Avec le spectacle Manifesto Transpofágico, de retour à Lille en ce mois d'octobre 2022, la comédienne et metteuse en scène brésilienne Renata Carvalho livre un solo fort et politique sur son "corps travesti".
C'est un spectacle comme on en voit rarement. Sur le plateau, une femme, Renata Carvalho, nous parle de sa vie de "travestie" (c'est ainsi qu'elle se définit – elle l'affiche même en lettres capitales au-dessus d'elle), de son enfance douloureuse ("mon corps était là avant moi, alors que je n’avais rien demandé") à ses injections de silicone (pour rendre ses formes plus courbées, plus féminines) jusqu'à sa vie d'aujourd'hui, d'artiste. Un solo à la première personne qui embrasse également l'histoire compliquée de son pays (le Brésil) et de ses personnes trans, tantôt des fantasmes, tantôt des ennemies publiques. Renata Carvalho se définit alors à travers le néologisme de "transpologue", elle qui "veut raconter l’historicité et la transcestralité de son corps de travestie".
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Avec Manifesto Transpofágico – représenté en portugais surtitré dans le cadre du Festival d'Automne 2021 à Paris et de retour à Lille en octobre 2022, voir sous l'article –, tout est livré brut dans une scénographie minimale (mais inventive) et une nudité crue. Au public d'ingérer l'ensemble : les scènes touchantes, les scènes drôles, mais aussi les scènes violentes dans ce qu'elles racontent du Brésil d'hier et d'aujourd'hui. Et, par ricochet, de notre monde violemment transphobe – les passages sur l'épidémie du sida, avec ces scarifications volontaires pour effrayer la police et ainsi ne pas se faire arrêter, sont terribles.
"Exclusion "CIStémique" »
D'où la deuxième partie bienvenue du spectacle, en totale rupture avec la première. En annonçant qu'elle n'est plus arrivée à écrire, Renata Carvalho brise le quatrième mur et entame une conversation avec le public, questionné très intimement sur ses rapports avec le corps "travesti", comprendre trans – "Vous connaissez une travestie ? vous en avez déjà touché une ?" – Elle va loin dans ses relations à la salle, n'hésitant pas à donner physiquement de sa personne, tout en étant didactique, expliquant certains termes (comme cisgenre – "Si vous ne savez pas ce que ça veut dire, c'est que vous l'êtes sûrement !") de son point de vue de concernée. Si le dispositif choisi (une amie assure la traduction comme elle peut) peut rendre confuses certaines idées (comme le terme "passing" traduit en "passable" – la traductrice demande donc aux spectateurs s'ils trouvent que Renata Carvalho est "passable" !), cela donne un côté presque punk à ce final.
"Nous vivons dans une société structurellement transphobe et les personnes trans et travesties ne font pas partie ou sont mal vues dans de nombreux espaces de sociabilité, ce qui nous a conduit à une exclusion 'CIStémique'", assure Renata Carvalho en interview. Voilà qui a le mérite d'être clair.
>> Manifesto Transpofágico
Au Théâtre du Nord à Lille, du 5 au 8 octobre 2022