[Article à retrouver dans le têtu· du printemps disponible en kiosques] Récompensé au festival d’Angoulême, le bédéiste français Quentin Zuttion analyse son rapport à la féminité pour raconter le queer.
Sur son bureau trône désormais un Fauve. Enfin, juste une statuette, celle que Quentin Zuttion a reçue au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, en janvier. Le prix spécial du grand jury jeunesse a récompensé Toutes les princesses meurent après minuit, son album “le plus personnel”. “Au départ, je souhaitais parler de comment, pour nous aussi, petits pédés, le féminin prend une place très importante dans notre construction identitaire”, explique-t-il. Des dessins à l’aquarelle, des couleurs tièdes et un trait fin accompagnent ce récit croisé de trois membres d’une même famille : la mère, qui souffre d’un mariage peu épanouissant, la fille aînée, qui connaît ses premiers émois amoureux, et enfin Lulu, 8 ans, qui joue à la demoiselle en détresse et se met du rouge sur les lèvres en espérant embrasser son voisin.
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Son inspiration, l’auteur est allé la chercher dans son enfance bourguignonne : "Quand j’avais 6 ou 7 ans, je me déguisais en princesse pour embrasser un de mes camarades de classe. Pour lui, ce n’était qu’un jeu, mais pas pour moi. Je ne savais pas encore ce qu’était l’homosexualité, mais je comprenais tout de même qu’il y avait quelque chose qui clochait. Je sentais qu’il fallait que j’accède au féminin pour pouvoir me rapprocher de l’objet de mes fantasmes.”
Le petit Zuttion et les princesses courageuses
À l’école, de nombreux jeunes gays souffrent de leur gestuelle maniérée ou de leur voix trop aiguë, qui font d’eux les cibles des homophobes dès la cour de récré. Enfant, Quentin Zuttion en fit aussi l’expérience, mais avec le recul l’illustrateur de 33 ans juge que l’attrait du féminin fut pour lui salvateur. “J’étais un petit garçon efféminé, je le suis toujours un peu, et cette identité-là m’a forgé ; elle fait complètement partie de moi”, confie-t-il. Les princesses Disney, Ariel la Petite Sirène en tête, l’inspiraient beaucoup : “J’ai une vraie tendresse pour ces héroïnes, même si elles passent pour un peu niaises aujourd’hui. Ce n’étaient peut-être pas de bons modèles pour les petites filles, mais pour le petit gosse que j’étais, elles ont été d’un tel réconfort… On oublie pas mal leur courage et tout ce qu’elles ont pu nous apporter.”
C’est aussi auprès de ses grandes sœurs que Quentin Zuttion a commencé à dessiner, tout jeune, y passant des après-midi entières. “À l’époque, je prenais déjà plus de plaisir à dessiner et à construire des personnages féminins. Ils m’ont toujours plus inspiré”, se rappelle-t-il. Dans Toutes les princesses meurent après minuit, le champ lexical de l’homosexualité n’est jamais employé, mais les concernés se reconnaissent. Quant aux autres, ils comprennent, en douceur. Avant ça, le bédéiste avait signé des récits plus explicitement LGBTQI+ : Sous le lit, où il aborde les risques de la sexualité à travers la relation éphémère de deux jeunes hommes, mais surtout sa BD à succès Appelez-moi Nathan, l’histoire très pédagogique d’un adolescent trans.
"Aujourd’hui, il y a même des gens de droite qui me lisent !”
“Toutes les princesses meurent après minuit est un peu moins ouvertement revendicatif que mes titres précédents, souligne l’auteur. Ça me permet d’élargir mon lectorat habituel, qui est déjà acquis à la cause. Aujourd’hui, il y a même des gens de droite qui me lisent ! C’est hallucinant, raconte-t-il en riant. Ça doit les rassurer de voir que le propos n’est pas estampillé queer, mais ils se laissent tout de même porter par une histoire qui l’est.” Désormais, il souhaite adapter le roman Salon de beauté de Mario Bellatin : “C’est l’histoire d’un travesti, à la fin des années 1980, qui ouvre son salon d’esthétique avec deux copains. Le sida arrive, et ils vont transformer leur lieu de travail en refuge pour les malades. C’est un roman très court mais incroyable. Je n’ai jamais rien lu d’aussi beau sur l’épidémie.”
En parallèle, il souhaite adapter Toutes les princesses meurent après minuit en court-métrage. “J’ai toujours eu envie de passer derrière une caméra, avoue-t-il. Mes inspirations me viennent d’ailleurs plus du cinéma que du dessin. J’adore la BD mais c’est un métier très solitaire, et en ce moment j’ai envie d’être entouré.”
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Illustration : Quentin Zuttion, "Toutes les princesses meurent après minuit"