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spectacleThéâtre : Gabriel Marc ressuscite Jacques de Bascher, prince des nuits parisiennes

Par Franck Finance-Madureira le 11/08/2022
Théâtre : Gabriel Marc ressuscite Jacques de Bascher

Dandy iconoclaste et décadent, compagnon de Karl Lagerfeld et amant d'Yves Saint-Laurent, Jacques de Bascher, mort du sida en 1989 à seulement 38 ans, a marqué son époque jusqu’à en devenir une figure symbolique. Le comédien Gabriel Marc le fait revivre dans un spectacle seul en scène à son image : intelligent, trash, tragique, drôle et sexy… À voir en ce moment au Théâtre de la Contrescarpe à Paris. 

Une salle de bains surprenante, qui à elle seule reflète aussi bien la psyché de Jacques de Bascher que de son époque, le début des années 80. Autour d’une baignoire sombre et brillante, une table basse, un magnétophone et des cassettes, quelques vêtements dispersés, son ours en peluche, un vinyle de Donna Summer. Gabriel Marc, qui a écrit la pièce après des études de mode et de théâtre, fait de ce lieu l’épicentre de la vie intime de son héros. "J’ai fait mille dessins depuis 2019, se souvient-il, mais je suis tombé sur une photo de sa salle de bains qui était absolument fascinante et j’ai décidé que cela serait le décor du spectacle ! Avec quelques petites surprises, puisqu’elle devient un peu tous les lieux qu’il a pu fréquenter."

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Fasciné par ce prince des nuits parisiennes dont on sait finalement peu de choses, le comédien s’est beaucoup documenté et a rencontré quelques-uns de ses proches pour concevoir ce spectacle : "Quelques articles le décrivaient comme le diable en personne, comme un personnage sulfureux, et puis les deux films autour de la figure de Saint-Laurent sont sortis, ainsi qu’une biographie, et on a commencé à pouvoir se faire une idée plus précise de qui il était. J’ai rencontré Jenny Bel’Air, qui était la physio du Palace, ou encore Philippe Heurtault, un de ses proches, photographe, qui a également écrit un livre sur lui. C’est lui qui m’a donné l’information qui a été celle sur laquelle s’est construit le spectacle : Jacques avait toujours un magnétophone sur lui et il enregistrait tout."

Adieux confession à Karl Lagarfeld

D’où l’idée de faire de ce seul en scène une ultime séance d’enregistrement, celui d’une dernière cassette-confession de Jacques à Karl Lagerfeld, son grand amour, au moment où il apprend qu’il est séropositif. "J’ai été attiré par ce personnage, poursuit l’auteur-comédien, parce que je m’y retrouve sur certains points, notamment son rapport à sa propre image ou encore à la mort. C’est fou de déclencher autant de réactions haineuses pour avoir juste écouté son cœur, ses pulsions, ses passions. Je me suis aussi plongé dans cette époque qui est une espèce de bulle cosmique, puisque nous sommes en 1984 et, précisément, le jour où il apprend qu’il est touché par le VIH. Il a en lui une vraie liberté qu’il n’a jamais justifiée. Il est d’une audace folle, il rencontre Karl Lagerfeld alors qu’il n’a que 21 ans et ils sont restés ensemble pendant presque 18 ans. Il a vécu sur le mode : la vie est courte, vivons-là pleinement et brûlons-la jusqu’au bout ! J’admire cela, tout en sachant qu’il avait une forme de confort financier qui lui permettait de le faire. Mais il était capable d’aimer très librement, de séduire. Il est aussi le symbole d’une époque où on parle d’alcool, de cocaïne, de sexe sans que cela soit un problème, d’ailleurs le spectacle est interdit aux moins de 16 ans !"

Aux côtés du comédien, Guila Braoudé, sa metteuse en scène qu’il a rencontrée alors qu’elle coachait des apprentis comédiens, s’est replongée dans un milieu, une ambiance qu’elle a côtoyée pendant sa jeunesse : "Moi ce qui me touche, confie-t-elle, c’est que j’ai connu cette époque très jeune et qu’on ne se rendait pas compte de la liberté qu’on avait, même si effectivement, la fidélité n’était pas la norme ! Et puis le sida nous est tombé dessus de façon violente, avec la mort de nombreux amis. J’ai cela en moi et j’aime qu’on reparle de ces années tout en racontant une magnifique histoire d’amour. Le texte de Gabriel joue du contraste entre élégance et décadence tout en n'oubliant pas le romantisme du personnage."

L'homosexualité sans explications

Gabriel Marc a également choisi de s’en tenir aux confidences, aux états d’âme du personnage, sans qu’il soit jamais tenu de se justifier ou d’expliquer qui il est. L’homosexualité, par exemple, est au cœur de sa vie et de ses amours mais n’est ici pas un sujet : "L’intérêt de ce personnage, c’est qu’il vit dans un milieu très particulier, celui de la mode, et qu’il a vécu à fond le Paris des années 70 et 80, en faisant de la vie un jeu. L’homosexualité n’a, pour lui, jamais été un problème et sa sœur était elle aussi homosexuelle. En tant qu’homosexuel, je ne voulais pas que cela soit un sujet. J’ai juste écrit une histoire d’amour entre 2, 3 ou 4 hommes, Lagerfeld, Saint-Laurent mais aussi Pierre Bergé qui est partie prenante de cette histoire. J’en ai marre des films ou des pièces où l’homosexualité doit être justifiée ou expliquée ! Lui n’en parle jamais dans le spectacle."

Au bout du compte, ces 80 minutes en tête-à-tête avec ce dandy décadent et fascinant donnent une image presque intimiste de Jacques de Bascher, entre snobisme, bons mots et désespérance profonde. Plus que tout, elles dressent le portrait d’un homme très moderne, avant-gardiste dans sa façon d’être l’artiste de sa propre vie.  "Je me suis vraiment rendu compte de sa modernité en le jouant, conclut Gabriel Marc, en l’incarnant, en me frottant à son prisme. C’était un artiste inspiré et inspirant, mais sans œuvre autre que sa vie. Son œuvre, c’est sa création de soi."

>> Jacques de Bascher, écrit et interprété par Gabriel Marc, mis en scène par Guila Braoudé. Les vendredis et samedis à 21h au Théâtre de la Contrescarpe, Paris 5, jusqu’au 8 janvier 2023.

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Crédit photo : Romain Maurette