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interviewBabouchka Babouche : "On ne va pas se le cacher, être blanche et mince, ça aide"

Par Tessa Lanney le 30/12/2022
Babouchka Babouche

[Rencontre à retrouver dans le magazine] Femme politique, drag queen et mannequin d'origine marocaine, Babouchka Babouche a tout pour redorer les initiales qu'elle partage avec une autre icône devenue beaucoup moins sympa : BB.

Interview et photographie par Tessa Lanney

La France a sa reine drag, Paloma, et elle est passée à ça d’avoir sa première présidente drag queen – “et mannequin” –, Babouchka Babouche. Il était même possible de suivre toute sa campagne électorale dans la première saison de sa série sur YouTube. Son programme : justice sociale, écologie et “rendez l’argent”. Bon, si elle a échoué aux portes de l’Élysée, elle est bien décidée à œuvrer pour combler les fractures du pays et entame un tour de France des campagnes dans la saison 2.

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Comment as-tu choisi ton nom de drag ?

C’est un hommage à “Babooshka”, la chanson de Kate Bush. Mais aussi à Cherifa Babouche, le vrai nom de Sheryfa Luna, qui a tout de même dû grandir à Évreux, en Normandie, en s’appelant Babouche. Respect. Avant tout, je voulais un nom qui corresponde à qui je suis, une drag queen avec des origines marocaines, même s’il faut bien avouer que je suis le plus blanc des Marocains. Et puis surtout ça va comme un gant à la petite nana pleine de peps que je suis. En prime, je pique mes initiales, “BB”, à une icône raciste, ce qui n’est pas pour me déplaire.

Tes origines marocaines t’inspirent pour ton drag ?

Babouchka Babouche est très whitewashée [“blanchie”], c’est ce qu’on appelle une “femme blanche de couleur”. Elle s’inspire de toutes ces femmes de droite plus ou moins dangereuses, comme Rachida Dati. En termes d’attitude, je puise pas mal chez Isabelle Adjani, qui d’ailleurs n’a pas toujours affiché ses origines algériennes. Quant à mon esthétique, je la puise chez les femmes qui ont été au pouvoir ces dernières décennies. Aux dernières nouvelles, on ne trouve pas de présidente de la République maghrébine dans nos archives. J’essaie aussi de faire ressortir mon incommensurable admiration pour les grandes divas arabes, et pour les drag queens libanaises qui ont su à merveille se réapproprier leurs codes – la grande Anya Kneez, par exemple. Je suis davantage un clown qu’une diva du glamour, mais j’y travaille… Pour l’instant, Babouchka Babouche porte surtout des wigs blondes, bleues ou rouges pour des raisons évidentes de patriotisme, mais j’ai investi dans une wig brune il y a peu, alors qui sait ? Peut-être vais-je me réinventer.

"Je n’ai pas envie d’être comme ces humoristes noirs et arabes dont l’humour repose sur le fait de tacler leur communauté."

Si Babouchka Babouche est une femme blanche de couleur, peut-elle incarner la culture marocaine ?

Que ce soit en drag ou en civil, la société me voit comme un Blanc. Je ne m’en plains pas, c’est une discrimination de moins. Nefer Trauma avait invité Babouchka à participer à Maghdrag, une soirée avec des drags originaires du Maghreb. J’avais décliné l’invitation parce que je ne savais pas ce que je pouvais raconter : ce n’est pas tant que je ne me sens pas légitime, mais je ne parle pas arabe, je n’ai pas beaucoup de talent pour la danse. Ce ne serait pas naturel de surjouer les parties de ma culture dans lesquelles je n’ai pas baigné. Après, je n’ai pas envie d’être comme ces humoristes noirs et arabes dont l’humour repose sur le fait de tacler leur communauté. C’est tellement plus facile d’obtenir l’approbation en s’attaquant à des gens qui sont déjà victimes de racisme et d’islamophobie, en utilisant encore et toujours les mêmes clichés éculés.

Penses-tu que les drag queens racisées manquent de visibilité ?

Paradoxalement, la drag queen la plus connue au monde, c’est RuPaul, qui est noire. Pourtant, même dans son émission, les drag-queens racisées sont bien moins adulées. Même dans Drag Race France, j’avais l’impression que Soa et Lolita n’étaient pas considérées comme de potentielles prétendantes au titre par le public – malgré les succès de Soa. Elles sont souvent l’objet de plus de critiques après leurs performances. On ne va pas se le cacher, être blanche et mince, ça aide, comme dans toutes les strates de la société. Heureusement, la scène locale fait preuve d’initiatives, comme le show de la Black Excellence, ou la Drag Rice par les Rice Queens, qui met en lumière des queens asiatiques. Ça répond à un réel besoin, car certaines queens racisées sont moins bookées et se tournent vers la scène ballroom, où les Noires et les Arabes sont bien plus visibilisées.

De nombreuses queens blanches rendent hommage à des femmes racisées…

Le truc, c’est que les drag queens s’abreuvent de la culture populaire, qui est marquée par Beyoncé et par beaucoup d’autres artistes racisées. On est tentées de leur faire honneur, voire de les parodier. Ce n’est pas tant l’appropriation culturelle qui me choque que les clichés racistes véhiculés. Ça peut très vite devenir gênant. 

Ça bouge un peu, la scène drag arabe parisienne ?

Tu constates vite qu’il n’y a que très peu de drags arabes. Ou alors ça ne se voit pas, comme pour Sativa Blaze, Morphine Blaze ou moi-même. J’aimerais qu’il y en ait plus qui s’inspirent des divas de la chanson que sont la Libanaise Nancy Ajram ou l’Algérienne Warda al-Jazairia. Lorsqu’une queen incorpore sa culture à son drag, elle la fait découvrir à son public. Mais est-ce que le public est demandeur ? Quand tu es noire, tu as plein d’idoles de pop culture à qui faire référence et qui vont parler à ton public. Quand tu es maghrébine, tu as ces divas qui sont très niches, qui datent quand même pas mal, et qui ne vont pas parler à tout le monde. Tu ne vas pas caler ta perf sur Aïcha Kandisha – une créature démoniaque sublime tirée d’une légende marocaine qui use de ses charmes pour attaquer les hommes à la nuit tombée. Qui capterait la référence ? ·

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