[PREMIUM] Avec son livre "On ne choisit pas qui on aime", Marie-Clémence Bordet-Nicaise, 31 ans, a décidé de ne plus se cacher. Celle qui se présente comme "chrétienne, bourgeoise, et mariée à une femme", a dû affronter le regard de sa famille pendant de longues années. Pour TÊTU, elle accepte de revenir sur son histoire.
"Petite, j'ai dessiné la maison de mes rêves : mon mari, des enfants, un jardin et un chien. Aujourd'hui, je vis dans une maison avec un jardin et j'ai deux chats. Tout ressemble à mes projections de petite fille, à un détail prêt. Je suis mariée à une femme." La vie de Marie-Clémence Bordet-Nicaise était tracée. Mais tout ne s'est pas exactement passé comme prévu. Entre la messe le dimanche, la scolarité en institut catholique privé, les grandes réunions de famille, cette trentenaire dynamique était loin d'imaginer que sa vie se ferait avec une femme.
Aujourd'hui, cette chargée de production vit à Dax, dans le sud-ouest de la France, avec Aurore. "Finalement c'est comme-ci j'avais écrit que ma maison serait bleue et qu'elle est rouge", lance-t-elle dans un rire. Mais avant d'en arriver là, elle aura connu le rejet de la société ainsi que de sa famille, dont certains membres ont participé à La Manif pour tous.
L’histoire d’un coup de foudre
2008. Cette jeune femme de 21 ans commence un stage dans une société de production d'émissions de télévision. Alors en couple avec un garçon bien sous tous rapports, avec qui elle s'imagine construire sa vie, elle rencontre une collègue de travail, Aurore. "Pas de coup de foudre", écrit-elle dans son livre. Difficile à croire. Car les jours passent et Marie-Clémence tombe amoureuse, littéralement. En quelques mois seulement, elle se sépare de son petit-ami et s'installe avec Aurore, de huit ans son aînée. Les deux femmes finissent par prendre un crédit pour acheter un appartement. « So lesbien », pourrait-on dire. Sans le savoir, Marie-Clémence a confirmé le cliché selon lequel les homosexuelles s'engagent rapidement. Pourtant, elle ne s'identifie toujours pas comme lesbienne. "Je ne me pose pas la question, répond-elle, car dans mon idéal il n'y a plus besoin ni d’étiquette, ni de faire son coming-out à son entourage."
Mais à 23 ans, Marie-Clémence décide de franchir le pas et de s'outer auprès de ses parents, ses frères et soeurs. Son père l’intègre, ne fait pas de vagues. Mais sa mère est « sous le choc ». Elle mettra du temps avant de rencontrer Aurore et ne la considère pas comme la conjointe de sa fille. « Je pense que ma mère n’arrivait pas à nous concevoir comme un couple. Dans des familles comme la mienne, la sexualité est taboue. Et l’homosexualité est automatiquement vue sous le prisme sexuel », tranche-t-elle. Le sujet ne sera que rarement abordé, mais Marie-Clémence ne veut pas rompre les liens avec sa famille et force toujours le dialogue.
« J’ai toujours dit à mes parents que je ne faisais de mal à personne et que je n’étais pas en danger. Donc, être avec Aurore ne devait avoir aucun impact sur leur vie. »
L’humiliation de « La Manif pour tous »
2013. Les débats sur le mariage pour tous sont violents, tout comme les rassemblements de La Manif pour tous. Pour Marie-Clémence, comme pour de nombreux couples, son histoire avec Aurore « ne lui appartient plus », et devient un « sujet sur lequel tout le monde peut donner son avis ». La jeune femme est en colère, surtout lorsqu’elle réalise que, dans la foule, certains membres de sa famille sont présents. « Je regardais les photos qu’ils postaient sur Facebook. Ils savaient pour Aurore, certains la connaissaient. Evidemment, personne ne m’en a parlé. Il y avait un tel déni de réalité dans ma famille, c’était horrible. »
Un jour, Marie-Clémence et Aurore se retrouvent aux abords de La Manif pour tous, en train de défiler dans la capitale. Un pur hasard. « J’étais furieuse, je les voyais manifester avec le sourire, leurs drapeaux bleu et rose. Ils donnaient une image pourrie de l’Église, hautains et méprisants qu'ils étaient. Aux antipodes des valeurs chrétiennes auxquelles je crois. » Sans hésiter, les deux femmes fendent la foule et s’embrassent au beau milieu de la manifestation.
Elle prend alors ses distances avec l’institution religieuse. Mais confie aujourd’hui n’avoir « jamais été ébranlée dans sa foi ».
« J’ai lutté, beaucoup. Voulu claquer la porte, aussi. Mais aujourd’hui je ne comprends pas comment on ne pourrait pas concilier la foi avec le fait d’aimer une personne du même sexe que soi. On ne parle pourtant que d’amour. »
Cacher son propre enfant
Les années passent, et Aurore finit par venir aux réunions de famille. « Pour lui dire bonjour, certaines personnes de ma famille lui serraient la main et l’appelaient ‘Monsieur’ », soupire Marie-Clémence. Qu’importe, les deux femmes comptent bien vivre leur histoire. Et tout s’accélère. Un voyage à New-York, une demande en mariage un tantinet kitsch, la préparation des traditionnels ateliers DIY (Do It Yourself, ndlr) pour la confection des cadeaux pour les invités des noces.
Jusqu’au jour J de juin 2015, où les deux femmes se marient. Surprise de taille : la mère de Marie-Clémence fait son mea-culpa. Tout est bien qui finit bien ? Pas encore. L’année suivante, elles entament un parcours de procréation médicalement assistée (PMA). Après de nombreuses recherches, elles se rendent en Espagne. La première insémination échoue, mais la deuxième réussit.
Après plusieurs mois de grossesse, Marie-Clémence doit se rendre à une réunion de famille. La jeune femme cache son ventre à une partie de son entourage et se rend compte de ce que cela implique. « Cet enfant n’était pas encore né que je lui interdisais déjà de se montrer. » Elle décide alors d’écrire. Pour se souvenir de cette colère, d’abord. Mais surtout pour témoigner et ne plus vivre cachée.
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« Un joli pied de nez à l'Église »
2019. Charlie a neuf mois. Marie-Clémence et Aurore sont ensemble depuis 10 ans. Cette Dacquoise confie appréhender les discussions autour de la PMA et "redouter les débats foireux en plateau". La peur de revivre le flot de propos homophobes prononcés en 2013 est encore très vive.
« Je pense aux couples de femmes, à ces femmes célibataires qui espèrent beaucoup de cette loi, et qui n’ont pas forcément les moyens de se payer une insémination en Espagne à 1.500 euros. Elles sont en souffrance. »
Elle espère une reconnaissance de l'État pour sa famille, aussi. « Administrativement, Aurore n’est pas reconnue comme la mère de Charlie. Pourtant dans notre quotidien, c'est précisément ce qu'elle est. » Ce témoignage, c’est une manière de visibiliser ce qui, actuellement, n'est que trop peu montré. De prouver aux pouvoirs publics l’urgence dans laquelle se trouvent ces familles. « À partir du moment où on met des visages sur tout ça, j’ai du mal à concevoir l’homophobie. Et quand on a un couple d’hommes ou de femmes qui demandent à être protégés légalement, je ne peux pas comprendre comment on peut encore être contre. »
Prochaine étape ? Les deux femmes souhaitent faire baptiser leur fille. "Un joli pied de nez à l'Église", commente Marie-Clémence dans un rire.
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"On ne choisit pas qui on aime" est publié le 8 mai 2019 aux éditions Flammarion.
Crédit photos : Marie-Clémence Bordet-Nicaise.