Dans son livre Afroqueer, le militant LGBTQI+ Fabrice Nguena dresse le portrait de 25 personnes afrodescendantes, mettant en lumière des histoires et des luttes trop souvent méconnues.
Lever l'ignorance sur l'existence des personnes afrodescendantes. Pour son livre Afroqueer, publié aux éditions Écosociété, Fabrice Nguena, militant LGBTQI+ né en Suisse et vivant au Canada, a rencontré 24 personnes concernées dont il dresse les portraits. Nées en Europe, en Afrique ou encore aux Antilles, celles-ci racontent leurs vies, les discriminations subies, leurs combats. Parmi elles figurent des personnalités comme Barbara Côte d'Ivoire, icône trans, ou Louis-George Tin, homme politique et intellectuel à qui l'on doit la création de la Journée mondiale contre l'homophobie et la transphobie, ou encore Jocelyne Affouet, réceptionniste hôtelière et militante LGBTQI+. Autant de parcours de vie inspirants que couronne un chapitre consacré à l'écrivain James Baldwin, figure incontournable de la lutte pour les droits civiques, militant pour la cause noire et homosexuelle aux Etats-Unis, dont on commémore cette année les 100 ans de la naissance (lire ici le chapitre consacré à James Baldwin). Rencontre avec l'auteur.
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- Pourquoi avez-vous décidé d'écrire ce livre ?
Fabrice Nguena : Un proverbe africain dit que tant que les lions n'auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse seront toujours à la gloire des chasseurs. C'est exactement pareil dans notre cas. Il est important qu'aujourd'hui nous écrivions nous-même nos histoires et nos luttes.
- C'est donc avant tout un travail de mémoire ?
Complètement ! Ce livre contribue à l'archivage de nos existences. Il faut écrire parce que si l'on n'écrit pas, c'est comme si l'on n'existait pas. Encore aujourd'hui, certaines personnes continuent de nier l'existence de l'homosexualité en Afrique. Avec ce livre, on affirme notre existence. Les personnes qui ont accepté d'écrire dans ce livre s'inscrivent dans un élan militant pour dire : j'existe, je suis visible.
- C'est pour cela que vous avez fait le choix d'un recueil d'histoires personnelles ?
Oui, parce que selon moi c'est en racontant le vécu des gens qu'on marque les esprits. Les faits réels servent à déconstruire plus efficacement les discriminations que des essais théoriques. Ces 25 personnes que j'ai rencontrées ont des parcours de vie très différents. Il était important de montrer qu'être noir à Paris, ce n'est pas la même chose qu'être noir à Bamako ou à Montréal. La beauté de l'ouvrage vient justement de la diversité des récits.
- Aux 24 portraits de personnes vivantes, vous avez adjoint celui de l'écrivain James Baldwin, disparu en 1987 ; pourquoi ?
J'ai une admiration sans borne pour James Baldwin. Je trouve que ses écrits sur les questions anti-racistes, sur les droits civiques et sur l'homosexualité sont d'une rare justesse. La chambre de Giovanni est peut-être le premier roman écrit par un Noir qui parle d'homosexualité, pour moi c'est mythique. Faire son portrait, c'était aussi l'occasion de lui rendre hommage pour le centième anniversaire de sa naissance, le 2 août 1924.
- Qu'est-ce qui différencie à vos yeux les histoires des personnes afroqueers de celles des autres personnes queers ?
Il existe une double discrimination des personnes noires qui vivent en Occident, où en plus de l'homophobie et de la transphobie s'ajoute du racisme. Le racisme s'illustre au sein même de la communauté, notamment en prenant la forme d'une fétichisation : on nous attribue certaines caractéristiques physiques et sexuelles. Ce qu'il est très important d'avoir également en tête, c'est que dans les familles africaines ou afro-descendantes, la notion de coming out n'existe pas. La sexualité est absente de nos discussions. Les parents constatent ou devinent notre orientation sexuelle, mais on ne leur annonce pas.
- Est-ce que ces différences rendent plus difficile l'inclusion des personnes noires dans la communauté LGBTQI+ ?
Je le pense, car les histoires des personnes afroqueers sont invisibilisées au sein de la communauté LGBTQI+. C'est pour ça que plusieurs personnes présentes dans le livre créent des associations LGBTQI+ afro pour porter nos combats. C'est le cas de Pierette Pyram, qui a créé en 2018 l'association queer Afro-caribéenne DiivinesLGBTQI+. Mais ces associations ont du mal à trouver des financements.
- Restez-vous néanmoins optimiste ?
Bien sûr ! Je garde espoir car les nouvelles générations se montrent bien plus tolérantes.
- À qui s'adresse votre livre ?
Ce n'est pas un livre écrit simplement pour les personnes afroqueers mais pour toutes les personnes qui sont sensibles à la justice et au respect de la dignité humaine. C'est important que les personnes noires hétérosexuelles le lisent aussi pour être au courant de ce que vit la minorité de leur propre minorité. Si ces personnes connaissent nos histoires, ce seront de meilleur·es allié·es. Mais bien sûr, le livre s'adresse en premier lieu aux personnes afroqueers, pour leur offrir des représentations et des modèles auxquels elles peuvent s'identifier.
- Vous l'avez présenté en Afrique ?
Le 7 juin il y a eu le lancement à Cotonou, au Bénin. Les personnes présentes étaient très émues et contentes de pouvoir enfin lire des histoires qui ressemblent aux leurs. Je suis très touché, car c'est le premier lancement d'un livre qui parle d'homosexualité en Afrique.
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Crédit photo : François Thivierge