique d’une des filles, ce qu’elles ont très bien compris.
Dans le catalogue de la clinique de Portland, on a choisi une donneuse d’ovocytes à partir de son profil génétique et de ses goûts. On a choisi Kelsie. Aujourd’hui, on est amis sur Facebook, on s’envoie des photos de temps en temps. On ne voulait pas être trop intrusifs, car un donneur n’est pas un parent, mais elle nous a dit qu’elle était contente d’avoir des nouvelles.
Pour le choix de la femme qui allait porter nos enfants, l’agence nous a très rapidement proposé Veronica. Il y a eu un feeling réci- proque. Nous sommes allés sur place en mai 2013. On a rencontré son mari, ses parents, ses frères et sœurs. Dès le début, on avait précisé qu’on tenait à garder un lien avec elle : on a créé une rela- tion familiale très forte avec Veronica et les siens.
Olympe et Colombe sont arrivées en avril 2014. On devait être présents, mais comme elles étaient prématurées on n’avait pas encore décollé quand elles sont nées... Heureusement, Veronica et sa famille ont été là pour elles. Par la suite, nous avons logé chez les parents de Veronica pendant un mois. On a été superbement accueillis, comme si on faisait partie de la famille. Veronica tirait son lait, et nous donnions le biberon aux petites. Depuis, on voit sa famille tous les ans. Elle est contente de garder un lien avec les filles et ne se considère pas comme leur mère, mais plutôt comme une tante.”
Colombe et Olympe (6 ans et demi) : “Papa et Daddy sont allés aux États-Unis. Kelsie a donné une petite graine, et Papa et Daddy en ont donné une chacun aussi. Ensuite Veronica a récupéré les graines et elle nous a portées dans son ventre. Nous deux, on est nées en avance. Veronica a appelé Papa, mais il dormait, car c’était la nuit à Paris. Alors nos papas sont arrivés en retard. Et après toute la famille a pleuré tellement ils étaient contents de nous voir quand on est nées. Papa et Daddy nous ont expliqué pour les petites graines. Des fois, on voit Veronica sur Skype et on échange des photos avec Kelsie.
Avoir deux papas, ça change rien. C’est mieux même... On fait des jeux avec Daddy et Papa. On joue à la ba- taille et à plein de jeux de société. Les copains à l’école ils comprennent rien. Ils disent qu’on a une maman, ils disent que la nounou qui vient nous chercher à l’école c’est notre maman. Alors on répond : « On vous a dit cent fois que ce n’était pas notre maman ! » Mais les copains, ils sont sourds...”
Orane (48 ans) et Cécile (43 ans) : “On s’est rencontrées un an et demi avant la naissance de Mélanie On a très vite eu des discussions sur l’envie d’avoir un enfant. On a parlé de la possibilité d’aller en Belgique ou en Espagne. Mais on voulait donner à Mélanie la possibilité d’avoir accès à son histoire et de parler à l’homme qui avait « donné la graine ». Il fallait donc trouver quelqu’un qui pourrait donner son sperme, qui accepterait de n’avoir aucune autorité parentale... et qui pourrait tout de même répondre à ses questions. Quand Éric [l’un des meilleurs amis d’Orane] a dit oui, ça a été super. On a commencé les essais assez vite. On a utilisé une pipette de Doliprane pour l’insémination, tous les jours pendant trois jours, tous les mois. En trois ou quatre mois, le bébé était en route. À la maternité, on nous a mises dans une chambre toutes les deux; on a été chouchoutées. Aucune homophobie : l’équipe soignante était adorable. Quant à Mélanie, on lui a expliqué tout de suite qu’elle avait poussé dans l’amour, mais qu’il manquait une graine pour la faire. Elle sait qu’Éric est son donneur. On lui a montré la pipette de Doliprane. On n’est pas reconnues légalement toutes les deux comme mères, et on est séparées depuis un an. Mais il y a un contrat moral qui est indéfectible entre nous : jamais Mélanie ne sera privée de l’une de ses mamans.”
Mélanie* (8 ans) : “Avant ma naissance, Maman Cécile a dit à Môman Orane qu’elle voulait un enfant. Alors Môman est allée chercher une petite graine pour faire un bébé. Elle a demandé à son ami Éric s’il voulait bien lui en donner. Il a dit oui. Ensuite, Môman a mis des graines d’Éric dans Maman. J’ai connu Éric dès que je suis née, donc j’ai su tout de suite comment on m’avait faite. J’ai compris que c’était mon papa, mais je l’appelle Éric, car « papa » ça me fait bizarre. Je le vois souvent, vu que c’est un ami de Môman.
À Éric, je lui ai aussi demandé comment c’était possible qu’une graine m’ait créée. Je pensais que c’était comme une graine de tournesol, en fait. Quand j’ai su que c’était pas des graines de tournesol, je croyais quand même qu’Éric avait un gros sac de graines et qu’il pouvait l’ouvrir et les donner à qui il voulait. Maintenant, j’ai compris que c’était un sac de spermatozoïdes. Mes copines ne me posent pas trop de questions au sujet de mes deux mamans. Parfois, à l’école, il y a des personnes qui me disent : « C’est pas possible d’avoir deux mamans. » Et moi je dis : « Bah si, c’est possible. » Pour moi, avoir deux mamans, ça ne change rien, c’est normal. C’est cool, car je fais des activités différentes avec les deux. Avec Maman, j’aime bien cuisiner, dessiner et faire de la déco. Avec Môman, j’aime aller dans des parcs, des musées et à la mer.”
David, Nicolas et Virginie se rencontrent en février 2006 sur un site de coparentalité. À l’époque, si Virginie n’en- tretient pas de relation amoureuse stable, elle a un dé- sir d’enfants depuis de nombreuses années. Nicolas et David, eux, sont installés ensemble depuis trois ans. Ils veulent fonder une famille et sont attirés par la coparentalité. Tous trois ont désormais deux enfants : Emma* (13 ans), dont les parents biologiques sont Nicolas et Virginie, et Valentin* (6 ans), le fils biologique de David et Virginie. Il y a trois ans, Sandrine, la com- pagne de Virginie, a rejoint la famille à son tour.
Les parents : “Dès notre première rencontre, en février, on a parlé de la proximité. On imaginait tous les trois la coparentalité comme quelque chose de très proche, alors la géographie nous semblait vraiment importante. On s’est rencontrés à plusieurs reprises ; on se voyait au moins une à deux fois par semaine. On se faisait des restos, des cinémas, des week-ends. On parlait de l’éducation des enfants, de Noël, du rôle des grands-parents. Dès notre rencontre, on avait projeté d’avoir deux enfants. Alors, fin août, on s’est dit qu’on était prêts. Et en octobre on a eu la chance d’avoir un test de grossesse positif. On a donc commencé à chercher deux logements l’un près de l’autre. Mais on a vite abandonné, car on avait des envies et des budgets différents. Puis on a trouvé une ancienne usine de vêtements pour enfants. On a tout retapé et on a fait une grande maison : d’un côté il y a l’appartement des papas, de l’autre celui des mamans et, au milieu, les chambres des enfants.
Concernant l’éducation, ce n’est pas compliqué. On est une fa- mille, une tribu. On s’aime les uns les autres. On passe beaucoup de moments ensemble. On est toujours dans le dialogue. On échange énormément. L’intégration de Sandrine à la famille s’est faite très naturellement. On a une tradition : tous les vendredis soirs, on se fait un apéro familial. Et il y a plein d’autres moments informels.
Niveau organisation, c’est assez simple : les lundis et jeudis les enfants sont chez les mamans, et les mardis et mercredis chez les papas. Et on alterne pour les week-ends. On part également souvent en vacances tous les six. La première semaine de juillet, on la passe ensemble systématiquement, y compris avec les grands-parents et les cousines. C’est un rituel depuis les 1 an d’Emma. Tout le monde se connaît bien, tout le monde s’aime beaucoup.” ·
Jonas est le papa de Chloé (6 ans), qu’il a porté dans son ventre avant sa transition. Il est aussi le beau- père des enfants d’Harmonie : Charly (6 ans), Jules (5 ans), et Éloïse (3 ans).
Jonas (27 ans), père de Chloé et beau-père de Charly, Jules et Éloïse : “J’avais commencé ma transition depuis deux mois lorsqu’on s’est mis en couple avec Harmony. Faire comprendre aux enfants que je suis un homme, ça a été assez facile. Tout petits, ils ne sont pas influencés par la société. S’ils avaient été plus âgés, ç’aurait sûrement été plus compliqué. Par ailleurs, Charly, Jules et Éloïse ne me connaissaient pas avant ma transition, ce qui a simplifié les choses.
Chloé sait qu’elle était dans mon ventre et se souvient que j’étais sa maman. J’ai commencé ma transition médicale en octobre 2017. J’ai commencé à lui en parler quand elle m’a dit « toi, tu ne piques pas », en se frottant à ma joue. Peu après, je lui ai dit que je n’étais pas heureux et que j’allais faire des piqûres qui rendent heureux. Au tout début de notre histoire avec Harmonie, Charly ne comprenait pas que ma fille m’ap- pelle Maman. J’ai de la chance. Avec le recul, je me dis que je me suis pris la tête pour pas grand-chose.”
Charly, 6 ans : “Un jour, j’ai demandé à Jojo pourquoi il avait des cicatrices sur le torse. Maman m’a alors dit que Jojo, avant, c’était une fille. J’ai répondu « c’est pas vrai ! », car je n’y croyais pas. Je ne savais pas qu’une fille pouvait devenir un garçon, ou l’inverse.
Donc Maman m’a montré une photo d’un homme qui était une fille et qui était devenu un garçon. Et là, j’ai compris que c’était la vérité ! Avant, Jojo était une fille, et il est devenu un garçon parce qu’il n’aimait pas être une fille. Moi, bien sûr, je ne me souviens pas de Jojo en fille, parce que je ne l’ai pas connu avant qu’il soit un garçon. Comment est-il devenu un garçon? Grâce aux cicatrices sur son torse! Et aussi, il fait des piqûres, c’est Maman qui lui fait.
Ça fait trois ans que j’habite avec Jojo. Avant, je me souviens qu’il avait des poils, mais pas sur le visage. Maintenant, il a beaucoup de poils sur les jambes et sur les bras. J’ai l’impression qu’il est plus fort qu’au début, il est capable de soulever des cartons remplis et il peut me porter jusqu’au plafond... Pourtant, je suis ultra lourd, je mange plus que Maman.”