Au troisième jour du procès de trois hommes accusés de deux guets-apens homophobes à Paris, les victimes ont pris la parole pour la première fois, revenant sur "l’horreur" qu’ils ont vécue et les conséquences, deux ans plus tard, sur leurs vies.
"Je vis un peu au jour le jour, avec des hauts et des bas, sans pouvoir les prédire." Près de deux ans et demi après les faits, Sébastien* porte encore les stigmates de son agression. Le 20 janvier 2022, il est victime d’un guet-apens dans son appartement parisien, après avoir été piégé sur un site de rencontre gay. Il est ligoté, séquestré, extorqué et humilié tandis que ses deux agresseurs vident une partie de son appartement.
Le lendemain, Damien*, à l’époque âgé de 41 ans, va vivre un long calvaire similaire : séquestré chez lui pendant deux jours et demi, jusqu’à ce que les forces de l’ordre qu'il a pu faire avertir interviennent et interpellent ses deux agresseurs. Des faits pour lesquels trois hommes, aujourd’hui âgés de 21 à 23 ans, sont jugés depuis ce mardi 28 mai à la cour d’assises de Paris, et encourent la prison à perpétuité. À la barre au troisième jour du procès, ce jeudi, les deux parties civiles sont revenues sur les faits, qu'au premier jour du procès Me Pauline Alexandre, l'avocate de Damien, avait résumés comme "l’effraction du cauchemar dans un moment d’intimité."
"Je n’avais aucune idée de comment ça allait se terminer, se remémore le premier, professeur en maternelle à Paris. Je me souviens de l’humiliation, des menaces, et de la peur de mourir." Également enseignant en région parisienne dans le secondaire, la deuxième victime évoque "un calvaire" : "C’est durant ces deux jours et demi que j’ai connu la plus grande peur et la plus grande solitude de ma vie." Mais au-delà du récit éprouvant de ces heures d'épouvante, les victimes sont revenues sur les conséquences de ces guets-apens sur leurs vies.
"Je suis plus anxieux et plus défaitiste"
Les deux mains sur la barre en bois de la grande salle Voltaire du palais de justice de Paris, Damien* décrit une période "très compliquée". Le quadragénaire, cheveux bruns, vêtu d’une veste de costume bleue, explique être passé par différentes périodes. Il a d’abord cru "aller bien", "avoir gagné" : "Ils ont été arrêtés rapidement, j’avais récupéré les objets qui me tenaient à cœur, j’étais bien entouré. Mais aujourd’hui, je vais moins bien qu’il y a deux ans."
Il évoque des conséquences lourdes sur sa vie professionnelle, avec des difficultés à se concentrer ou à réaliser des tâches administratives. Mais aussi sur le plan personnel. "Je suis plus anxieux et plus défaitiste qu’avant, reconnaît cet homme. Comme je crains le moment d’aller dormir, de peur de ruminer je fais davantage d’insomnies, et je grince beaucoup des dents."
Il accepte aussi de confier que sa vie sexuelle, "jusque-là très épanouie, amusante et aventureuse", reste très impactée, "une ruine", "remplie de peur". Il témoigne avoir besoin, depuis le traumatisme, d’utiliser des drogues de synthèse ou du cannabis pour réussir à profiter de ses rapports sexuels. "Ce plaisir-là, ils me l’ont pris. Et je vais devoir me battre pour le récupérer, constate-t-il. En fait, petit à petit ce sont des éléments de ma personnalité qui sont déstabilisés". Les larmes montent, il souffle : "Je ne pourrai jamais redevenir complètement moi-même."
"Je veux juste que ça s’arrête"
Sébastien aussi, manifeste des signes de désespoir. À la barre, le quadragénaire poivre et sel est habillé d’un pull noir à col rond ; il prend de grandes respirations, et a parfois du mal à s’exprimer. À plusieurs reprises durant son audition, la présidente s’assure qu'il va tenir. "J’ai réussi à partir de cet appartement, mais j’y ai peut-être laissé une partie de moi, quelque chose qui fait que je ne suis pas complètement libéré de cette histoire", explique-t-il.
Après la séquestration dont il a été victime à son propre domicile, il est incapable de remettre les pieds chez lui. Il n'est d’ailleurs jamais retourne dans son appartement, et vit chez des amis. Les mois suivants sont très difficiles : "Je pense à cette histoire tous les jours, sans cesse, mais je veux absolument reprendre ma vie." Il cherche donc à reprendre ses habitudes, voit ses amis, sa famille. Mais il est rattrapé par ses angoisses : "J’ai compensé par des choses qui permettaient de ne pas penser : j’ai pris de la drogue en excès, je suis devenu boulimique, j’ai pris 15 kilos." Fin 2022, lors ’d’un rendez-vous avec un expert au cours duquel il doit revenir sur les faits, cette épreuve "lui revient violemment au visage" : "J’ai fondu en larmes, parce que c’était la première fois que je remettais en mots ce qui m’était arrivé. À partir de là, j’ai eu un retour de flamme."
Sébastien explique ensuite que l’année 2023, pour lui aussi, "a été très compliquée". Il arrête la drogue, mais les crises de boulimie persistent. Quand il apprend qu’un procès va se tenir, les choses empirent : "Je me suis rendu compte que j’étais encore prisonnier de mon corps et de mes pensées." Et d’ajouter, en s'excusant presque : "C’est un peu égoïste, mais je veux juste que ça s’arrête, pour moi, pour que j’aille mieux. Que cette affreuse parenthèse se ferme." Le procès doit se poursuivre jusqu’au 4 juin.
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*les prénoms ont été modifiés