[Dossier à lire dans le magazine du printemps] Ce dimanche 24 mars, les électeurs du Sénégal sont appelés aux urnes pour la présidentielle qui doit désigner le successeur du sortant Macky Sall, homophobe assumé. À travers toute l'Afrique, la situation des LGBTQI+ se dégrade rapidement sous les coups de boutoir des intégristes religieux et des législations homophobes.
"Nous sommes menacés d’extinction.” Le dernier rapport d’Amnesty International sur la situation des droits LGBTQI+ en Afrique, publié en janvier, ne cache pas son alarmisme. De part et d’autre du continent, l’organisation de défense des droits humains relève “une escalade du sentiment anti-LGBTI” et “l’utilisation de la loi comme une arme” de répression. De fait, têtu· en tient la chronique régulière, les offensives législatives dirigées contre les LGBTQI+ se multiplient.
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“Pour de nombreuses personnes LGBTI en Afrique, 2023 n’était rien de moins qu’un cauchemar dystopique”, alerte Amnesty, relevant “une montée des attaques, une oppression accrue, une hostilité croissante envers leur identité” et “un déni systématique de leurs droits humains fondamentaux”. Le durcissement de l’homophobie en Afrique est corrélé à la radicalisation, observée depuis la fin du XXe siècle, du sentiment religieux. Entre l’essor de l’intégrisme musulman, la progression des Églises évangéliques et la persistance du catholicisme, la haine anti-LGBT est œcuménique. Quand, en décembre, le Vatican a annoncé que les homos en couple pouvaient être bénis, il s’est vu répondre : “Nous, les évêques africains, ne considérons pas qu’il soit approprié pour l’Afrique de bénir les unions homosexuelles ou les couples de même sexe.”
En Afrique, l'homophobie d'État reste la règle
Parmi les 54 pays du continent, l’homophobie d’État reste la règle plutôt que l’exception : l’Association internationale des lesbiennes, gays, bisexuels, trans et intersexes (Ilga) relève une trentaine de pays interdisant les pratiques homosexuelles. Celles-ci sont passibles de la peine de mort en Ouganda, pays majoritairement chrétien, en Mauritanie, où l’islam est la religion officielle, en Somalie et dans plusieurs États du nord du Nigeria qui appliquent la charia. Les relations homosexuelles n’ont été dépénalisées que dans une poignée de pays – l’Angola, le Botswana, le Cap-Vert, le Gabon, la Guinée-Bissau, le Lesotho, le Mozambique, Sao Tomé-et-Principe et les Seychelles – et seule l’Afrique du Sud autorise le mariage homosexuel, qu’elle a légalisé en 2006.
Au Burundi, le président, Évariste Ndayishimiye, se base sur la Bible (“Sodome et Gomorrhe”, tellement original…) pour déclarer en décembre 2023 à la télévision au sujet des homosexuels : “Personnellement, je pense que si on voit ce genre d’individus au Burundi, on devrait les mettre dans un stade et les lapider avec des pierres. Et ce ne serait pas un péché pour ceux qui le feront !” L’application juridique de ce genre de déclaration s’était vue en mars, avec la condamnation de sept personnes à des peines allant d’un à cinq ans de prison pour “pratiques homosexuelles ou incitation aux pratiques homosexuelles”. Au Sénégal, où les homosexuels sont persécutés jusque dans la tombe, les associations islamiques appellent régulièrement à des manifestations réclamant un durcissement de la législation condamnant l’homosexualité. Le président Macky Sall y donne un écho complice, lui qui a déclaré en 2020 qu’“interdire l’homosexualité n’a rien d’homophobe”.
"Nos coutumes, nos traditions, notre christianisme, notre islam, ne peuvent permettre cela.”
Même le Botswana, rare exemple dans la région d’une démocratie fonctionnelle depuis sa décolonisation en 1966, n’échappe pas à la montée du sentiment anti-LGBT. Si la Haute Cour y a dépénalisé l’homosexualité en 2019, la traduction légale de ce changement s’est heurtée en 2023 à l’opposition de grands groupes “principalement motivés par des croyances religieuses”, relève Amnesty – le pays est à 80% chrétien. Après des manifestations aux cris de “Nous disons non à l’homosexualité” et “Protégez nos enfants contre l’homosexualité”, ainsi que des pétitions initiées par les Églises évangéliques, dont les pentecôtistes, de plus en plus présentes dans le pays, la discussion du texte a été reportée. Au Kenya, où de nombreuses personnes LGBTQI+ de la région trouvent refuge, la Cour suprême a refusé en 2019 de décriminaliser l’homosexualité (passible de quatorze ans de prison) et le président, William Ruto, a répété en 2023, année de l’assassinat du militant LGBTQI+ Edwin Chiloba, son opposition à toute avancée des droits LGBTQI+ : “Nos coutumes, nos traditions, notre christianisme, notre islam, ne peuvent permettre cela.”
De la colonisation à la haine de l'Occident
Des recherches récentes en sciences humaines rappellent que la colonisation a, parmi toutes ses horreurs, laissé en héritage une homophobie d’État ancrée dans bien des législations sur le continent. Retournement ironique de l’histoire en ce début du XXIe siècle : c’est l’homosexualité qui est désormais considérée comme une déviance occidentale, et rejetée comme telle. “Il faut que les gens apprennent à respecter nos croyances et nos convictions. Au nom de quoi l’homosexualité dépénalisée doit être une loi universelle ?” déclarait Macky Sall dès 2015. Et quand l’Ouganda vote au printemps 2023 l’une des lois anti-homosexualité les plus répressives au monde, prévoyant la peine de mort en cas de récidive, le président, Yoweri Museveni, félicite son Parlement d’avoir “rejeté la pression des impérialistes”. Et la présidente de l’institution de lancer, comme un défi : “Nous avons une culture à protéger. Le monde occidental ne viendra pas gouverner l’Ouganda.”
La rhétorique fait tache d’huile au Ghana, en Tanzanie ou encore au Gabon, où montent les pressions pour durcir encore la répression de l’homosexualité. Sachant que le Code pénal tanzanien est déjà l’un des plus durs au monde sur ce sujet, puisqu’il prévoit jusqu’à trente ans de prison pour les relations sexuelles entre hommes, que demander de plus ? Les uns réclament la castration, les autres la peine de mort. Ces mots sonnent doux aux oreilles des deux puissances impérialistes qui sont en train de mettre la main sur le continent : la Chine de Xi Jinping et la Russie de Vladimir Poutine.