Ce jeudi 22 juin, à Kiev, s'ouvre la première édition du festival de cinéma queer Sunny Bunny, avec le film de Paul B. Preciado, Orlando. La création de ce festival alors que l’Ukraine est en guerre est significative à plus d’un titre, et proclame haut et fort que la culture et les luttes pro-LGBT+ font partie du combat. têtu· a rencontré Bohdan Zhuk, le directeur du festival.
Quand a été prise la décision d’organiser cette première édition du festival Sunny Bunny malgré la guerre en Ukraine ?
Bohdan Zhuk : On travaille depuis longtemps à l’idée de faire de Sunny Bunny, jusqu’alors la section queer du festival Molodist, un festival en soi. La réflexion était en cours depuis 2019 mais avec l’arrivée de la pandémie, cela n’était pas vraiment le bon moment. Aujourd’hui, nous sommes en guerre et notre regard sur la vie a changé, nous pouvons tous mourir demain ! N’étant pas mobilisable par l’armée, j’ai pensé que je pouvais être utile ailleurs, j’ai travaillé l’année dernière sur des programmations queers pour des festivals étrangers en Europe et au Canada, et on s’est dit qu’il fallait malgré tout lancer notre festival dès cette année. On s’est préparé à toute éventualité, nous avons des groupes électrogènes en cas de panne pour assurer la continuité des projections, des abris tout proches sont prêts en cas d’alerte… Il y a de nombreux paramètres à prendre en compte mais rien n’est impossible ! Sunny Bunny était déjà une marque identifiée au sein du festival Molodist et le public nous suivait. Comme tous les groupes marginalisés, les personnes queers souffrent encore plus de la guerre que d’autres, et nous avons décidé que c’était important de ne pas reculer et d’organiser le festival maintenant. J’ai réussi depuis l’an dernier à continuer à faire mon travail, le ministère de la Culture ukrainien m’a permis de continuer à voyager pour aller dans les festivals de cinéma et pouvoir constituer la programmation du festival. C’est aussi une forme de représentation diplomatique et culturelle de l’Ukraine.
Les conditions de vie actuelles à Kiev permettent-elles d’envisager le festival sereinement ?
La vie à Kiev continue et même si, sur le moment de l'invasion russe, on a cru que nos vies prenaient fin. J’ai quitté Kiev fin février 2022 pour rejoindre ma famille dans l'ouest du pays dont je suis originaire. Je suis revenu quelques mois après, en juin, et je me suis adapté à notre nouvelle réalité : les sirènes, les attaques de missiles… On ne peut pas vraiment dire qu’on s’y habitue, mais il faut faire avec car ce n’est pas près de s’arrêter.
Un festival queer, c’est aussi une façon de résister et d’aller à l’encontre des obsessions sociétales de Poutine ?
Absolument ! Il veut prendre le contrôle de l’Ukraine mais, de façon générale, il se bat contre la démocratie. Nous défendons nos vies, notre territoire, notre pays mais aussi l’idée de démocratie. C’est une façon de réaffirmer ce qui nous constitue et, notamment, la défense des droits humains. La vie des personnes queers en Ukraine n’est pas idéale mais a connu des avancées dans les dernières décennies. L’homosexualité a été décriminalisée en 1991, dès l’indépendance de l’Ukraine, et cela a été l’une des premières lois votées. L’acceptation et la tolérance par rapport aux personnes LGBT a beaucoup augmenté ces dernières années dans le pays. Il y a bien sûr des conservateurs et des radicaux, mais il y en a partout dans le monde et nous n’allons pas leur demander de permission. Nous prenons notre place, nous nous emparons de nos droits ! C’est la meilleure façon de se battre.
Est-ce que le contexte a joué sur la programmation de cette première édition ?
Oui et non. Il a bien sûr fallu prendre en compte ce contexte tout en conservant l’ADN de Sunny Bunny et en étoffant le programme qui consistait, depuis 2001, en une compétition d’une dizaine de films internationaux. Cette année, nous avons vraiment conçu une programmation plus large : une compétition, un panorama, des documentaires et des courts-métrages pour mettre en avant le meilleur de la production de cinéma queer du moment. Nous avons porté une attention particulière à ce qui pouvait être compliqué à voir par le public au vu de cette situation de guerre. Personnellement, j’ai essayé de mettre en valeur des films qui se terminent bien mais cela s’inscrit dans la tendance générale des festivals queers : l’idée d’aller au-delà des tragédies, des violences, des souffrances et de la supposée solitude des personnes LGBT… On a envie de fun, de joie !
Pouvez-vous évoquer quelques éléments importants de la programmation du festival ?
Il y aura 70 films projetés, courts et longs confondus. Il y aura un jury, une compétition et le prix du public. Nous avons travaillé sur deux programmes hors-compétition : New Colors sera consacrés aux cinéastes émergeants, majoritairement à des premiers films, tandis que notre Panorama proposera des films de talents plus confirmés. Il y aura aussi une rétrospective consacrée au cinéma queer ukrainien, il n’y en a pas beaucoup mais nous avons replongé dans les archives nationales du cinéma pour trouver quelques films importants et méconnus. Nous avons aussi un programme de films courts, Queer fighters, consacré aux militaires LGBT ukrainiens qui ont fait beaucoup pour l’acceptation depuis quelques mois et qui ont accéléré le besoin d’avoir une loi reconnaissant les unions de personnes de même sexe.
Comment les choses avancent-elles sur les droits LGBT en Ukraine dans ce contexte particulier ?
Une proposition de loi sur l’union civile est étudiée par le Parlement, notamment parce qu’elle serait très utile pour les combattants LGBT qui prennent des risques énormes sans aucune garantie pour leurs partenaires en cas de décès. C’est pourquoi c’est important pour le festival de mettre en avant les combattants LGBT et leurs besoins urgent en termes législatifs. Il y a eu de nombreuses pétitions en ce sens pour soutenir le changement de la loi. À ce stade le mariage n’est pas possible puisque la constitution ukrainienne précise qu’il doit avoir lieu entre un homme et une femme, mais passer par l’union civile serait déjà une belle avancée. Le processus parlementaire est assez lent mais la proposition a déjà été acceptée par de nombreux comités, donc c’est en bonne voie.
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