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interview"Dans cet album, je suis totalement nu" : rencontre avec Nicolas Maury, néo-chanteur inspiré

Par Franck Finance-Madureira le 29/03/2023
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Quand on lui a appris qu'il ferait la couverture du magazine têtu· en kiosques ce printemps, Nicolas Maury n'a pas mégoté sur l'expression de sa joie, et de sa fierté. Tour à tour garçon chiffon, soubrette ou pornographe, l'acteur s’est étendu, des deux côtés de la caméra, sur tout le spectre de la masculinité. “Souviens-toi que tu n’es qu’un homme qui aime les hommes”, semble-t-il nous dire pour ses débuts comme chanteur avec son premier album, La Porcelaine de Limoges, qu'il présente ce vendredi 31 mars lors d'un premier concert au Café de la Danse à Paris. Il nous a ensuite offert une après-midi de son temps pour une interview à bâtons rompus et un shooting photo généreux, devant l'objectif de Nicolas Valois.

Il n’a pas forcément l’air comme ça, quand il se protège derrière des airs de diva éthérée, mais Nicolas Maury est d’une générosité rare. Notez qu’on se le disait déjà quand il était apparu en irrésistible assistant à la fragilité puissante dans la série Dix pour cent. Depuis, il s’est fait garçon chiffon dans son premier long-métrage comme réalisateur, pornographe moustachu des années 1980 aux côtés de Vanessa Paradis dans Un couteau dans le cœur, de Yann Gonzalez, pour lequel il avait déjà joué la soubrette cinq ans plus tôt. Bref Nicolas Maury est en réalité une page blanc porcelaine ouverte à la créativité, et c’est comme tel qu’il se prête au jeu du shooting, affirmant sa présence délicate et multipliant devant l’objectif les propositions artistiques. Folle ou puissante, masc ou étrange, tout à la fois et parfois rien, juste lui : l’éventail de la masculinité, Nicolas s’y balade comme Matthew McConaughey entre les cordes de l’espace-temps dans Interstellar. Et voilà qu’il en rajoute encore une, de corde, à son arc poétique en nous offrant La Porcelaine de Limoges. Un premier album à son image, riche et bourré de nuances, qui met à jour la grande tradition d’une pop française nostalgique et enjaillante dans laquelle le chanteur prouve (comme Hoshi) qu’on n’a pas besoin d’effacer le gay pour être universel. On se trémousse comme sur Daho, on kiffe comme sur Farmer, ou l’inverse, bref, comme disent Les Inrocks, Maury nous livre “une pop somptueuse, remarquablement composée, écrite et arrangée”. Si ça, ce n’est pas une entrée fracassante…

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Garçon chiffon, ton premier film, se finissait sur ta première chanson, “Garçon velours”, composée pour l’occasion. C’était le déclencheur de cette nouvelle carrière ?

Disons plutôt que je fais les choses de façon prémonitoire. Finir le film en chanson, c’était un instinct, je me disais que le personnage de Jérémie avait tellement parlé que c’était bien qu’il arrête et qu’il se mette à chanter. J’en avais marre du “vouloir dire” et j’ai décidé de passer par le chant, de chanter pour l’être aimé. Donc oui, quelque chose est né à ce moment, sur le quai de Valmy, où l’on a tourné cette scène.

On te découvre roux. C’est un hommage à Mylène Farmer ?

Non pas du tout, le roux c’est parce que je pense qu’en fait j’ai une peau de roux ! C’est mon côté Irlandaise folle qui court dans les dunes. Mais j’ai une passion pour le dernier, beau et mélancolique album de Mylène Farmer fait avec Woodkid. Ado, moi j’étais vraiment dans la team Vanessa Paradis ! En long, en large et en travers…

"Il faut rêver très fort dans sa chambre, les yeux ouverts, que c’est comme ça que les choses arrivent."

Tu as d’ailleurs tourné avec elle dans Un couteau dans le cœur

C’était la folie, la réalisation d’un grand rêve d’adolescent. Je me dis qu’il faut rêver très fort dans sa chambre, les yeux ouverts, que c’est comme ça que les choses arrivent.

C’est en rêvant fort que tu as rencontré Olivier Marguerit, le principal compositeur de ton album ?

On s’est rencontrés lors du tournage de La Question humaine, de Nicolas Klotz (2007) ; son groupe, Syd Matters, en composait la bande originale. J’ai ensuite joué dans un court-métrage érotique en Super-8 réalisé par Shanti Masud, la femme d’Olivier, While the Unicorn is Watching Me (2014). J’y étais une espèce de faune qui errait entre les bites ! J’ai beaucoup aimé la voix perchée d’Olivier dans ses albums solos sous le pseudo O, et son sens parfait de la mélodie qui brasse Sufjan Stevens, Simon and Garfunkel ou encore Françoise Hardy. Je me suis dit qu’il était comme une flamme jumelle.

Votre proximité a facilité la composition de l’album ? C’est ce qui explique son unité malgré l’exploration de territoires musicaux variés ?

Cette unité, c’est une façon de condenser l’amour que nous avons avec Olivier pour la chanson française immémoriale et pour les ritournelles. C’est un peu durassien mais c’est quelque chose qui me touche, les “la la la”, les chansons-doudous qui deviennent des amies secrètes ou partagées. J’aime la candeur des chœurs, cette gourmandise d’aller vers plusieurs styles. Comme pour le cinéma, je suis très éclectique dans mes goûts. Olivier a fait un vrai travail de metteur en scène de ma voix, j’étais un peu sous emprise volontaire, comme addict des chansons. Mais je pensais forcément à ce que Gainsbourg a écrit, de façon coquine, acide ou provocatrice, pour Adjani, à Petula Clark, ou bien sûr à Jane Birkin. Avec Olivier, on a aussi une passion commune pour les espaces un peu climatiques des albums solos de Damon Albarn, l’un des fondateurs de Blur. J’adore également l’album qu’a fait Beck pour Charlotte Gainsbourg. J’aime les voix féminines – ce qui veut tout et rien dire – et l’idée du Pygmalion et de la muse. En l’occurrence ici, c’est deux garçons, ce qui n’est pas si courant ! 

"Dans l’histoire de la chanson française, il y a peu d’hommes qui ont parlé de leur désir pour d’autres hommes autrement qu’avec une simple évocation, ou suggestion."

On retrouve cette dynamique dans les thèmes de l’album : l’amour, la sexualité, la vie à deux, le tout entre garçons…

Un peu comme quand j’ai écrit Garçon chiffon, cet album, même si je n’en ai pas écrit tous les textes, je l’ai convoqué. Dans l’histoire de la chanson française, il y a peu d’hommes qui ont parlé de leur désir pour d’autres hommes autrement qu’avec une simple évocation, ou suggestion. Là, c’est direct, c’est sexué, c’est destiné. Ce sont comme des lettres écrites pour des hommes en particulier. Moi je me suis construit en écoutant des chansons hétérosexuelles et j’ai pleuré sur ces histoires. J’aimerais, enfin, qu’un garçon hétéro puisse être ému par des chansons homosexuelles. C’est assez sexy l’idée qu’un homme qui aime les femmes écoute ma musique.

Céline Sciamma dit avoir grandi en aimant des films qui ne l’aimaient pas. Tu dirais donc la même chose de toi pour les chansons ?

Quelque part, oui. Ces chansons, en tout cas, ne m’incluaient pas. Et puis, il y a des chansons que j’ai détestées : “Comme ils disent” d’Aznavour, “Un garçon pas comme les autres (Ziggy)” dans Starmania, ou “Une femme avec une femme” de Mecano. Ce sont des regards extérieurs, de fausses revendications sur le mode “regardez-les mais ne jugez pas”. Moi je voulais quelque chose de beaucoup plus intérieur. Sans vouloir jouer au vieux con, je pense que j’ai été l’un des premiers à ne rien cacher en étant malgré tout populaire. Et je suis un bon petit soldat, je me laisse habiller par cette chimie qui serait la fragilité ou la sensibilité. Dans cet album, je suis totalement nu, je dis les choses avec clarté, et cette clarté devient politique. J’aime les choses destinées mais avec une certaine douceur qui permet à tous d’entrer et d’ouvrir en eux des espaces intimes.

C’est facile de s’approprier des textes écrits par d’autres ?

Par exemple, “Ce secret”, qui parle de la jalousie, c’est phénoménal à quel point ce texte m’a transpercé. Et puis d’autres sont plus joueurs avec mon image, comme “Blouson noir” : “1 mètre 80, le nez aquilin, boucles noires décoiffées, je termine ici ma description, laissons le mystère précéder l’action.” C’est Shanti Masud qui l’a écrit et je crois qu’elle aurait aimé être pédé, donc elle fantasme sur cette idée des hommes ensemble. Chanter, c’est aussi être habillé par les fantasmes des autres.

Tu penses encore à ce petit garçon qui tirait sur son ourlet du bas devant la glace le jour de la rentrée des classes en craignant qu’on le traite de folasse, comme dans la chanson éponyme de l’album ?

Il y a une chose que j’aime de plus en plus chez moi, et il n’y en a pas beaucoup, c’est que j’ai réussi quand même à suspendre la colère liée à ce que j’ai reçu comme contraintes dans mon cœur, dans mon corps. J’ai réussi à suspendre un peu la peur d’une agression homophobe, même si elle peut renaître au détour d’un trottoir. Ce n’est pas de l’ordre de la revanche, car plus j’avance, plus j’ai l’impression de faire des choses – même radicales. Je pense de plus en plus à l’idée de la douceur de vivre, aux joies qui ne seraient pas que passagères. Mais l’idée de cet enfant-là, devant sa glace, revient très vite, par exemple, quand je redescends dans ma famille, dans un contexte de groupe. Cela revient vite parce que je ne suis jamais sorti de cette chambre d’enfant, qui a été en fait ma chambre d’artiste. Ce morceau me permet de mettre des mots là-dessus.

As-tu un sentiment de responsabilité par rapport à la communauté LGBTQI+, ou même par rapport au petit garçon que tu étais ?

C’est étrange pour moi d’avoir choisi le métier d’acteur, car j’ai une haine du secret et du mensonge – je travaille là-dessus ! Souvent, quand je parle de ce que je fais, je dis que je ne le fais pas pour moi. Et ce n’est pas un pied de nez, j’ai le sentiment que le travail de l’interprète est une rigueur, une poétique, une politique, une écologie du regard. Et cela part forcément du micro vers le macro, donc je m’engage en disant qui j’aime, comment j’aime, comment je fais l’amour, à quelle fréquence j’aime, je parle de ma quête d’identité sexuelle, j’essaie de me questionner, d’être poreux au monde. Tout cela me semble très queer, et je fais partie de cette communauté, c’est dans ma façon de penser. Mettre un angle quand tout me paraît trop rond, c’est ma façon d’être artiste, et cela se rejoint beaucoup. Je ne suis pas très identitaire parce qu’il me semble que la plus belle des identités c’est juste de ne pas cacher qui on aime, comment on aime. Je n’en fais pas une communication mais un choix de film ; une interprétation, c’est un engagement. Et puis, j’aime bien aussi décevoir l’image ou l’attente. Isabelle Huppert aime disparaître, moi j’aime décevoir, ne pas produire, sous-produire, cela crée une autre fréquence, cela ralentit le temps. Je suis de plus en plus passionné par les hommes alors qu’avant les femmes prenaient toute la place dans ma vie personnelle. Les hommes que je rencontre au fil des soirs – hétéros ou homos, je ne leur demande pas –, je les perçois différemment, j’entends des garçons qui parlent ouvertement de leurs amours, de leurs cœurs, de la charge qu’ils ont aussi. C’est souvent poétique et inattendu.

"Je me demande toujours comment peuvent réagir les gays du Limousin, là où j’ai grandi."

Quel est ton regard sur l’évolution des représentations queers ?

J’ai pu me réjouir beaucoup de Drag Race, de ces apparitions, du show. C’est très bizarre, car, parfois, je pense que l’affirmation de soi est liée à la place qu’on nous donne. Apparaître n’est pas forcément lié à être vu comme une star ou une diva. C’est ce qui peut me faire frémir dans le rap : “Maintenant c’est mon tour, c’est moi qui prends la place.” Mais c’est un mouvement qui n’est pas le mien, qui est trop loin de la grâce. J’aime les apparitions du style Barbara ou la Callas, cette forme de simplicité, d’épure, on ne peut pas être tous la diva de soi-même comme sur les réseaux sociaux. J’y vois des choses magnifiques, je peux passer quatre heures à regarder des mecs qui font des tutos de maquillage ; ça me passionne, ça me donne des frissons. Et parfois, je pense qu’apparaître, c’est une façon de gagner, de conquérir un territoire, il faut se battre. Je suis vigilant sur tout, sur mes choix de rôles, sur les critiques ou les articles avec de l’homophobie déguisée. À la fin d’une interview, un journaliste avait fait un jeu de mots débile du style : “Gageons qu’on ne mettra pas à cet artiste de bâtons dans les roues. Des bâtons de rouge à lèvres bien sûr !” Gay, donc rouge à lèvres, c’est de l’homophobie épaisse… Alors que dans d’autres sphères on ne parle même plus de bisexualité aujourd’hui, tellement la fluidité est de mise. C’est ce combat intime qui m’intéresse. Et puis je me demande toujours comment peuvent réagir les gays du Limousin, là où j’ai grandi. J’aime l’improbable du monde comme dans les films d’Alain Guiraudie.

Avec le personnage d’Hervé dans Dix pour cent, tu as créé un lien particulier avec le grand public. Ce lien t’a-t-il apporté une certaine liberté de t’affirmer ?

Peut-être. Il y a eu une unanimité du populaire, et c’est international ! On m’arrête même dans la rue à Los Angeles ! Mais ça peut envoyer de mauvais signaux. J’étais auparavant vu comme une figure d’un cinéma dit d’auteur. J’ai eu peur qu’on croie que je passais du côté des “comiques”. J’aurais pu faire un one-man-show après Dix pour cent, on me l’a proposé, mais cela ne m’a vraiment pas tenté parce que j’ai l’impression que le rire est devenu un peu bourgeois, de droite, voire d’extrême droite. Moi j’aime le rire indécidable. Quand je vois les grosses comédies qui sont faites pour toucher le jackpot, venant d’un milieu populaire, ça me pose un problème, je ne me sens pas à l’aise.

Tu es assez proche de l’univers de la mode. Tu as l’impression de trahir ton milieu d’origine ?

Je ne suis pas héritier, je gagne peut-être un peu plus d’argent que d’autres mais je ne suis pas riche, et la mode est un peu mon seul trésor ! Fréquenter des grandes maisons, qui sont aussi mécènes, cela appuie l’idée de l’hétérogénéité du monde, de ses contradictions. On n’est pas des meubles Ikea. Bien sûr que c’est bizarre parfois de galérer à payer son loyer et de porter une tenue qui le paierait 20 fois ! C’est assez passionnant, mais à dose homéopathique. J’adore le travail des ateliers mais je ne suis pas un arbre à sacs ! Et j’ai refusé des contrats, même si cela m’aurait permis de vivre mieux, parce que mon trésor, c’est ma décision, ma façon d’apparaître ou de disparaître. Ce sont des rôles d’un soir que je trouve assez chouettes. ·

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Photographie Nicolas Valois
Stylisme Nikita Vlassenko
Grooming Fabien Giambona