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livre"L'Été du vertige", la BD qui veut "tout faire péter"

Par Tessa Lanney le 20/01/2023
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Dans sa première bande dessinée, L'Été du vertige, Adlynn Fischer livre un récit initiatique aux accents adolescents vers la découverte du militantisme et la déconstruction des normes.

"Le vertige, c’est à la fois une très grande peur et une attirance tout aussi grande." À travers sa première BD, L’été du vertige, l'autrice belge Adlynn Fischer, 27 ans, nous transporte dans un récit métaphorique à la fois doux et intense sur la découverte du militantisme. La bande dessinée d’apprentissage nous plonge dans un univers adolescent rythmé par les doutes et la quête de soi auxquelles se mêlent des intrigues romantiques (queers, bien sûr). La mère de Louise ne vit plus avec elle, et son père est en déplacement professionnel. La jeune adolescente et sa petite sœur se retrouvent donc livrées à elles-mêmes, ou plutôt libérées des adultes, alors que l’été bat son plein. L’occasion est trop belle, et Louise organise une soirée déjantée au cours de laquelle elle rencontre Aurora, une tête brûlée qui ne semble être soumise à aucune règle. La soirée se prolonge, durant laquelle les jeunes testent leurs limites, quitte à ne pas pouvoir revenir en arrière…

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À la base du projet d'Adlynn Fisher, la sensation de vertige que l’on ressent quand on "commence à déconstruire les normes et à ouvrir les yeux sur diverses oppressions, sur son propre vécu et la manière dont on est engoncé dans un schéma prédéfini". En décidant de s’écarter de ce chemin, on se retrouve face à un océan de possibilités. "On se sent super puissant, mais on ne sait pas quoi faire de cette puissance. Elle t’effraie autant qu’elle te porte", décrit la bédéiste. Louise éprouve une envie de "tout faire péter, de tout déconstruire, mais elle est retenue en arrière par le regard de sa petite sœur, la narratrice, qui représente à la fois sa famille, l’enfant qu’elle était, et son innocence, la manière dont elle se projetait". Ainsi, l'adolescente se débat avec l’image que son entourage a d'elle-même et qu’elle aimerait voir disparaître, tout en ne sachant pas ce que l'avenir, et son évolution, lui réservent.

Prémices d'une réflexion sur le genre

Louise, qui est aux prises avec les symboles féminins, s'interroge également sur son identité et, on le comprend rapidement, sur son genre. Mais ce qui compte avant tout ici, c’est la remise en question de la norme plus que de trouver des réponses évidentes. Alors que ses anciennes connaissances ne voient pas toujours d'un bon œil les changements entamés par l'adolescente, comme sa coupe de cheveux, plus courte, Aurora, elle, lui tend des perches, lance des pistes et la rebaptise Loup.

Mais Aurora n'est que "l’étincelle qui met le feu aux poudres", une personnalité charismatique et sans filtre qui semble n’avoir rien à perdre. "Louise l’idéalise durant la majeure partie du récit, admet l’autrice. Elle ne suit certes plus les anciennes normes qui la retenaient, mais elle en suit de nouvelles, celles d’Aurora." Cette dernière comprend immédiatement qu’elle a quelque chose à apporter à Louise, mais aussi qu’elle pourrait aisément la manipuler. "C’est subtil, on ne sait pas si Aurora aura sur elle une bonne influence ou non. Ce n’est pas manichéen."

Déconstruction toute !

"Je voulais parler de déconstruction, d’éveil à des enjeux politiques, explique Adlynn Fischer. Le truc, c’est que souvent, dans ce genre de récit, on essaye de convaincre les lecteurs, et ça peut faire peur. Je voulais qu’ils puissent se faire leur propre avis, sans qu’une morale trop évidente ne leur soit imposée." De la même façon, on ne trouve pas de grand méchant dans L’Été du vertige. Même l’ami d’enfance de Louise, Antoine, "qui représente les normes qui la retiennent, l’hétéropatriarcat", n’est pas une personne en tout point détestable. Froussard, égoïste, inconscient de ses privilèges et des oppressions à l’œuvre dans la société, on comprend qu’il est un obstacle sur le chemin de l'adolescente et que tous deux ne sont plus en phase. Mais c’est un gamin, avec ses sentiments et ses failles, qui ne cherche pas à être malveillant.

Vous l’aurez compris, cette bande dessinée encourage à lire entre les bulles et à tenter de percer la psyché de ses personnages. Tout comme son intrigue, son esthétique est elle aussi pleine de contrastes. Des couleurs douces, des teintes bleu pâle, crèmes, lumineuses lors des scènes d’aubes ou de couchers de soleil, et qui tranchent avec les rouges intenses des moments cruciaux. Tout simplement sublime.

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Crédits photos : La Ville brûle