[Article à retrouver au sein de notre dossier sur les guets-apens homophobes dans le magazine du printemps] Piégés, le plus souvent sur internet et les applis, puis détroussés, violentés voire tués : les hommes gays victimes d'un guet-apens homophobe se comptent au moins par dizaines chaque année dans tout le pays. Un phénomène dont l'ampleur devrait alerter la société et les autorités…
Illustration de Romain Lamy pour têtu·
Combien d’entre nous sont victimes de guets-apens homophobes chaque année ? Depuis bientôt vingt-cinq ans, SOS homophobie compile des données et des témoignages pour établir un rapport annuel des LGBTphobies. Ainsi, onze personnes ont témoigné anonymement auprès de l’association en avoir été victimes en 2021. Évidemment, il n’est pas possible d’évaluer correctement le phénomène à partir de ce seul rapport, toutes les victimes ne se tournant pas vers SOS homophobie. Mais alors, où trouver la mesure du phénomène ?
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À l’occasion d’une enquête publiée sur “les tueurs de pédés” dans le têtu· n°50, en novembre 2000, un commissaire soulignait déjà : “Nous savons que le chiffre noir de la violence contre les homosexuels est très important. Beaucoup de victimes ne portent pas plainte. Soit parce qu’elles n’osent pas avouer leur homosexualité, soit parce qu’elles n’ont pas confiance en la police.”
Sur ce constat, les choses ont un peu changé depuis les années 1990, mais le mouvement MeToo a démontré que les commissariats avaient encore beaucoup de progrès à faire dans l’accueil des victimes. Toujours est-il que 2.170 plaintes ont été déposées auprès des forces de sécurité en 2021 concernant des crimes et des délits LGBTphobes. Parmi elles, 24% concernent des violences physiques, soit plus de 500 faits, mais dont on ignore la gravité : il peut donc s’agir aussi bien d’une bousculade que d’un passage à tabac. Et ce nombre ne prend évidemment pas en compte les affaires dont le caractère homophobe a été tu par la victime ou non pris en compte par les forces de l’ordre. L’enquête Cadre de vie et sécurité de 2021, menée par l’Insee et le ministère de l’Intérieur, estime d’ailleurs que seule une victime d’acte LGBTphobe sur cinq (20%) dépose plainte.
Le motif homophobe souvent ignoré
Du côté des tribunaux, d’après les chiffres que nous avons pu obtenir du ministère de la Justice, 25 affaires de guets-apens homophobes ont fait l’objet de poursuites entre 2017 et 2022. Un nombre en forte augmentation puisque, entre 2012 et 2017, on en comptait seulement dix. Mais ce chiffre se heurte à nouveau au fonctionnement de la justice : le ministère public ne retient pas la circonstance aggravante de LGBTphobie s’il pense qu’il ne réussira pas à le prouver lors du procès. “Régulièrement, les parquets renoncent au motif homophobe de peur de ne pas parvenir à le démontrer et que cela affaiblisse l’enquête”, confirme Johan Cavirot, président de Flag!, l’association LGBTQI+ des agents des ministères de l’Intérieur et de la Justice.
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En juin 2022, un homme gay de 40 ans a été la cible d’un guet-apens près de Toulouse, piégé sur le site Coco par deux jeunes de 20 ans. Ces derniers, qui ont lui donné rendez-vous tard dans un bois, l’ont menacé avec un couteau, roué de coups puis abandonné sur place en quittant les lieux avec sa voiture et sa carte bleue. Le caractère homophobe de cette agression n’a pas été retenu, et le parquet de Toulouse de se justifier dans La Dépêche du Midi : “Il n’y a pas eu de propos homophobes qui ont été échangés. Nous sommes plutôt sur un vol crapuleux avec une agression très violente.” Et voilà comment nombre d’agressions et de vols, dont le caractère homophobe est pourtant attesté par le ciblage de gays, passent au travers des statistiques, empêchant d’obtenir une mesure précise du phénomène.
Sans le chiffre noir, la zone grise
Restent les faits rapportés par voie de presse, notamment dans la presse quotidienne régionale (PQR). Nos confrères, s’ils persistent encore trop souvent à user de formulations inappropriées – on en veut pour preuve ces accroches récurrentes sur un “rendez-vous galant qui se transforme en guet-apens” qui ne sont pas sans rappeler les “elle le quitte, il la tue” pour traiter les féminicides… –, rapportent en rubrique “faits divers” nombre de ces faits avant qu’ils soient passés à la moulinette policière ou judiciaire. En épluchant quatorze titres de PQR répartis sur l’ensemble du territoire sur une période allant de 2020 à aujourd’hui, nous avons dénombré 27 articles sur des affaires de guet-apens ciblant des hommes gays. Selon ce relevé, 72 victimes ont été identifiées en trois ans : douze en 2020, dix en 2021 et cinquante en 2022. Cette explosion s’explique par deux affaires rapportées l’an dernier par La Voix du Nord concernant respectivement une vingtaine et une dizaine de victimes. À partir de là, on peut donc estimer qu’en France, en 2022, un homo a été la victime d’un guet-apens homophobe chaque semaine. Et cela ne suffit pourtant pas à faire réagir la société. Alors combien en faut-il ?
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La société a réussi à prendre conscience de l’ampleur des violences faites aux femmes grâce au slogan-statistique : “Tous les trois jours, une femme meurt sous les coups de son mari.” Mais la violence anti-gay, quand bien même les photos de nos gueules cassées tournent régulièrement sur les réseaux sociaux, ne fait l’objet ni d’une prise de conscience collective ni même d’un recensement précis, y compris quand elle aboutit à un queericide. Au sujet des meurtres d’homos, dans le têtu· de novembre 2000, le commissaire livrait ce compte, rien que pour la région parisienne : “En 1996, on a eu neuf assassinats d’homos à traiter. Depuis, on tourne à cinq par an.” De nos jours, d’après le ministère de la Justice, les parquets ont poursuivi sept affaires d’homicides homophobes entre 2012 et 2017, puis 16 entre 2017 et 2022. Là encore, la courbe n’est pas bonne…
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