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cinémaRaphaël Quenard dans "Chien de la casse" : bromance rurale en zone toxique

Par Morgan Crochet le 27/02/2024
"Chiens de la casse", de Jean-Baptiste Durand, avec Raphaël Quenard

Récompensé du prix du Meilleur premier film aux Césars 2024, Chien de la casse, de Jean-Baptiste Durand, brosse le portrait social et réaliste d'une jeunesse rurale. Révélation masculine de l'année, l'acteur Raphaël Quenard y crève l'écran, en prise avec des sentiments forts et contradictoires pour son meilleur ami.

"T'as pas la flemme d'être rayonnant de beauté sur ton banc, à attirer comme un aimant les femmes ?" demande Mirales à Dog, son meilleur ami depuis la classe de 6e. Pour son premier long-métrage, sorti l'an dernier et doublement primé aux Césars 2024, Jean-Baptiste Durand a choisi de raconter l'histoire d'une amitié particulière dans la jeunesse désoeuvrée d'un village paumé. "Quelque chose d'une amitié assez toxique, d'un amour maladroit", décrit le réalisateur, résumant l'enjeu du personnage principal, incarné par Raphaël Quenard avec une justesse qui a valu à l'acteur le César de la révélation masculine.

Mirales est un dealer dominant et beau parleur d'une vingtaine d'années, lecteur de Montaigne et de Hermann Hesse, dont l'ascendant sur Dog, interprété par Anthony Bajon, n'a d'égal que l'amour, sans partage et souvent cruel, qu'il lui porte. Il faut dire que les deux garçons, totalement interdépendants, fonctionnent comme un couple conflictuel enfermé dans une relation toxique. Mirales reprend Dog sur son manque de curiosité, sa façon de manger, de parler ou d'être silencieux… "Sa vie, c'est manger et dormir, et depuis peu baiser, cingle-t-il alors que Dog s'est trouvé une petite amie, Elsa (Galatea Bellugi), dont il est affreusement jaloux. "Si tu savais toutes les cochonneries que je lui ai faites dans tous les coins et recoins de ce village, lance-t-il avec perfidie à l'intéressée, tu serais surprise de l'animal sur lequel tu as mis le grappin."

Mirales, un dealer troubadour

Cette relation, faite de reproches et de déclarations d'amour, d'attraction et de rejet violent, les deux amis la doivent en partie à leur lieu de vie, une commune modeste de l'arrière-pays montpelliérain devenue le centre de leur monde, où les personnages se confrontent également par manque de perspectives. La géographie influe directement sur leurs rapports, pris en étau entre le déterminisme social et cette même place de village sur laquelle ils se retrouvent chaque soir.

Dans ce quotidien figé, seul détonne la verve de Mirales, personnage à deux tons. Provoquant, il brise les silences qu'il a lui-même creusés par la crainte qu'il inspire, dénonce la routine qu'il entretient, fait les questions et les réponses, oppose aux projets de ses amis ses rêves de grandeur inassouvis. Constamment sur la crête de ses discours improvisés, il semble mettre en branle le réel sans s'apercevoir qu'il est le pilier de son immobilité.

Le masque tombera-t-il ? Si le personnage irrite, étouffe même, sa place n'est jamais remise en question par son entourage. Sa personnalité est subie plutôt qu'acceptée, avec son lot de cruauté mais aussi de séduction par la poésie qu'il met dans l'expression de ses sentiments, et refoulements. Car son idéalisation de l'amour hétérosexuel lui rend les femmes inaccessibles, tandis qu'il n'a de cesse de rechercher la compagnie d'un homme, son meilleur ami. Qu'il considère comme un frère… et qui est assurément bien davantage pour ce troubadour lyrique et toxique au royaume de Bourdieu.

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>> [Vidéo] La bande-annonce de Chien de la casse :

Crédit photo : Allociné