Mannequin, comédien et désormais musicien : Luc Bruyère se mue en Lucky Love dans un premier clip événement, riche en symboles. Rencontre.
Chez têtu, cela fait déjà plusieurs années que l’on observe avec attention Luc Bruyère s’épanouir dans tout ce qu’il entreprend. À seulement 28 ans, Luc Bruyère a déjà vécu mille vies. Une vie d'acteur, au cinéma ou sur les planches, dans Elephant Man aux côtés de Béatrice Dalle et Joey Starr ; une vie de modèle, sur les podiums de la Fashion Week; et une vie de cabaret, entre les murs du mythique Cabaret Madame Arthur où il redonnait vie aux standards de la variété.
« Le cabaret, notamment, m’a aidé à réaliser que mon corps pouvait être un instrument, un outil pour redéfinir le beau », explique-t-il. Venu au monde avec un bras plutôt que deux, Luc a connu l’exclusion avant de mettre son corps au service de l’art pour contredire le handicap et redéfinir la notion même de beauté. Ces cinq dernières années, Luc et ses ami.e.s ont travaillé sans relâche pour faire comprendre aux industries créatives que le sublime et le génial ne pouvaient se limiter à une seule définition.
My name is Lucky Love
Une victoire significative mais pas suffisante : après avoir longtemps donné corps à celles des autres, il était temps pour Luc de se dédier tout entier à ses propres visions. « Dans ma vie, j’ai souvent été au service d’une écriture qui n’était pas la mienne, explique-t-il. Être interprète, c’est un endroit d’humilité que j’apprécie beaucoup mais je ne veux plus me cacher aujourd’hui… Je crois que le moment est venu pour moi de dire qui je suis ». Alors aujourd’hui, Luc Bruyère s'apprête à endosser une nouvelle vie. Depuis deux ans, il prépare en secret un projet musical dantesque avec un nouveau pseudonyme, Lucky Love.
Ce mercredi 30 mars, après avoir déjà fait entendre quelques titres sur la scène de l’Olympia en première partie de Juliette Armanet, Lucky Love signe son acte de naissance en publiant son premier titre. Ballade solennelle aux airs de psaume vengeur, « Paradise » introduit un univers sonore radical et le propos révolutionnaire de son auteur. Une mélodie lancinante d’abord, puis une voix à la fois chaude et métallique qui susurre : « Il n’y a plus de paradis ». Entre désillusion spirituelle et anthropocentrisme vénitien, le musicien détourne son regard du ciel pour tenter de toucher du doigt la véritable nature du divin. Et comme il ne fait pas les choses à moitié, Lucky Love – qui réalise lui-même son clip – se paie même le luxe de réécrire la Bible en compagnie de deux figures aussi sulfureuses que mystiques : Béatrice Dalle et Zahia Dehar.
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« Le paradis, c’est maintenant »
« On m’a fait croire très longtemps que le beau et le divin étaient inaccessibles, que le paradis était ailleurs, raconte Lucky Love à têtu·. Ce morceau, c’est ma manière de dire que le divin se trouve d’abord en nous. J’avais besoin de tuer le paradis pour en créer un nouveau. Ouvrir des portes plus évidentes, plus accessibles. Selon moi, le paradis est juste là… Le paradis, c’est maintenant ».
Elevé dans la religion catholique, Luc Bruyère décrit son rapport au religieux comme une « relation d’amour et de haine » : « Enfant, j’ai grandi chez les Jésuites dominicains : j’ai fait tous mes sacrements, des retraites en silence… J’ai découvert la beauté dans les églises, les vitraux et le chant des chorales. La religion a apporté des réponses à mes questions et m’a permis de croire à un univers dans lequel mes espoirs pouvaient avoir leur place…. Jusqu’au moment où ma sexualité est devenue un problème. Il était alors hors de question de confier mon existence à des idées religieuses. Je crois encore mais en des énergies qui me traversent. Ici, sur Terre, pas ailleurs. J’ai compris que j’étais seul maître de mon existence et qu’aucune règle n’est viable si ce n’est celle de la bonté ».
Culpabilité chrétienne
Homosexuel, handicapé et séropositif, Luc l’affirme : « Pour une certaine société traditionaliste – on ne va pas se mentir – je représente le diable. Avec ce morceau j’ai voulu renvoyer ce reflet à la société : faire prendre conscience de l’oppression et de l’exclusion que subissent les personnes qui ne correspondent pas à la norme. Je voulais dire à ces personnes qu’elles n’ont à s’excuser de rien, qu’elles sont aussi légitimes que n’importe qui ».
S’il est une notion que Lucky Love aimerait effacer de tous les livres religieux, c’est celle de culpabilité : « Je déteste ce sentiment que l’on nous a mis sur la gueule, qui nous empêche d’avancer et nous pousse à nous juger les uns les autres. Nous sommes tous un produit de la nature, chacun à sa manière, et nul ne devrait se sentir coupable de ressentir une émotion, une envie ou un désir… Pourquoi devrait-on établir une limite à notre humanité ? Contenir nos sentiments et nos colères ? Je comprends le besoin d’avoir un ordre, mais celui-ci ne devrait-il pas être défini par le bon sens plutôt que par la culpabilité ? »
Béatrice Dalle aka God
Parce qu'il n'a pas peur des première fois, Lucky Love en profite pour faire ses premiers pas derrière la caméra. Un baptême en bonne et due forme puisque, dans la lignée miltonienne du morceau, le clip de « Paradise » propose une ré-interprétation ésotérique du mythe christique. Ici, Béatrice Dalle fait figure divine, la pin-up Zahia Dehar est une Sainte-Vierge et Lucky Love, la Création d’Adam en prothèse, apparaît comme le messie d’un nouveau monde.
« Béatrice est la première personne à m’avoir véritablement regardé pour qui j’étais, se remémore-t-il. Nous nous sommes rencontrés à l’époque où je faisais du pole-dance en boîte pour Bruce LaBruce. Elle est venue me voir après mon show et m’a dit : « Tu sais pourquoi tu es beau ? Parce que tu es mon fils : on a les même dents de cheval ! » Selon elle, je serai né d’une partouze entre elle, Mick Jagger, Amy Winehouse et Kurt Cobain. Ce jour-là, sans le savoir, elle m’a offert une sorte d’identité imaginaire et m’a autorisé à me sentir légitime. Si un Dieu devait exister dans mon univers, je ne voyais qu’elle pour l’interpréter ».
Evidemment, si Béatrice Dalle apparaît dans le clip de « Paradise », ce n’était pas seulement pour rendre hommage à une belle amitié mais bien pour servir le propos : « Contrairement à ce que la masse perçoit d’elle, c’est une personne d’une extrême douceur. Ce que j’aime le plus chez elle, c’est qu’elle n’entre pas dans le mensonge de l’Humanité : elle a choisi de garder les yeux grand ouverts. Sa présence était évidente ».
Sainte-Zahia
Il en va de même pour Zahia Dehar, bien que Luc ne l’avait rencontré qu’à quelques reprises avant de lui proposer d’incarner la Vierge dans son clip. « Lorsque j’ai entendu parler de Zahia pour la première fois, à l’époque des scandales, je ne comprenais pas la violence qui s’abattait sur cette femme qui, finalement, assumait tout, se souvient-il. Pour moi, la Vierge Marie est le symbole de la femme ultime, forte, indépendante. Et comment ne pas voir toutes ces choses chez Zahia ? Sa beauté, sa force, son discours… Ce qui se passe dans sa tête et dans son coeur : c’est ça le divin ! »
Si « Paradise » entend rendre « à l’humanité sa divinité », qui mieux que deux femmes fortes maintes fois bafouées par la bien-pensance pour incarner une nouvelle Trinité ? Et Luc de reprendre : « J’aime ces personnes droites dans leurs bottes. Celles qui ont assez de courage pour ne jamais s’éloigner de la vérité, au détriment même de leur carrière et de leur image. La plus grande qualité humaine, pour moi, c’est la loyauté. Mais pour être loyal envers ses ami.e.s, il faut d’abord l’être envers soi-même et ses idées. Il faut savoir qui l’on est, et quel est le message que l’on souhaite défendre. C’est précisément ce que j’admire chez Béatrice et Zahia ».
Coup d'essai magistral
Première pierre de sa discographie, « Paradise » est un coup d’essai magistral qui ne laisse présager que du bon pour l’avenir de Lucky Love. Un projet s’annonce déjà comme l’un des événements musical de l’année. Porté par des producteurs de génie tels que Jérémie Chatelain, Nomak ou Paco Del Rosso, Lucky Love concentre toute sa sensibilité pour offrir à sa génération la musique qu’elle mérite : une pop révolutionnaire, totale et poétique qui – plutôt que de prendre le monde pour un imbécile – fait le choix de l’excellence, de la sincérité et de l’extrême liberté.
À la fois radicale et fédératrice, la musique de Lucky Love se donne pour mission de toucher les coeurs, les corps et les esprits : « Je n’aime pas la musique pour la niche, conclue Luc. L’idée de faire de la musique pour mes potes et moi, ça ne m’intéresse pas. Quand j’étais petit, la musique a été un moyen pour ne plus me sentir seul. J’ai envie de rendre ce cadeau… Que ma musique soit un refuge pour quelqu’un d’autre aujourd’hui ».