Bashar Murad est Palestien, gay, et surtout un phénomène de la pop. Le 11 juin dernier, il dévoilait son EP Maskhara, dans lequel il exprime pleinement son engagement pour la liberté de son pays. Une liberté qui n'exclut personne selon son genre, sa religion ou son orientation sexuelle.
Bashar Murad est en passe de devenir l'une des figures queer emblématiques du Moyen-Orient. La sortie, le 11 juin dernier, de son EP Maskhara - "la mascarade"- a confirmé au monde que Bashar Murad était bien décidé à faire bouger les lignes et les frontières à grands coups de musique pop. Le chanteur de 28 ans est gay, palestinien, et revendique ces deux identités. "On ne peut pas dire qu’il n’y a qu’une façon d’être Palestinien. C’est un combat intersectionnel contre le colonialisme, contre le patriarcat, l’occupation, l’homophobie", affirme celui qui n'hésite pas à dénoncer l'occupation israélienne dans ses clips.
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Toute sa vie, le chanteur la passe à Jérusalem, bercé par deux influences principales : la pop culture, et la musique de Sabreen, le groupe de son père. "On m'emmenait en concert, en studios, j’étais constamment entouré d’artistes", se souvient Bashar, le sourire au lèvres. Si bien que le groupe a eu une influence déterminante sur sa propre musique. "Sabreen parle de l’expérience d’être Palestinien à différentes périodes, de la frustration que l'on ressent. J’ai l’impression de faire la même chose, mais avec les yeux de ma génération."
"La pop culture représentait une fenêtre ouverte sur le monde"
Son regard est notamment marqué par la pop culture, et cela dès l'enfance. "Pour moi, la pop culture représentait une fenêtre ouverte sur le monde. C’est à travers elle que je voyais le monde extérieur. J’étais fasciné", confie-t-il. "Ce que je m'efforce de faire, c’est mixer la pop culture avec une touche palestinienne. C’est l’essence même de la pop culture de piocher des éléments hétéroclites et les rassembler en quelque chose d’éclectique et de nouveau."
Mais si le jeune homme tient tant à cette fenêtre vers l'extérieur, c'est notamment à cause d'un manque de représentation. "Quand je regardais la TV ou que j’écoutais de la musique, je cherchais quelqu’un qui me ressemblait, particulièrement quelqu’un de ma culture. Mais il n’y en avait jamais", déplore-t-il. Alors, le jeune homme cherche ses inspirations dans la pop culture. "J’adore les gens qui font preuve de courage et osent transcender les frontières du genre." Il se tourne plus particulièrement vers des artistes comme Freddy Mercury, Lady Gaga ou encore Stromae. "Ce sont des icônes aux personnalités fortes qui se fichent de ce qu’on peut dire sur eux."
"Finalement, les gens qui nient mon existence me donnent de la matière pour écrire"
Sa différence, il la perçoit très tôt, sans forcément mettre un mot dessus. "En fait, c’est comme si je l’avais toujours su, même avant d’avoir pris conscience de mon attirance pour les hommes", se remémore-t-il amusé. C'est d'abord à travers le regard des autres enfants que ses premiers doutes apparaissent. "Ils me demandaient : “Pourquoi tu marches comme ça?”, “Pourquoi tu parles comme ça?”, “Pourquoi tu traînes toujours avec des filles?”" C'est ainsi qu'il se montre davantage attentif à ses sentiments et à ses désirs une fois arrivé à l'adolescence.
Depuis, il assume pleinement qui il est. Même si on continue de nier son existence, en tant que Palestinien d'un côté, et en tant qu'homme gay de l'autre. "Finalement, les gens qui nient mon existence me donnent de la matière pour écrire. Ils me donnent une raison de dire "Salut, j’existe !" C’est très contradictoire parce que je dois me battre tous les jours sur différents fronts et c’est fou de devoir rappeler ça."
Et même si ce n'est pas toujours évident, il est persuadé que c'est également une opportunité pour la communauté queer. "Quand j’étais jeune, il n’y avait aucune représentation, aucun gay palestinien pour dire "j’existe"."
"J’espère que ça pourra encourager certains à faire entendre leur voix"
Lui même aimerait endosser un rôle de "modèle" pour les jeunes générations. "C’est juste génial quand un jeune Palestinien vient me remercier en me disant que ce que je fais est important." C'est d'ailleurs pour cette connexion avec le public que Bashar s'est lancé dans la musique. "J’espère que ça pourra encourager certains à faire entendre leur voix, à se montrer courageux et à s’assumer."
Et pour cela, il veut contribuer à faire évoluer les mentalités au sein de son propre pays. Ses quatre années à l'université, il les passe aux États-Unis. Premier choc. "Ça a véritablement influencé ma vie parce que c’était la première fois que je voyais combien la vie peut être simple", déclare le jeune homme. "Quand je suis revenu en Palestine ensuite, ça a été un second choc, car j’avais expérimenté une autre vie." Il aspire à obtenir cette même liberté à Jérusalem.
"Je veux avoir liberté de vivre pleinement ma sexualité mais je vise aussi une forme plus basique de liberté qui inclut la liberté de mouvement, la liberté de choisir comment je m’identifie, en tant que Palestinien, gay, queer...". Il se montre toutefois lucide sur les conditions nécessaires à l'évolution des mentalités sur l'homosexualité. "On ne peut pas espérer de la société qu’elle évolue sur cette question quand on ne dispose même pas de la liberté de mouvement, que les gens sont séparés en zones définies."
Une évolution des mentalités progressive
Ce combat contre l'occupation de la Palestine, il le mène donc au nom de la justice sociale. "Il est important que les gens comprennent que ce n’est pas juste un combat religieux mais un combat qui touche notre humanité dans ce qu’elle a de plus simple. Il s’agit d’individus qui veulent juste mener une vie normale. Nous nous battons pour la liberté." D'ailleurs, selon lui, la religion ne représente pas une barrière. Né d’une mère chrétienne et d’un père musulman, lui-même a "laissé tomber la religion il y a longtemps". Mais il "pense qu’il est tout à fait possible de combiner homosexualité et religion".
Il voit d'ailleurs les efforts de la communauté queer payer et les stéréotypes reculer peu à peu. "Il y a dix ans si quelqu’un avait parlé d’homosexualité, il y aurait eu un déni total de la société. Maintenant, il y a des gens contre, bien sûr, mais d’autres assument leur homosexualité au grand jour. Ils s'expriment, ce qui était impossible il y a dix ans." Pour lui, le chemin est encore long au Moyen-Orient pour en faire "un endroit sûr pour les personnes LGBTQI+". Mais il tient à rappeler qu'en Occident, "la Pride a démarré avec les émeutes de Stonewall, les gens se sont battus et se battent encore. La communauté queer ici mérite le même combat."
"Si nous partons, qui restera ?"
Ces derniers mois, de nombreux Palestiniens ont manifesté à Sheikh Jarrah, le quartier de Jérusalem-Est, sous les fenêtres de Bashar. "C’était une opportunité de descendre dans les rues et de parler", déclare-t-il. "Mais la situation demeurait dangereuse, je pouvais me faire arrêter, me faire tirer dessus. Nous n’étions pas en sécurité mais nous croyions en ce pour quoi nous étions rassemblés."
Malgré les difficultés, il préfère rester à Jérusalem. "J’aime Jérusalem et la Palestine. Ça pourrait être un endroit tellement merveilleux, qui réunirait une multitude de personnes aux parcours différents. Il y a tant de potentiel. C’est pour cela qu’on reste et qu’on se bat." Il reconnaît qu'il pourrait prendre le premier avion pour Berlin ou les États-Unis, et vivre une vie plus simple. Mais lorsqu'il y pense, une question demeure : "Si nous partons, qui restera ? Les extrémistes ? Les gens qui veulent s’accaparer la terre pour une seule religion ? Pour une seule catégorie de personnes ? Nous devons rester."
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Crédit photo : Fadi Dahabreh