cinéma"J’ai besoin de films joyeux" : rencontre avec le réalisateur du très queer "Feu follet"

Par Franck Finance-Madureira le 29/05/2022
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Notre chroniqueur cinéma et fondateur de la Queer Palm, Franck Finance-Madureira, a suivi pour nous la face queer du Festival de Cannes 2022. Aujourd'hui, rencontre avec le cinéaste portugais João Pedro Rodrigues.

Après O Fantasma, Odete, Mourir comme un homme ou encore l’Ornithologue, le réalisateur portugais présentait à la Quinzaine des réalisateurs sa fantaisie musicale, Feu Follet. À peine un peu plus d’une heure de film pour parler de la politique portugaise, de colonialisme et de racisme ainsi que d’environnement, dans l’ambiance folle et inédite d’une caserne de pompiers fans de danse et d’histoire de l’art. Feu Follet est un film d’une liberté absolue, qui s’autorise toutes les excentricités dans une forme de feu d’artifice et restera, sans aucun doute, le film le plus queer de ce Festival de Cannes 2022 tant sur le fond que sur la forme. Décryptage avec son réalisateur, João Pedro Rodrigues.  

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Qu’est-ce qui a été le déclencheur de cette fantaisie musicale mais aussi très politique ? 

João Pedro Rodrigues : Je voulais faire une comédie, c’était le point de départ. Comme la pandémie a tant décalé les choses, ce film a été écrit avant le covid, que j’y ai intégré parce que pour moi, il était impossible de ne pas en parler car la façon dont on vit avec les autres a changé. Je voulais aussi évoquer les incendies au Portugal qui sont toujours ravageurs, notamment celui, tragique, de 2017. Il y a une tradition dans la famille royale portugaise d’être pompier, ce que raconte le père ou le roi… Je voulais aussi faire un film qui soit court, un peu à l’opposé de ces films très longs qui se font maintenant et qui me font chier. Je voulais que ce soit comme un éclat. Feu follet, c’est quelque chose qui est rapide, qu’on voit à peine, intense et puis qui disparaît. J’espère que ça nous porte. Et ça a été un tournage très joyeux, je crois que ça se ressent dans le film.

En même temps, vous abordez des thématiques d’une actualité brûlante telles que l’écologie, notre regard sur l’époque coloniale, le racisme. Comment avez-vous voulu intégrer tout ça ? 

J’ai utilisé la comédie pour en parler parce que souvent, toute cette actualité, on n'en parle que d’une façon très sérieuse, et moi je pense qu’il faut un peu de légèreté. J’ai essayé de ramener la légèreté dans la profondeur ou d’aller, à travers la légèreté, dans la profondeur. Moi j’ai besoin de films joyeux, surtout dans le cinéma d’auteur où il peut y avoir un côté lourd et sérieux qui me fatigue. Je déteste le cynisme. Mon film, c’est aussi un film romantique.

La scène de danse dans la caserne des pompiers a une force éblouissante. Comment a-t-elle été pensée ? 

Tout le départ de la chorégraphie vient de l’exercice qu’ils sont en train de faire : se mettre l’un l’autre une position latérale de sécurité. Au départ, la danse vient de là. Et ça s’inscrit dans le premier climax de leur histoire d’amour : ils commencent à se toucher dans leur exercice. Ils ne sont pas tous des danseurs. J’ai cherché des gens qui sont très différents et qui ont de la joie à montrer de la beauté. J’essaie de montrer que la beauté vient du partage et des différences. C’était un plaisir de faire cette scène. On a commencé à répéter énormément avant, en 2020. On a tourné en 2021. 

Cette analogie entre les verges et les jardins et forêts, ça vient d’où ? 

Un arbre, c’est aussi beau qu’une verge. Même l’éveil sexuel du prince a lieu en forêt, lorsqu’il y va avec son père. C’est une forêt qui a été plantée au XIIIe siècle pour protéger une ville – Leiria – de la mer des sables. Ce bois de la pinède a ensuite servi à construire les bateaux. Et tout a presque complètement brûlé pendant les incendies de 2019.

Dans la scène finale avec le fado dans la chapelle, on voit une tension entre modernité et conservatisme, entre république et monarchie. Quel a été le point de départ de cette scène ? 

Le fado final, c’est un fado très royaliste parce que ça se finit en disant "no final canto-se o fado" et on a changé par "canto-se o phallus" ("au final, on a chanté le phallus"). Ça a été revisité par Paulo Bragança. La dernière chanson "Mourir comme un Homme", que Tonia chante, c’est de Paulo Bragança, j’adore ce mec. Il a renouvelé le fado dans les années 1980 et il a été un peu oublié et est parti en Irlande, je l’ai appelé et on a retravaillé ensemble ce fado. Le seul mot qu’on a changé c’est "fado-phallus" mais la façon de chanter ce fado s’appelle l’encapuché (o embuçado) et il l’appelle "Le nouveau fado de l’encapuché". Il a chanté ça de manière complètement contemporaine, moi je lui avais demandé que ce soit fait d’une façon 2069. 

Est-ce que la liberté que donne la comédie vous a donné envie d’aller encore plus loin ?

Peut-être. J’ai un autre film qui est fini et que j’ai co-réalisé avec Joao Rui Guerra de Mata, qui est complètement différent. C’est un film hyper austère sur Lisbonne, inspiré du film Les Vertes années Paulo Rocha, qui date de 1963. Le tournage a eu lieu pendant la pandémie donc c’est dans une ville vide. J’ai un film que j’espère tourner l’année prochaine, qui est sur un adolescent qui découvre sa sexualité pendant la révolution du 25 avril et qui s’appelle Du sourire d’Afonso, d’après le nom du premier roi, première figure qui est liée à la fondation du Portugal et dont je me moque toujours un peu.

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>> La bande-annonce de Feu Follet :

Crédit photo : Clément Guinamard