film"Happy Together" : le chef-d’œuvre gay de Wong Kar-wai de retour au cinéma

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Par Franck Finance-Madureira le 20/12/2023
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Le distributeur français The Jokers ressort ce 20 décembre quatre films remasterisés du maître du cinéma hongkongais Wong Kar-wai. L’occasion de visionner sur grand écran Happy Together, l’un des plus grands films gays du cinéma asiatique.

À l’instar du tango qui rythme nombre de ses séquences (le mythique Tango Apasionado d’Astor Piazzolla), Happy Together, Prix de la mise en scène au Festival de Cannes en 1997, est un film hypnotique aussi entêtant que le plus capiteux des parfums. C’est pourtant dans un studio crasseux de Buenos Aires que nous découvrons Ho et Lai en slips blancs, peau contre peau. Mais l'étreinte des deux personnages a le goût amer des histoires finissantes. En effet, le couple, venu de Hong Kong pour repartir à zéro, n’en finit pas de se déchirer, de se quitter, de se retrouver, de se désirer et de se détester. Au gré de leurs allers-retours, de leurs escapades ratées pour aller visiter les magnifiques chutes d’Iguazu qui illustrent l’abat-jour coloré de leur lampe de chevet, c’est la difficulté des sentiments au sein d’un couple gay que raconte Happy Together, l’ironie de son titre se révélant au fil de l’évolution de la relation entre les deux garçons.

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Lai enchaîne les petits boulots à l’accueil d’un cabaret de tango comme dans les cuisines d’un restaurant local tandis que Ho verse dans l’autodestruction avec un penchant affirmé pour les nuits d’ivresse sans fin. À la distance qui sépare leur terre natale de la ville fascinante qui accueille cet exil malheureux s’ajoute celle qui s’immisce inexorablement entre eux quand la violence, la maladie ou la pitié prennent le dessus. Les corps et les esprits sont mis à l’épreuve d'une relation de plus en plus toxique. 

Le miroir de la relation Chine-Hong Kong

Wong Kar-wai imprime et affine son style pour raconter cette histoire d’amour déjà morte, de rupture qui n’en finit pas, construite en miroir de l’actualité brûlante du moment : la rétrocession, au premier jour de l’année 1997, de Hong Kong, terre moderne, libre et florissante, à une Chine dictatoriale et homophobe. Le réalisateur, qui épouse l’époque en réinventant les codes du cinéma arty et indépendant des années 90, alterne la couleur, souvent saturée, et le noir et blanc, et travaille à la fois les univers poisseux, les présences fantomatiques, la drague sauvage (pissotières et cinéma porno). Les jeux de temporalité et le montage en saccade, qui fait de chaque scène un court instantané presque photographique, perdent et étourdissent au son d’une B.O. inspirée où se côtoient Caetano Veloso et Frank Zappa. 

De ce monde d’une dureté absolue émergent des émotions intenses et fugaces, distillées dans des scènes qui surprennent par leur lumière : une courte leçon de tango qui unit les deux amants, une partie de football de rue ensoleillée, et la rencontre de Lai avec Zhang, qui projette de visiter un phare au bout du monde capable d’apaiser les chagrins des personnes malades d’amour. À l’image des spectaculaires chutes d’Iguazu, qui hantent le film comme les pensées des protagonistes et sont le témoin sublime du déchaînement des éléments, la violente beauté de Happy Together est de celle dont on ne peut détourner le regard, et qu’on n’oublie jamais.

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>> Chungking Express (1994), Les Anges déchus (1996), Happy Together (1997) et The Hand (2004, inédit), en salles en version 4K le 20 décembre.

Crédit photo : The Jokers