[Nabil Harlow est en couverture du magazine têtu· de l'été, à retrouver chez vos marchands de journaux] Il était coiffeur, il sera chanteur. Avec son premier EP, L’Hérétique, Nabil Harlow se joue des convenances et trace son chemin, dans la vie comme dans la chanson.
Un premier album à 39 ans… “Je n’ai jamais réussi à choisir qui j’étais vraiment, reconnaît Nabil Harlow avec un sourire blagueur. Je suis plein de contradictions.” Ce premier opus, annoncé pour la rentrée, on l'imagine déjà délicieusement éclectique, comme son auteur. Tant de belles promesses ont été faites avec l'EP L’Hérétique, paru en début d’année. L’artiste franco-algérien se revendique à la fois du sens de la métaphore de Mylène Farmer et des talents de conteur d’Étienne Daho. “J’avais découvert Daho en zappant une nuit sur M6 Music, se souvient-il. J’étais amoureux de sa voix. Il a une diction singulière et un petit truc érotique très reconnaissable. Il passait par mille chemins pour chanter ce qu’on peut enfin dire tout haut aujourd’hui.”
Summer is coming 🔥
Pride already there 🏳️🌈
📢 têtu· dans vos kiosques mercredi 14 juin 🙌 pic.twitter.com/A6PV3RqWWW— têtu· (@TETUmag) June 9, 2023
Nabil, lui, ose les mots, comme le prouve son single le plus politique – et aussi le plus gay –, “Le Garçon du quartier”, une histoire de désir entre deux hommes ternie par l’interdit, la frustration, l'homophobie interiorisée et le poids des regards. “Le garçon du quartier m’a pourtant dit je t’aime, mais je sais que maintenant il me traite de pédé”, énonce-t-il au refrain. Franc du collier, n’en déplaise à certains. “J’ai eu des réactions très virulentes après la sortie du titre, qui m’ont profondément bouleversé, confie-t-il. Notamment dans mon entourage. Je me suis rendu compte que les gens faisaient semblant d’être mes amis alors que c’était en réalité de gros homophobes.”
Dans le clip qui accompagne son morceau, il galoche, sensuel et provocateur, un grand brun à pleine bouche. Mais dans la scène suivante, l’artiste erre dans les rues parisiennes grimé en personnage clownesque. Ses choix esthétiques, auxquels il porte une méticuleuse attention, surprennent autant que sa musique. Avec ses ensembles sportswear, sa carrure d’armoire à glace et son dégradé fraîchement taillé, Nabil brouille les pistes et se joue des cases. “Quand t’as un jogging et une paire de TN aux pieds, on te catalogue immédiatement”, explique-t-il, presqu'ingénu.
Nabil Harlow, des Fashion Week à la musique
Avant d’avoir un micro entre les mains, le presque quadra manie la brosse et le sèche-cheveux. Un savoir-faire qui le mène à New York à 19 ans, où le jeune coiffeur devient le protégé d’Orlando Pita, un maestro qui travaille pour Dior, Versace et Prada. Paris, New York, Milan… Nabil écume pendant des années les Fashion Week. “Quand tu bosses avec des stars réputées difficiles, comme Naomi Campbell, ça te valide”, commente-t-il avec une pointe de fierté. Il travaille également chez Balmain et L’Oréal, avant de ressentir une certaine lassitude, autour de la trentaine : “Si ce n’est pas difficile, je ne m’amuse plus et je commence à me détacher. Je ne vais pas dire que j’étais arrivé au sommet de ce que je faisais dans la coiffure, mais en tout cas je ne ressentais plus du tout de challenge.”
En 2020, fini les vols internationaux et les événements huppés, la crise sanitaire éclate. Sa vie professionnelle en pause, le coiffeur de stars profite du confinement pour retourner vers son premier amour – pas son ex, non –, la musique. Avec tendresse, il songe aux leçons de piano qu’il suivait, enfant, au conservatoire. “La musique est depuis longtemps dans ma vie et ne m’a jamais lâché, affirme-t-il. J’ai toujours éprouvé une espèce d’amertume de ne pas en avoir fait un métier. Évidemment, comme je gagnais très bien ma vie, j’ai beaucoup réfléchi avant de mettre à la poubelle ma carrière de coiffeur. Tout envoyer valser pour un métier de saltimbanque, c’était une grosse décision à prendre, mais j’avais besoin de me secouer les puces.”
DZ Up
Au collège, Nabil a subi le harcèlement de ses camarades. Aux antipodes de sa silhouette actuelle, le jeune homme est alors frêle, avec des traits androgynes et un appareil dentaire. “Je me faisais frapper et cracher dessus, raconte-t-il. J’étais celui à qui il fallait faire la misère.” Nabil décide alors de “se battre et de se dépasser”. “À partir du moment où j’ai compris que j’aimais les mecs, je ne me suis pas rendu malade à vouloir à tout prix le cacher”, poursuit l’artiste, mentionnant une mère “très ouverte avec qui la conversation était facile”, et à qui il semble rendre hommage à travers le monologue qui ouvre le clip du “Garçon du quartier”. Il grimace cependant à l’idée d’apposer une étiquette sur sa sexualité, et encore plus à celle d’être un porte-drapeau : “C’est une responsabilité bien trop importante. Je ne veux surtout pas avoir à réfléchir à mes moindres faits et gestes parce que je serais censé représenter une communauté.”
"La situation s’est améliorée dans certains métiers, mais ça reste toujours compliqué pour les rebeus."
Nabil Harlow est tout de même ravi d’occuper un créneau musical où l’on croise encore trop peu de personnes maghrébines. D’un ton aigre, il se rappelle cette fois où, à l’aube de la vingtaine, alors qu’il cherchait des petits jobs de modèle photo, on lui suggéra de troquer son nom pour un pseudo aux sonorités plus hispaniques afin de percer dans le mannequinat. “La situation s’est améliorée dans certains métiers, mais ça reste toujours compliqué pour les rebeus, pointe le chanteur. Il y a aussi beaucoup de racisme au sein de la communauté gay. L’homme arabe y est sexualisé et fétichisé. On est encore associés à Citébeur.”
Nabil a toutefois l’habitude de ces entre-deux, où l’on a du mal à trouver sa place. Né à Port-Royal, dans le XIVe arrondissement de Paris, il baigne dans une double culture qu’il chérit – la preuve avec “DZ Up”, son titre en forme de lettre d’amour à ses deux pays adorés – et le trouble à la fois. “Quand tu es un enfant issu de l’immigration maghrébine, tu n’es pas Français en France et tu n’es pas Algérien en Algérie. Au bout du compte, tu n’es chez toi nulle part et ça, c’est très compliqué à vivre”, explique celui qui refuse de choisir. Mais qu’importe, l’ambivalence lui va comme un gant. ·
Photographe Matthieu Dortomb
Stylisme Nikita Vlassenko