Abo

portraitRencontre avec Lolla Wesh, drag queen stand-uppeuse au "coucou" lé-gen-daire

Par Morgan Crochet le 04/02/2023
portrait de la drag queen Lolla Wesh

Apparue pour la première fois en 2015, Lolla Wesh est une des premières drag queens françaises à avoir percé sur les réseaux sociaux. Plutôt stand-uppeuse que fashion queen, elle se produit actuellement au théâtre du Marais, à Paris. Un come-back réussi pour cette reine duveteuse proche du milieu burlesque. Portrait.

"Coucouuuuuuu !" Deux syllabes, un buzz énorme, des dizaines de milliers d'abonnés sur Facebook en quelques semaines alors même que Drag Race n'est pas encore diffusé en France. Lolla Wesh, queen barbue à la voix gutturale et dont la perruque blonde, qui évoque Marylin coiffée par Colette un soir d'orage, est reconnaissable entre mille, nous a parlé d'elle, et de lui. Car c'est avec Tom que tout a commencé, à l'adolescence : "J’avais fait un Skyblog avec mes amis, raconte-t-il, aujourd'hui âgé de 35 ans. On faisait des blagues souvent "border", et un jour je m’étais travelotté de manière tellement dégueulasse… Je me rends compte que c'était Lolla Wesh ado. Je crois qu'elle dormait en moi depuis toujours. Il n'y a jamais eu qu'elle."

À lire aussi : Lectures drag à Toulouse : les queens ripostent à la haine et à "l'ordre moral"

Plus tard, le jeune homme découvre en boîte de nuit les drag queens et les transformistes de cabaret. Après des études de mode et de textile, il arrive en 2009 à Paris, où il devient assistant styliste au Sentier. Mais c'est finalement pour ses copines effeuilleuses qu'il va concentrer ses talents, et avec elles qu'il va commencer le "boylesque" sous le pseudonyme de Tom de Montmartre. "C’est sur scène que Tom de Montmartre a vraiment créé Lolla Wesh, et c'est à lui qu'elle rend hommage dans la dernière scène de son spectacle", confie l'artiste, avant de nous livrer l'origine de son nom de drag : "C’est une private joke, un clin d’œil à une copine qui fait du burlesque à Bruxelles, Lolly Wish, une très belle pin-up blonde. Un soir, en after, j'ai voulu faire une sorte de parallèle avec ces fans qui essaient de ressembler à leurs idoles mais qui sont un peu à côté de la plaque. J’ai beaucoup de tendresse pour eux, et j’avais la sensation que Lolla Wesh pouvait être ça, quelqu’un qui admire Lolly Wish, à sa façon."

"Les premières drags d'Almodovar étaient vraiment dans l’ambiguïté de genre, comme peut l'être Lolla aujourd'hui."

La pin-up bruxelloise n'est pas la seule inspiration de la drag clownesque parisienne, dont les autres références sont à chercher du côté du cinéma, et notamment du personnage de Franck-N-Furter dans le film The Rocky Horror Picture Show : "Je pense que j'ai inconsciemment copié son personnage. En fait je me maquille un peu comme lui depuis toujours". L'univers de Tom convoque aussi Almodovar, et plus particulièrement les drags de ses premiers films : "Les drag queens de Talons aiguilles, par exemple, sont différentes de celles que l'on peut voir actuellement, parce qu'elles étaient vraiment dans l’ambiguïté de genre, comme peut l'être Lolla aujourd'hui." Le trentenaire évoque également les Polaroïds d'Andy Warhol sur lesquels l'artiste américain apparaît travesti. Autant de références qui cohabitent aujourd'hui dans son drag décadent et totalement barré.

Lolla Wesh,Lolla,stand-up,seul-en-scène,Tom de Montmartre,origines,portrait,spectacle,burlesque,drag,queen,Cabaret

Lolla au Cabaret burlesque

Tandis que Tom de Montmartre performe sur la scène du Cabaret burlesque, Lolla en devient une des maîtresses de cérémonie. L'artiste se partage alors entre ces deux entités, même s'il ne perçoit pas encore tout le potentiel de son drag. Créature cheap avec un "maquillage à l'arrache", son côté clown de cabaret l'amuse. Mais il lui manque encore le déclic que va lui apporter Valentina Del pearls, aux commandes de la direction artistiques de la troupe du Cabaret burlesque. Après que Lolla s'est produit avec ses camarades effeuilleuses à Avignon en 2017, Valentina lui propose de produire son seul-en-scène lors de la prochaine édition. Marché conclu.

"Aujourd'hui, je suis carrément à l’aise avec l’idée d’être debout et de raconter les choses."

"J'ai étoffé des vidéos qui avaient bien fonctionné et j’ai écrit des choses", raconte celui qui a sobrement intitulé Coucou ce premier spectacle, et qui s'enorgueillit d'avoir joué devant Jean-Paul Gaultier lors de ses dates avignonnaises, un an plus tard. "Ce stand-up était beaucoup plus brouillon que celui que je joue en ce moment. Je n’avais pas assez confiance en moi pour assumer cette forme, et pas assez confiance en mon texte. Aujourd’hui, c'est beaucoup plus autobiographique, et je suis carrément à l’aise avec l’idée d’être debout et de raconter les choses", nous explique Tom. À l'époque, cela fait déjà deux ans que Lolla a buzzé sur les réseaux sociaux, et ce dès sa première vidéo, un "coucou" rentré dans les annales, et qui totalise aujourd'hui environ 191.000 vues sur YouTube.

Attaque des Terf et renaissance

Mais tandis que la drag peinturlurée fait ses débuts sur scène, la youtubeuse, qui compte alors plus de 30.000 abonnés sur Facebook, connaît quelques difficultés. "Je suis rentré à Aides en 2017, et cela a beaucoup influencé mes vidéos." Plus pédagogique, moins drôle, Lolla, est aussi victime de plusieurs vagues de haine : "Quand j'ai parlé de la PrEP, beaucoup de haters, notamment gays, m’ont reproché de faire du prosélytisme, de faire la promotion du bareback. C'est à cette époque que mes vidéos ont commencé à être signalées en masse. J'ai aussi reçu des messages extrêmement violents quand j’ai soutenu le mouvement Metoo, ou lorsque je me suis exprimé sur l’affaire Polanski. À l'époque, j’ai fait l'erreur de répondre aux gens en m’énervant. En fait, je me suis tiré une balle dans le pied.”

"Des Terf ont accusé Lolla d'être misogyne, ce qui pour moi est vraiment incompréhensible"

Mais l'attaque la plus violente viendra des Terf – militantes d'un féminisme qui exclue les femmes trans. "Juste avant le confinement, j’avais posté un truc sur le consentement et le travail du sexe, et des Terf m’ont accusé de voler la parole des femmes. Elles ont fait des captures qu’elles ont ensuite partagées sur les réseaux sociaux, accusant mon drag d'être misogyne parce que je portais une perruque. Comme je faisais du cabaret burlesque avec Tom de Montmartre, il y avait aussi beaucoup de photos de moi en slip sur mes réseaux, et toutes ont été signalées. On a aussi accusé mon drag d'être transphobe. Ce qui pour moi est vraiment incompréhensible", raconte Tom. Aujourd'hui, Lolla Wesh est shadowban sur Instagram et Facebook, limitant son exposition et l'empêchant de faire progresser son audience sur ces plateformes.

Son come-back sur les planches permet toutefois de redécouvrir la queen des stand-uppeuses, qui semble avoir renoué avec son ton corrosif, entre engagement communautaire et humour provocateur. Dans son Stand-up drag, elle évoque parmi bien d'autres thèmes la PrEP, le préservatif "féminin", le patriarcat, la sexualité, la santé mentale, le travail du sexe, mais aussi l'histoire LGBT et celle du drag. Entre deux références à Shakespeare et à Mylène Farmer, Lolla fait de ce seul-en-scène militant une petite bulle d'humanité.

>> Stand-up Drag, au théâtre du Marais, chaque troisième dimanche du mois jusqu'en mars 2023.

À lire aussi : Babouchka Babouche : "On ne va pas se le cacher, être blanche et mince, ça aide"

Crédits photos : Morgane Dardis