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cinémaFestival de Cannes : "Eat the Night", adieu aux vieux mondes

Par Franck Finance-Madureira le 23/05/2024
"Eat the Night"

Après des courts-métrages cultes (Tant qu’il nous reste des fusils à pompe ou After school knife fight) et un premier long-métrage d’une modernité folle mais fraîchement accueilli (Jessica Forever, 2018), le duo de cinéastes Caroline Poggi-Jonathan Vinel, passionné de mondes virtuels, a présenté à la Quinzaine du Festival de Cannes un film noir au romantisme pur et dur.

C’est acté, la fin est proche. Il ne reste que quelques jours d’existence au jeu de plateforme Darknoon, refuge d’Apo, jeune ado havraise (Lila Gueneau), et de son grand frère Pablo (Théo Cholbi, vu dans The Smell of us et Réparer les vivants), petit dealer d’ecstasy. L’arrivée dans leurs vies de Night (Erwan Kepoa Falé, découvert en escort doux et lumineux dans Le Lycéen de Christophe Honoré) agira comme un révélateur…

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Le duo Poggi-Vinel revisite ses fondamentaux – la vie péri-urbaine, l’interpénétration entre réel et virtuel, un romantisme moderne, sombre et désenchanté – en imaginant un film multi-genre, qui est d’abord l’histoire d’une passion amoureuse entre deux outsiders qui tentent, au départ chacun à leur façon, de sortir la tête de l’eau.

Un monde nouveau

La rencontre entre Pablo et Night est comme une évidence, la chimie sexuelle – présentée à l’écran comme rarement dans le cinéma français – agissant comme un moteur dans cette relation passionnelle qui les aveugle sur les risques grandissants de leur commerce, désormais commun, d’ecstasy. Ensuite le film noir, poisseux, qui raconte la violence de l’époque, les luttes de territoire à l’ère des vaines opérations "places nettes XXL" du monde d’hier. Et, finalement, l’apocalypse comme point de fuite, celle annoncée du jeu Darknoon mais également celle d’un monde finissant, d’un patriarcat à bout de souffle, d’un masculinisme qui s’éteint peu à peu rongé par sa propre toxicité même s’il est encore capable de provoquer des dégâts irréversibles.

Poggi et Vinel sont en prise avec leur époque et, il faut se rendre à l’évidence, ils ont toujours un coup d’avance. À la fois philosophes et démiurges de ces mondes qui leur sont familiers, ils parviennent à mettre en scène comme jamais précédemment les imbrications entre quotidien et virtuel, entre la vie, ce jeu dangereux, et le jeu, vu comme une vie augmentée. Malgré la noirceur du propos et le romantisme (au sens premier : sensibilité, imagination, jusqu’au-boutisme) pur, moderne et intrinsèquement violent qui habite leurs œuvres, cette peur de la finitude (annoncée ou imprévisible) agit comme une force révélatrice et révolutionnaire. La fin du monde ne serait qu’un passage et un espoir. Celui de voir enfin naître un monde nouveau. Le monde de demain, celui qui regarde sa jeunesse dans les yeux.

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Crédit photo : Tandem Films

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