Dans son documentaire Le Temps d'un été, Gaëlle Malandrone a suivi cinq adolescentes sur les plages de Sète. Un groupe d'amies soudé, à la conscience féministe déjà bien avancée.
Les filles sont méchantes entre elles, se crêpent le chignon, se brouillent, se font des crasses et rivalisent. Une réputation confortée par des siècles de misogynie, et que Jia, May, Angelina, Eliette et Fanta, 17 ans toutes les cinq, invalident en un été, alors qu'elles partent en vacances ensemble pour la première fois, loin de leurs parents. Sous le soleil de Sète, ce petit groupe d'adolescentes parisiennes a laissé entrer dans leur intimité la réalisatrice Gaëlle Malandrone, qui en tire un documentaire, Le Temps d'un été, disponible sur la plateforme France.tv jusqu'au 10 juillet. Au milieu des rires et des éclats de voix, si l'on a l'impression d'avoir les mains plongées dans le sable et de sentir, nous aussi, le mistral sur notre visage, c'est peut-être qu'au fond, comme le souligne Gaëlle Malandrone, les femmes que nous sommes portent en elles les adolescentes qu'elles ont été. Mais la jeunesse dont il est question ici a été sensibilisée très tôt aux enjeux féministes, puisque Jia et ses copines n'avaient que 13 ans lorsque le mouvement #Metoo a éclaté. Leur expérience, qui témoigne d'un éveil et d'une maturité propre aux défis de leur génération, n'en reste pas moins universelle, et nous plonge immanquablement dans un état nostalgique.
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Durant le documentaire, les amies confient sans détour leurs histoires de coeur, des premières amours aux simples crushs. Elles font l'objet de la curiosité des garçons, flirtent de temps à autre sous les lumières de la fête foraine, s'amusent de ces intrigues tout en demeurant éminemment lucides sur les rapports qu'elles entretiennent avec leurs homologues masculins. Après s'être longtemps échinées à éduquer leurs amis, à leur faire prendre conscience des oppressions qui ont cours dans la société, toutes ont finalement fait le choix de ne plus se lier d'amitié avec la gent masculine. Trop de travail de pédagogie, trop d'efforts pour assez peu de résultats. Trop d'investissement pour s'entendre dire qu'elles en rajoutent, en font des caisses, se comportent en "féminazies". Pour contrer ces voix masculines qui tentent d'amoindrir leur radicalité, de faire taire leurs revendications, de décourager leur éveil féministe, toutes se serrent les coudes, nourries des écrits de Virginie Despentes ou encore de Mona Chollet.
"Le Temps d'un été", ou le cocon de la sororité
Jia, May, Angelina, Eliette et Fanta ont très tôt constaté la violence des hommes et subi les regards projetés sur leurs corps. À leurs yeux, "j'ai été un objet sexuel dès ma plus tendre enfance", assène May au détour d'une conversation. Avant même de voir leur physique changer face au miroir, avant de se sentir adolescentes, c'est ce regard extérieur qui les a tirées de l'enfance. "Les hommes ne font pas la différence, à partir du moment où tu fais 1m55, c'est fini", tranche la jeune femme. Leur groupe apparaît alors comme un cocon dans lequel elles peuvent être pleinement elles-mêmes, libres d'expérimenter la vie d'adulte et d'assumer leur côté enfantin, comme passer des heures à choisir une tenue pour sortir, fumer dans les rues, la démarche assurée, regarder un anime au calme, découvrir les mots de Françoise Sagan au fil des pages de Bonjour Tristesse, manger une glace, dépenser son argent au chamboule-tout pour repartir avec une peluche.
Gaëlle Malandrone montre les regards complices, les sourires tantôt innocents, tantôt insolents, les moments de partage et de cohésion. L'amitié est au coeur de son travail. Avec sa caméra, elle capture cependant l'inattendu, l'imprévisible. Les prémices d'une histoire d'amour, entre Angelina et Jeanne, qui rejoint le groupe en cours de route. Si l'on prête une attention particulière aux détails, on intercepte des gestes plus appuyés, des attentions desquelles émane une immense tendresse. On perçoit les contours de cette romance lesbienne sans qu'elle détone de la dynamique du groupe. Lors du premier été sous l'oeil des caméras, le couple nouvellement formé a privilégié la discrétion. L'été suivant, la réalisatrice est repartie à Sète avec les mêmes vacancières, et les deux adolescentes affichaient désormais leur amour au grand jour.
Crédit photo : Summertime