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rencontre"Le Lycéen" de Christophe Honoré : rencontre avec les deux révélations du film

Par Franck Finance-Madureira le 01/12/2022
"Le Lycéen" de Christophe Honoré

Paul Kircher et Erwan Kepoa Falé incarnent Lucas et Lilio, les deux personnages gays principaux du nouveau film de Christophe Honoré, Le Lycéen. Les deux comédiens et le réalisateur se confient à têtu·.

Paris, fin octobre. L’été s'éternise, et c’est dans la cour intérieure de l’hôtel Grand Amour que Paul Kircher nous rejoint. À première vue, il ne paraît pas très éloigné du personnage de Lucas, rôle-titre du Lycéen, le nouveau film de Christophe Honoré. Paul pèse ses mots, fixe son regard sur des points imaginaires quand il réfléchit, et ne se départit pas d’une certaine réserve : "J’habite le nord de Paris et j’ai joué dans un film [T’as pécho, une comédie adolescente d’Adeline Picault sortie en 2020] un peu avant d’entrer à l’université pour suivre des études de géographie. J’ai ensuite rencontré un agent qui a commencé à me présenter du monde. J’ai découvert l’univers des castings, et c'est ainsi que j’ai rencontré Christophe Honoré."

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Ce jeune homme, cinéphile, qui évoque au détour de la conversation les œuvres du Coréen Lee Chang Dong, de l’Iranien Asghar Farhadi, des frères Dardenne ou les douze films qu’il a vus en trois jours au Festival Lumière de Lyon la semaine précédente, passe finalement toutes les étapes du casting. "J’ai lu le scénario et j’ai tout de suite beaucoup aimé. Après, comme je n’ai pas encore l’habitude d'en lire, je n’étais pas vraiment sûr d’avoir tout compris. Mais ce que j’avais saisi, dès le départ, c’est que le rôle était important", raconte-t-il.

Le personnage de Lucas, qui est au centre du film et ne quitte presque jamais l’écran, est une nouvelle incarnation du réalisateur en jeune homme – après Louis Garrel ou Vincent Lacoste. Le film est une forme de portrait de ce jeune homme gay qui prend de plein fouet la mort de son père à ce moment incertain du passage à l’âge adulte. Quelques jours plus tôt, sur la terrasse du Café Beaubourg cette fois-ci, Christophe Honoré évoquait avec nous le choix de Paul pour incarner cet ado en plein chaos intérieur.

À la recherche de Lucas

"Pour le personnage de Lucas, le processus de casting a été un peu long. L’idée était de mélanger un casting sauvage et des auditions avec de jeunes comédiens de moins de 20 ans. Dans le processus, je crois qu’on a vu plus de 300 personnes. Mais nous n’avons pas beaucoup de mérite à avoir trouvé Paul ! Il fallait être vraiment crétin pour ne pas voir l’évidence en lui", expliquait le cinéaste qui, tout au long de sa carrière, fut un merveilleux révélateur d'interprètes. Il ajoutait : "On a vraiment fait ce film en totale complicité lui et moi. J’avais besoin de lui pour retrouver une certaine jeunesse, une certaine adolescence, et je l'ai entraîné à exploiter une sensibilité et une sensualité qui n’étaient pas les siennes."

Quant à Paul, il lui a fallu un peu de temps pour intégrer le personnage et ses multiples dimensions : "Pendant le tournage, je ne me rendais pas compte que j’étais vraiment différent du personnage. J’étais moi-même, mais dans un monde parallèle. Je n’ai pas grand-chose en commun avec Lucas, quand on regarde les éléments de sa vie, de son histoire, mais le personnage a pris beaucoup de moi. Christophe m’a tout de suite considéré comme un acteur, et ça a tout changé."

Paul Kircher, dans les pas de Juliette Binoche

Et c'est ce qu'il fallait pour que le jeune Paul se confronte avec naturel à sa mère et à son grand frère de cinéma, incarnés par des comédiens plus que confirmés, comme nous le soulignait Christophe Honoré : "Il fallait qu’il soit à l’aise avec Juliette Binoche et Vincent Lacoste, tout comme avec des comédiens moins expérimentés, comme Erwan. La performance qu’il réalise dans ce film est très impressionnante, car il s'agit d'une vraie performance d’acteur. Quand Sandrine Bonnaire fait À nos amours, c’est une nature, Pialat la filme un peu pour ce qu’elle est, et ce n’est qu’après qu’elle devient une grande actrice. Ici, c’est différent. Je filme Paul pour ce qu’il est, mais je l’entraîne dans quelque chose de beaucoup plus romanesque, dans une histoire qui n’est absolument pas la sienne. Sans vouloir comparer, cela m’a fait vraiment repenser à ce qu'a fait Binoche dans Rendez-vous de Téchiné. Elle était très jeune, sortait à peine du Conservatoire et elle était déjà absolument actrice. D’ailleurs, j’ai vu le moment où Juliette s’est reconnue dans Paul."

Paul Kircher reconnaît d'ailleurs la chance qu'il a eue de côtoyer de tels partenaires : "C’est à la fois très agréable et formateur, ça garantit un cadre de ouf dans lequel on peut évoluer. Je me souviens de la première rencontre avec Juliette Binoche. Elle a directement installé quelque chose de très maternel et d’extrêmement puissant qui a vraiment créé cette famille." Sur Vincent Lascoste, il ajoute : "C’était mon acteur préféré et c’était incroyable pour moi qu’il joue mon grand frère."

"Les scènes de nudité ne m'ont posé aucun problème. J'avais une confiance totale en Christophe."

Paul Kircher

Le film comportait également certaines difficultés, parmi lesquelles les scènes mettant en avant la sexualité assez active du jeune Lucas. Un défi qui aurait pu être complexe pour un jeune acteur encore inexpérimenté : "À la base, je suis plutôt très pudique, et cela aurait pu me faire peur. Mais en fait, je m’y suis préparé en m’appropriant l’histoire, raconte Paul. Comme elle s'écrit à la première personne, puisque je fais aussi la voix off, je suis entré vraiment dedans à fond. La nudité et les scènes intimes étaient vraiment importantes et évidentes. Cela ne m’a finalement posé aucun problème, et j’avais une totale confiance en Christophe."

Une confiance qui a permis, selon Christophe Honoré, de révéler vraiment toutes les facettes de cet acteur-né : "Il sait tout faire, c’est très impressionnant. Dans une même scène, il peut être doux, joyeux ou gracieux sans omettre la détresse de la situation. À certains moments, on dirait un ado mal dégrossi et, dans une scène de séduction, il devient un jeune homme absolument irrésistible. Je ne m’inquiétais jamais de ce qu’il allait faire mais j’étais curieux de savoir où il allait m’entraîner."

Erwan Kepoa Falé, un rôle sur mesure

Erwan Kepoa Falé nous rejoint, enjoué, dans la cour intérieure de l’Hôtel Amour. "Erwan incarne un personnage très important pour Lucas dans le film, explique Paul. C'est une forme de repère auquel il s’accroche. Comme Lilio, son personnage, Erwan est quelqu’un de très libre. C’était vraiment chouette de partager ces moments avec lui." Aperçu dans le court-métrage Dustin, de Naïla Guiguet, aux côtés de Félix Maritaud, Erwan, qui a évolué dans pas mal d’univers créatifs, souvent liés au monde de la nuit et du clubbing, raconte : "Je touche au cinéma depuis à peu près trois ans maintenant, mais j’ai un peu tout fait dans ma vie. Je n’ai pas de formation précise et j'y suis toujours un peu allé au culot."

"Ce que j’aime beaucoup chez lui, c’est sa modernité, même si cela peut paraître un peu bête de dire ça puisque chacun représente un peu son époque, confiait, quelques jours plus tôt, Christophe Honoré à propos d'Erwan. Mais son parcours, ce qu’il dégage et la manière qu’il a d’affirmer son homosexualité lui donnent une grande contemporanéité qui le rapprochait presque trop du personnage de Lilio. Donc j’ai mis du temps à me décider."

"Erwan incarne une masculinité très déconstruite, assez inédite dans le paysage cinématographique français."

Christophe Honoré

Mais Erwan, lui n'a pas hésité. "Je me suis lancé sans trop réfléchir. J’ai rencontré Christophe et j’ai compris que le personnage de Lilio me ressemblait déjà pas mal. Finalement, malgré la différence d’âge, Paul et moi étions dans la même situation de débutants. Et Christophe a été très doux avec nous. Il aime ses acteurs." En le dirigeant, le réalisateur a eu l’impression d’assister à un vrai changement intérieur chez le comédien en devenir :"Je crois que ce tournage lui a permis de se révéler. Il ne revendiquait pas jusqu’alors ce statut d’acteur, et cela a changé." Il ajoute : "Erwan incarne une masculinité très déconstruite, assez inédite dans le paysage cinématographique français."

Un projet avec Yann Gonzales

Et l'on n’a pas fini de voir Erwan Kepoa Falé sur les écrans, puisqu'il partait tourner dès le lendemain de notre rencontre dans un projet musical avec Yann Gonzalez. Et il sera également bientôt à l'affiche d'un autre long-métrage."J'aurai l’un des rôles principaux de Eat the night, le nouveau film de Caroline Poggi et Jonathan Vinel [réalisateurs de nombreux courts-métrages primés et du très novateur Jessica Forever, sorti en 2019]. Mon personnage sera au cœur d’une histoire d’amour gay", précise-t-il.

De son côté, Paul, qui a tourné cet été avec Romain Duris dans un film de Thomas Cailley, Le Règne animal, a raté les réinscriptions à la fac et compte mettre à profit ce contretemps. "Je vais en profiter pour vivre quelques expériences et côtoyer d’autres domaines, d’autres pays. Après la sortie du film, je vais partir quelques mois en Islande faire du woofing. J’ai aussi envie d’apprendre l’anglais, donc d’aller en Angleterre, confie le jeune homme. J’ai vraiment envie d’être acteur mais c’est important de faire aussi d’autres choses. Je suis mes désirs, mais j’essaie de faire tout cela à mon rythme." 

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Crédit photo : Memento Distribution