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interview"Le fait que mes films existent est politique": Panos H. Koutras, réalisateur de "Dodo"

Par Franck Finance-Madureira le 10/08/2022
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Présenté au dernier Festival de Cannes, Dodo est une comédie chorale politique et déjantée, dans l'univers queer de son réalisateur grec. Au cinéma ce 10 août.

Des personnages très divers se retrouvent dans une maison bourgeoise de la banlieue d’Athènes lors d’un week-end (38 heures, pour être précis) de mariage mais l’arrivée d’un dodo – un oiseau disparu depuis longtemps – va tout bouleverser en révélant la face cachée de chacun d’entre eux… Depuis 1999 et son Attaque de la moussaka géante, Panos H. Koutras a imposé un univers queer, déjanté et politique dans des films forts et sensibles comme Strella (2009) et Xenia (2014). Son nouveau long-métrage Dodo, comédie chorale complètement barrée mais très politique, est un Ovni qui reprend de nombreux motifs de ses films précédents. À l’occasion de la sortie du film en France ce mercredi 10 août, le réalisateur grec s’est confié à têtu· sur ses inspirations, son enfance, ses engagements et sa carrière. Sans langue de bois et dans un français parfait.

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Quelles ont été les inspirations de Dodo, votre nouveau film présenté à Cannes et qui sort désormais sur les écrans français ?

Panos H. Koutras : Ce film, pour moi, c’est un peu le produit d’une middle age crisis. Je n’allais pas très bien et quand j’ai dit ça à mon mari, il m’a dit : "Mais tu vas vivre combien de middle age crisis ?" ! D’ailleurs dans le film je parle littéralement de ces moments de tournant dans une vie. Dodo, c’est un peu une synthèse de tous mes films : il y a un peu de la moussaka, un intrus qui arrive dans une société, et il y aussi des personnages de mes autres films qui reprennent vie. Je suis fasciné par cet animal, le dodo, depuis Alice au pays des merveilles qui m’a beaucoup marqué quand j’étais enfant, puis adolescent. Et même après, puisque je me souviens que, jeune homme, j’avais pris du LSD avec une copine et qu’on se lisait des chapitres du livre ! J’étais fasciné par cet animal disparu au même titre que les enfants peuvent être fascinés par les dinosaures. J’aime le principe du film choral, et ce depuis mes débuts, j’ai beaucoup pensé à L’âge d’or de Luis Bunuel ou au cinéma de Robert Altman, qui étaient un peu mes références. Et j’avais aussi depuis longtemps l’idée de l’inconnu qui frappe à la porte, dont on ne peut pas se débarrasser et dont on se rend compte ensuite qu'on ne peut plus vivre sans lui. Dodo, c’est le résultat de plein d’idées et de désirs qui m’ont poursuivi pendant des années. Tous mes films sont très personnels, je n’en fais qu’un tous les cinq ans en général. Là, cela m’a pris plus longtemps à cause de la crise du Covid et celui-ci est peut-être encore plus absurde que les autres au départ, même si on voyage dans plusieurs genres : comédie, film social, entre le ridicule et le tragique.

Même s’il se déroule presque en huis clos dans une grande maison de la banlieue d’Athènes, le film est nourri de nombreux sujets de société très actuels, c’est important pour vous ? 

Je m’inspire toujours de ce que je vis, dans mon entourage, dans la société. Je vieillis mais je suis toujours engagé sur les grandes questions sociétales. Je continue à être révolté, je suis fatigué par plein d’autres choses mais pas par ces sujets qui m’exaspèrent, me révoltent. Je tente de poser un regard d’enfant sur le monde, d’ailleurs – je ne sais pas si je vais réussir à le faire un jour parce que quand que je planifie quelque chose, ça ne marche pas toujours –, mais j’aimerais raconter un vrai conte de fées. Strella, par exemple, était un peu construit comme ça, j’aime cette démarche d’annoncer : "Tiens je vais te raconter une histoire". J’adore l’image, les couleurs, mais avant tout ce que j’aime c’est raconter une histoire. En tant qu’enfant hyperactif, on a découvert que les seuls éléments qui pouvait me faire rester tranquille c’était la télévision, le cinéma ou qu’on me raconte une histoire, en général plusieurs fois de suite. 

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Dodo, de Panos H. Koutras

Quand avez-vous compris que raconter des histoires deviendrait votre métier ?

Très tard ! Je peignais plutôt bien, j’avais ce qu’on peut appeler l’intelligence de la main. Les dimanches, je faisais des portraits de toute la famille et j’étais vraiment très folle ! Tout le monde me voyait devenir peintre ou dessinateur et j’étais moi-même convaincu que j’allais faire les Beaux-Arts. Et puis, malgré tout, je me suis dirigé vers le cinéma même si j’ai beaucoup ramé avant de faire des films. Mes projets étaient en général refusés par tout le monde, je le raconte souvent aux jeunes cinéastes que je rencontre pour qu’ils comprennent qu’il ne faut pas lâcher. L’Attaque de la moussaka géante m’a pris plus de trois ans. Je ne sais pas si j’ai fait de bons films mais je suis quand même très fier de Strella, qui est vraiment un bon film et qui a été le plus dur à faire. Personne ne me soutenait, personne n’y croyait à part mon mari et mon agent français de l’époque. J’ai eu un petit héritage et cela a permis de lancer le projet. Je considère maintenant presque naturel que personne n’aime ce que je fais ! Pour Dodo, cela a été aussi très difficile et je sais bien que certains vont aimer et d’autres pas du tout ! 

Cet enfant folle et hyperactif que vous étiez, le militant que vous êtes, de quelle façon insufflent-ils votre cinéma ?

À chaque plan, à chaque moment, à chaque son ! J’ai été très longtemps activiste, je me suis rendu compte dès l’âge de 14 ans que j’étais gay et, après deux ou trois semaines d’introspection, je me suis dit : "Allons-y taillons des pipes !". J’étais radical dès mon plus jeune âge et cela correspondait à l’époque, la fin des années 70, où le sexe était envisagé très différemment. Aujourd’hui cela peut choquer mais, à l’époque, la sexualité était débordante et cela avait un sens politique, baiser c’était un statement, être pénétré était un acte politique même si tu n’étais pas passif ! Le week-end si tu ne faisais pas une partouze, tu n’étais pas cool ! Garçon ou fille, gay ou hétéro… Je viens de cette génération-là et, dès 16 ans, je me suis lié au groupe de libération gay d’Athènes qui a organisé la première Pride de la ville. J’ai ensuite continué à Londres et à Paris, quand je suis venu y vivre dès 1983, j’ai ensuite beaucoup suivi les actions d’Act Up-Paris sans y être encarté. À cette période, j’ai perdu presque toute ma bande d’amis et quand je suis rentré en Grèce, la situation était presque la même. 

Dans votre cinéma, les personnages queers n’ont jamais besoin de se justifier, c’est quelque chose de réfléchi ? 

Oui, et c’est important. Strella, avec le film de Sébastien Lifshitz, le magnifique Wild Side, est l’un des premiers à avoir une femme trans comme héroïne, mais ce n’était pas le sujet. Et ici, dans Dodo, c’est la même chose, c’est un univers complètement queer puisqu’il y a un personnage non-binaire, des personnages gays et bi, trans. Et je vois le dodo comme un oiseau très queer et haut en couleurs. Mes films ne sont pas militants mais le simple fait qu’ils existent est politique. Je ne fais pas des films à sujet, je prends toujours une position post-queer, qui normalise l’existence de ces personnages. Et je suis très content de voir que le cinéma évolue dans ce sens. Et Strella, par exemple, a eu des conséquences pour aider la loi à évoluer en Grèce. 

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Dodo, de Panos H. Koutras

Dodo évoque la crise des réfugiés et Xenia, votre film précédent, mettait en avant une belle et harmonieuse relation entre deux frères, l’un gay, l’autre hétéro, issus de l’immigration albanaise. Le déracinement et les migrations, c’est un sujet important pour vous ?  

Xenia s’inspirait de la relation très forte que j’ai avec mon frère, qui est hétéro, mais le point important c’était que les deux frères du film sont issus de la deuxième génération d’immigration albanaise. Cela me tenait à cœur de parler de cet amour fraternel au-delà de la sexualité mais aussi de mettre en scène la crise qui touchait les immigrants albanais. D’ailleurs le film a donné lieu à un vrai débat public qui a aussi fait évoluer la loi en Grèce. Cela reste un sujet très important pour moi, cela me touche beaucoup. Dodo est un film choral, chaque personnage représente un élément de la société et il me semblait extrêmement important qu’il y ait ce personnage syrien et sa fille. En Grèce, c’est un sujet encore plus présent qu’ici en France. Je ne suis plus autant engagé dans mon quotidien, car il faut laisser la place aux jeunes, mais je continue de me battre pour les réfugiés et notamment pour les réfugiés queers dont personne ne parle. J’ai rencontré en Grèce des réfugiés de pays homophobes qui n’osent pas demander l’asile en raison de leur sexualité car ils ont peur d’être découverts et parce que, dans les camps de réfugiés, ils sont aussi victimes d’homophobie comme ce réfugié afghan qui avait été battu par des compatriotes. Cela ne va pas en s’arrangeant. Et je continue aussi à me battre pour que le mariage des couples de même sexe devienne enfin légal en Grèce. Je parle beaucoup de moi et des sujets et personnages qui me sont proches dans Dodo mais, avant tout, j’essaie de raconter une histoire drôle et profonde qui peut parler à beaucoup de gens. Je pense que les films peuvent aider à réfléchir et donner des arguments à ceux qui veulent essayer de faire bouger les lignes. C’est le rôle de l’art en général : aider à formuler des idées. 

Quels sont vos projets ?

Quand je parle de mes projets trop tôt, ils ne se font jamais ! J’ai plusieurs projets en ce moment mais j’ai appris sur le tard à ne plus être obsessionnel ou radical, donc j’essaie d’être très à l’écoute des retours. J’ai plusieurs idées et j’attends de voir celle qui va rencontrer le désir des producteurs. Après un film avec 14 personnages et un scénario original qui faisait 180 pages, je vais essayer de faire plus simple ! J’ai tellement d’idées, de scénarios, le temps passe et je vais mourir sans avoir eu le temps de tout faire, mais c’est la vie. 

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Crédit photo : Pyramide distribution