Mohamed E., âgé de 22 ans, a reconnu avoir tué Michel S., 55 ans, rencontré sur le site de chat Coco. Son procès a commencé ce lundi devant la cour d’assise de Pontoise, et têtu· s'y est rendu.
Le lundi 22 janvier 2018, Michel S. ne s’est pas rendu à son travail. Lui, le consciencieux comptable de 55 ans, n’avait pourtant prévenu personne de son absence ce jour-là. Très vite, ses collègues de l’office notarial parisien qui l’employait depuis plus de trente ans s'inquiètent. Ils appellent des proches. Toujours sans nouvelles, ils préviennent la police. Un peu après midi, les forces de l’ordre se rendent au domicile de Michel S. Au premier abord, tout semble tranquille : un pavillon sans prétention posé en plein Jouy-le-Moutier, une commune sereine du Val-d’Oise bordée de champs de céréales et d’un bois silencieux. En s’approchant, les agents distinguent « une trace rouge et humide » sous la porte d’entrée, restée entrouverte.
Après l’avoir poussée, ils constatent à l’intérieur du domicile un désordre sans nom. Sur les murs, des projections de sang. Au sol, des mares rouges. Un corps déjà rigide est étendu dans le salon. Torse nu, le pantalon déboutonné, le visage tuméfié par ce qui s’avérera être des coups de tisonnier, des ecchymoses au niveau des parties génitales, le thorax et le cou lardés de coups de couteau, les dents fracassées. Michel a été massacré. En trois jours, les enquêteurs sont parvenus à retrouver l’auteur de ce crime atroce. Mohamed E., originaire d’Epinay (Seine-Saint-Denis), avait tout juste 18 ans à l’époque des faits. Depuis ce lundi 6 septembre, il comparaît devant la cour d’assise du Val-d’Oise, à Pontoise, où il encourt la perpétuité pour assassinat.
L'accusé invoque le "démon"
Arborant un survêtement rouge et une timide barbichette, l'accusé a passé une bonne partie du premier jour des débats le visage, osseux, enfoncé dans ses mains, tellement recroquevillé sur lui-même qu’il semblait vouloir se cacher sous le box.
Quand la présidente du tribunal, Inès Da-Camara, lui a donné la parole, il a commencé par exprimer sa "compassion" à l’égard de la famille de la victime. "Excusez-moi, même si c’est difficile à entendre", a-t-il balbutié. L’accusé reconnait avoir tué Michel S., tout en expliquant avoir été en proie "au démon" au moment des faits. L’accusation voit plutôt dans ce dossier un macabre guet-apens tendu à une victime homosexuelle.
Michel S. vivait seul. Divorcé depuis plus de dix ans, il recevait souvent chez lui d’autres hommes, avec lesquels il avait des relations sexuelles. Il n’en parlait jamais à ses proches, mais l’un de ses quatre enfants l’avait deviné : il était tombé sur une discussion de son père avec un homme sur internet.
Des preuves accablantes
Le jour de sa mort, la victime n’avait eu qu’un seul correspond au téléphone : Mohamed E. Il s’était aussi connecté à de multiples reprises sur le site de rencontres coco.fr, très fréquenté par des hommes soucieux de "discrétion". Il y avait échangé avec un homme dont l’adresse IP bornait au domicile familial de Mohamed E. Deux jours après la découverte du corps, les enquêteurs ont aussi retrouvé le véhicule volé du quinquagénaire, stationné à Epinay-sur-Seine, à quelques centaines de mètres dudit pavillon.
Le 25 janvier, les policiers se présentent au domicile du suspect, où il vit alors avec ses parents et ses quatre frères et sœurs. Il présente une blessure profonde à la main gauche. À ses parents, il a expliqué s’être blessé avec un grillage. Dans un sac poubelle de la salle de bain attenante à sa chambre, les policiers retrouvent une paire de chaussettes et un survêtement, tous deux ensanglantés. Un couteau gît à peine caché sous le lit. Très vite, les enquêteurs ne doutent plus de la culpabilité du suspect. Sept de ses empreintes ont été relevées au domicile de Michel S., ainsi que deux dans sa voiture. L’enquête « s’est avérée assez simple pour identifier l’auteur des faits », relève à la barre l’officier de police judiciaire.
Rencontre sur Coco.fr
Mais les motivations du jeune homme semblent plus mystérieuses. Pourquoi ce garçon, décrit par ses proches comme avenant et drôle, a-t-il martyrisé ainsi un quinquagénaire sans histoires ? Mohamed E. était "très peu connu des services de police". Pas de mention au casier judiciaire, juste quelques "conneries", dit-il : un port d’arme blanche lors d’une sortie scolaire au théâtre, et l’usage d’une bombe lacrymogène qui l’a amené à être exclu de son lycée. Pas de consommation de drogue, ni d’alcool, un bac pro obtenu avec mention qui faisait la fierté de toute sa famille.
Après avoir gardé le silence pendant sa garde à vue, le mis en cause va reconnaître les faits devant le juge d’instruction. Il explique s’être inscrit sur coco.fr "pour se renseigner sur l’homosexualité" mais sans vouloir de relation sexuelle. D’ailleurs, il nie être gay. Il déclare avoir vu Michel S. une première fois le 31 décembre 2017, à son domicile, simplement pour discuter. Le 21 janvier 2018, ils se sont revus au même endroit. Son hôte se serait alors révélé très entreprenant, lui touchant la cuisse avec insistance. Le quinquagénaire aurait aussi commencé à retirer son pantalon. Mohamed E. explique avoir alors pris peur. Selon ses dires, il s’est réfugié dans la cuisine, aurait attrapé un couteau. Une bagarre s’est ensuivie, "un grand flou". L'accusé jure ne pas avoir voulu tuer Michel S., précise aussi qu’il ne savait pas que celui-ci était mort quand lui a quitté les lieux.
Des "tatas" dans la tête
Interrogés, les autres partenaires de Michel S – dont la plupart ont la vingtaine – décrivent pourtant un homme attentionné qui ne s’est jamais montré insistant, encore moins violent. Un soir, plus seul que jamais, il a proposé de l’argent à un garçon venu chez lui. Ce dernier a refusé et si Michel S. n'a pas caché sa déception, il ne s’est pas montré agressif pour autant.
Un an et demi après le début de l’instruction, le mis en examen a commencé à plaider la "folie". Il a dit avoir vu en Michel S. "un chef du démon". Il a aussi évoqué l’Antéchrist et s’est rappelé qu’enfant, il voyait des "tatas", des sortes de petits monstres. Un expert psychiatrique a retenu l’altération de son discernement au moment des faits, ouvrant la possibilité d’une réduction de peine en cas de condamnation.
Plutôt qu’un coup de folie, l’accusation voit dans la mort de Michel S. un acte prémédité. C’est bien Mohamed E. qui a donné rendez-vous le 21 janvier à sa future victime. L’avant-veille du meurtre, il avait aussi recherché sur Google : "Machine pour aiguiser les couteaux".
Un refoulement criminel ?
Au cours de l’instruction, les enquêteurs ont fait un lien avec deux agressions ultra-violentes survenues à Saint-Gratien (Val-d’Oise) en octobre et décembre 2017, visant des hommes homosexuels d’une cinquantaine d’années, également accostés sur le site coco.fr. Les relevés du téléphone de Mohamed E. prouvent que celui-ci était présent sur les lieux, accompagné de deux complices. L’une des victimes avait été gravement blessée, poignardée au dos et à l’abdomen, simplement son portable. Pour ces deux agressions, Mohamed E. est renvoyé devant une cour d’assises des mineurs – il avait encore moins de 18 ans au moment des faits. Dans quelques mois, il devra donc répondre des chefs de tentative de meurtre et de vol avec arme.
Me Caty Richard, avocate de la partie civile, perçoit dans le parcours de l’accusé "une trajectoire criminelle". Celle d’un homme né dans une famille musulmane, incertain de son orientation sexuelle, qui l’aurait refoulée au point de tendre des pièges à des hommes gays et d’en tuer un. L’un des amis de Mohamed E. a d’ailleurs expliqué aux enquêteurs que ce dernier faisait publiquement des analogies entre homosexualité et pédophilie. Il lui aurait proposé de participer à des agressions parce que "l’homosexualité était haram (impur, dans l’islam, ndlr), que les homosexuels ne respectaient pas la moralité."
Le 31 décembre 2017, après avoir proposé une première rencontre à Michel S., l’accusé a écrit par SMS à l’un de ses complices présumés dans les agressions de Saint-Gratien : "J’ai un rdv, est-ce que tu es disponible ?". Personne ne l’était, alors Mohamed E. s’y est rendu seul. Avait-il initialement prévu, dès ce jour-là, de s’en prendre à Michel S. ? Son procès doit encore durer toute la semaine.