Karim* a 25 ans et il est polyamoureux. Il a deux petits-amis. L’un à Lyon, l’autre à Paris. S’il aime Paul et Eliot différemment, il jure ne pouvoir se passer ni de l’un, ni de l’autre. Mais il se rend aussi compte que vivre deux amours et se détacher du classique modèle monogame est un véritable défi à relever.
« Je suis étudiant en alternance, entre Lyon et Paris. Je suis en couple avec Paul* depuis sept ans, qui vit à Lyon. On s’est rencontrés par l’intermédiaire d’une amie, j’avais 17 ans à l’époque. Très vite, on a mis en place une relation assez libre, avec certaines limites. Jusqu’à l’année dernière, Paul était mon unique relation amoureuse, toutes mes autres aventures étaient sexuelles et sans attaches. Il y a six mois, à Paris, j’ai rencontré un autre garçon, Eliot*, avec qui j’ai désormais une relation suivie. Donc j’ai deux copains : Paul à Lyon et Eliot à Paris. Je suis polyamoureux. Eliot est d’ailleurs lui-même en couple avec quelqu’un d’autre aussi.
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Pour l’instant, c’est simple de gérer mes deux relations puisque j’ai un copain dans chaque ville, donc c’est en fonction d’où je suis. Mais je vais sans doute m’installer avec Paul donc je pense qu’à ce moment-là j’aurais moins de temps à accorder à Eliot…
« Il craignait que je le lâche pour quelqu’un d’autre »
Je considère toujours Paul comme étant mon copain officiel. Avec Eliot, c’est plus difficile à expliquer, on n’arrive pas trop à définir ce que l’on est l’un pour l’autre. Eliot et moi, au début, on devait juste passer une soirée ensemble, ça devait être une rencontre ponctuelle comme j’en ai eu d’autres. On s’est très très bien entendus alors on a vite continué à beaucoup se voir. J’ai un peu laissé les choses se faire sans trop me poser de questions… Et je me suis rendu compte que je m’attachais à lui.
J’en ai parlé à Paul très rapidement. Il a eu un peu peur. On en a parlé et il ne comprenait pas forcément : il craignait que je le lâche pour quelqu’un d’autre. J’ai dû lui expliquer que le fait d’avoir des sentiments pour un autre garçon, ça ne me faisait pas douter de mes sentiments pour lui. Au contraire même, en rencontrant Eliot, je me suis encore plus rendu compte de tout ce que j’aimais chez Paul. Cette rencontre a fortifié mes sentiments pour lui. Les craintes de Paul se sont dissipées. Il me fait confiance. Depuis on n’en parle plus trop. Il n’en a pas spécialement besoin, puisqu’il ne ressent pas de différence dans son quotidien. Je suis toujours plus souvent à Lyon qu’à Paris, il n’est plus spécialement inquiet.
Si je devais décrire mon amour pour eux, je dirais que les sentiments que j’ai pour Paul sont plus ancrés en moi, je suis plus intimement lié à cette relation qu’à Eliot, avec qui je ne me suis pas construit. A ce stade, mes sentiments pour Eliot restent quand même plus superficiels. Mais je les aime tous les deux et je leur dis. Mes deux relations amoureuses sont tendres.
« J’ai une tendresse et une affection vraiment particulière pour eux »
Je ne suis pas très à l’aise avec l’idée du polyamour. Ça remet beaucoup en question mes propres schémas, mes propres croyances. Je les bouleverse un peu par mon expérience, par ce que je ressens et ce que je vis. Au départ, j’ai quand même une idée assez traditionnelle du couple, d’une relation à deux. Quand Paul m’a parlé d’une relation ouverte, j’avais 17 ans, et il a fallu m’accompagner un peu. Ce n’était pas naturel pour moi. Finalement, c’est surtout moi qui y ai pris goût : j’avais des relations purement sexuelles voire même anonymes. A l’inverse, le sexe n’est pas le ciment de mes relations avec Paul et Eliot. Ce sont des personnes qui m’ont touché et que j’ai envie de connaître. J’ai une tendresse et une affection vraiment particulière pour eux. Ce n’est pas quelque chose qui naît facilement avec tout le monde.
Pour moi, l’idée c’est « d’inventer une relation ». Le polyamour c’est un mot qui doit définir quelque chose de très personnel. Il y a tellement de représentations du couple monogame, dans la société, dans l’art… Alors que le polyamour, c’est difficile de se projeter dedans. Il faut l’inventer. La question que je me pose c’est : jusqu’à quand je vais pouvoir accepter d’être dans cette situation de polyamour ? J’ai peur que ça nuise à mon couple « principal » avec Paul et en même temps j’ai peur que la relation avec Eliot change, car on est bien ensemble.
« Aimer deux personnes, c’est fatigant »
Le plus compliqué à gérer, c’est tout simplement d’aimer deux personnes. Ça occupe beaucoup l’esprit. C’est fatigant. J’ai une vie sociale assez chargée, entre deux villes, avec mes études, un travail, un copain, des amis. Je ne me voyais pas forcément faire entrer quelque chose en plus dans ma vie. Pour moi, il n’y avait pas la place. Je n’étais pas en recherche de relation suivie et sentimentale… Du coup, c’est encore en construction. On ne sait pas trop où on va, Eliot et moi, on navigue à vue. Mais ce qui est clair, c’est qu’on entretient une vraie relation. On passe beaucoup de temps chez moi, ensemble. Je télétravaille la journée, il vient bosser ses cours. On mange ensemble le soir, on boit du vin.
Mes proches sont au courant que j’ai deux copains. Beaucoup d’entre eux connaissent très bien Paul, savent à quel point on s’aime et à quel point notre relation est saine. Ils espèrent que je ne prends pas de risques pour nous deux. Mais j’ai toujours été assez intense dans mes relations donc ça ne les choque pas.
« Ce sentiment de jalousie, je ne l’avais pas ressenti depuis longtemps »
Paul et Eliot ne se sont pas rencontrés. Ils savent tous les deux que l’autre existe. Je ne suis pas forcément prêt à faire les présentations. En revanche, Eliot insiste de plus en plus pour que je rencontre son petit-ami. Je ne me sens pas prêt non plus. L’idée qu’il ait un copain ne me dérange pas. Mais je ne veux pas forcément les voir ensemble. Eliot voit d’autres personnes en plus de moi et de son copain. Il fréquente un garçon qu’il aime bien en ce moment, et ça me rend jaloux. Ce sentiment de jalousie, je ne l’avais pas ressenti depuis longtemps et je trouve que c’est usant. Pourtant, aucun de nous deux n’a vraiment envie d’arrêter de se fréquenter, malgré ce petit bémol.
Ça ne crée pas de disputes. On n’est pas fâchés, il n’y a pas de rancœur, mais ça crée un gros sentiment de malaise chez moi. Je lui en parle et lui est dans une situation embarrassante : il ne peut pas me promettre des choses que moi-même je ne permettrais pas… Et moi-même, je sais que je ne me permettrais jamais de lui demander de l’exclusivité. »
* Les prénoms ont été changés
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