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interviewQueer Palm à Cannes : Catherine Corsini explique le "choix du coeur" pour "Joyland"

Par Franck Finance-Madureira le 30/05/2022
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La réalisatrice de La Fracture était la présidente du jury de la Queer Palm au Festival de Cannes 2022. Elle détaille pour têtu· en quoi le film Joyland, du Pakistanais Saim Sadiq, a séduit les jurés du prix LGBTQI+.

En parallèle de la 75e édition du Festival de Cannes qui s'est terminée ce dimanche 29 mai, la 12e Queer Palm a été attribuée au film pakistanais Joyland de Saim Sadiq, récompensé également du prix du jury de la section Un certain regard. La Queer Palm du court-métrage est quant à elle revenue à Will you look at me, du Chinois Shuli Huang, présenté à la Semaine de la critique. Catherine Corsini, présidente du jury 2022 de la Queer Palm, revient pour têtu· sur les choix de son jury et les films qui ont marqué ses débats.

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Pourquoi le film pakistanais Joyland s’est-il imposé comme lauréat de la Queer Palm 2022 ? 

Catherine Corsini : Il y a le choix de l’émotion mais il y a aussi le choix d’un récit extrêmement précis, avec des personnages très creusés qui ont des dilemmes d’une grande justesse. Et c’est là-dessus qu’on s’est retrouvé avec les membres du jury, on s’est senti embarqué dans cette famille avec des personnages qui ont des désirs qui sont cadenassés, empêchés par un mode de vie et une famille très conformiste. Ce qui nous a émus, c’est de voir combien un climat d’empêchement pouvait créer de la dramaturgie, une tension et un récit extrêmement intéressant et complexe sur chacun des personnages de cette famille. Il y a à la fois un homme qui n’est pas considéré comme un homme parce qu’il n’arrive pas à faire un enfant à sa femme, sa femme dont on comprend que ce n’est pas forcément ce dont elle a envie et un personnage très fort de femme trans puissante. Le film est au cœur de problématiques sociales et concrètes et évoque les secrets, les choses enfouies ou inavouables dans une société très fermée. Même les personnages qui paraissent être les garants des règles se retrouvent troublés par leur rencontre avec des personnages qui vont les interroger sur leurs désirs, leurs fonctions, leurs façons d’être.

En quoi est-ce à vos yeux un film universel ?

Joyland revisite des questionnements intimes et sociaux tout en n'étant jamais cliché mais plutôt extrêmement contemporain, vivant et particulier. Le film touche à la fois au désir féminin, à la sexualité empêchée, à des personnages transgenres qu’on voit rarement aussi puissants. C’est un parcours absolument magistral, vertigineux et très empreint de questionnements présents dans toutes les sociétés : comment on est jugé, comment les normes sociales nous empêchent de vivre nos désirs et définissent ce qui est interdit et ce qui ne l’est pas. Et parfois, cela peut conduire à des drames : quand les gens ne peuvent pas réaliser ce qu’ils ont envie de vivre, alors la violence de l’interdit se retourne contre eux. 

Est-ce que ce film s’est imposé tout de suite  ou d’autres sont-ils restés longtemps dans les débats ?

Pour moi, le film c’est imposé tout de suite mais d’autres nous ont extrêmement interrogés et séduits, comme Close de Lukas Dhont et Feu follet de Joao Pedro Rodrigues, pour des raisons très différentes. On a eu une sélection assez extraordinaire, assez forte et donc logiquement, ces films nous ont interrogés. Mais Joyland, par son côté moins visible, plus secret, plus complexe, on s’est dit que c’était intéressant de lui donner cette Queer Palm, de le mettre en lumière parce que c’est un film beaucoup plus difficile pour son réalisateur.

Le fait que ce soit un film venu du Pakistan, ce qui est assez unique sur ces sujets, a-t-il compté ?

On a l’impression que faire ce film est une vraie prise de risque pour les acteurs. Les films de Lukas Dhont et Joao Pedro Rodrigues, que nous avons énormément aimés, nous ont séduits par leur intelligence, par leur regard, par leur acuité, par leurs questionnements humanistes et des pirouettes assez folles, mais on a eu finalement un choix du cœur pour Joyland, avec aussi l’idée de mettre en valeur ce territoire qu’est le Pakistan, dans lequel vivre son identité ou sa sexualité est beaucoup plus complexe, beaucoup plus difficile, beaucoup plus dangereux qu’en Europe.

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Crédit photo : Clément Guinamard